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Le coût de trois bibliothèques de Montréal explose

Dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, la hausse est de plus de 83%

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Trois récents projets de construction de bibliothèque municipale à Montréal ont vu leurs coûts exploser. Dans un cas, la facture a presque doublé depuis les estimations de départ.

Les budgets pour les bibliothèques Maisonneuve, L’Octogone et la future interarrondissement Montréal-Nord Ahuntsic-Cartierville ont tous augmenté de plus de 50 %, a constaté notre Bureau d’enquête (voir plus bas).

Cette hausse des coûts ne semble pas surprendre des élus de la Ville à qui nous avons parlé. 

Selon eux, il s’agit de projets de longue haleine. Entre l’idéation et la réalisation, il s’écoule plusieurs années, il y a des changements de partis politiques au pouvoir et les plans de travaux se précisent.

« Pour de grands projets comme ça, ce n’est pas inhabituel », justifie la mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, Émilie Thuillier.

Surchauffe du marché

Dans ses réponses à notre Bureau d’enquête, le service des communications de Montréal a aussi montré du doigt une surchauffe du marché de la construction et une rareté de la main-d’œuvre spécialisée. 

Dans le cas de la bibliothèque Maisonneuve, par exemple, les qualifications pour la sélection des travailleurs « exigeaient une expérience en bâtiment et en maçonnerie patrimoniaux », selon la Ville.

Manque d’entretien

Le maire de l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, Pierre Lessard-Blais, explique l’ampleur des factures par le fait que plusieurs bâtisses ont manqué d’amour dans les dernières années. 

C’est le cas de la bibliothèque Maisonneuve, selon lui. 

« Il n’y a eu aucune rénovation majeure depuis 1980 [...]. Là, elle est vétuste », déplore-t-il. 

Ces récents dépassements de coûts ne sont pas sans rappeler le cas de la bibliothèque de Pierrefonds. 

L’ancien gouvernement péquiste et la Ville de Montréal avaient prévu un montant de 18,4 millions $, en 2012, pour les travaux. La nouvelle bibliothèque a bel et bien été inaugurée en 2019, mais, entre-temps, la facture avait gonflé à 25,3 M$, en comptant l’aménagement des espaces administratifs ainsi que l’ajout de documents à la collection. 

Maisonneuve

La future bibliothèque Maisonneuve.
Illustration courtoisie, EVOQ Architecture
La future bibliothèque Maisonneuve.
  • Arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve 
  • De 23,2 M$ à 42,6 M$ 
  • Hausse de 83,6 %

Le projet en bref

Les travaux sont en cours depuis la fin de l’été dernier. Deux ailes en verre seront ajoutées sur les côtés du bâtiment principal afin de l’agrandir. 

Il est prévu de réaliser des travaux de réhabilitation, d’aménager des espaces extérieurs, un toit accessible avec bacs de jardinage et un espace végétal. 

La bibliothèque accueillera aussi des équipements plus modernes et davantage de places assises pour les citoyens.

Pourquoi C’est plus cher ?

Le désir de mettre au goût du jour cet édifice, qui date du début du 20e siècle, s’est confirmé en 2016 avec l’annonce du projet. 

À l’époque, les coûts estimés par la Ville de Montréal étaient de 23,2 millions $.

Trois firmes ont tenté de remporter le contrat de construction, et c’est le Groupe Axino qui l’a obtenu avec la plus basse soumission, soit 34,7 M$, à l’automne 2019.

Finalement, en mai dernier, la Ville a confirmé un ajout de près de 8 M$ pour des imprévus, portant le total à plus de 42 M$.

Dans un courriel adressé à notre Bureau d’enquête, la Ville a expliqué que des expertises sur la maçonnerie et la structure réalisées en 2018 indiquaient une dégradation accrue d’une partie de la bâtisse. 

« Les travaux de restauration se sont donc avérés plus importants que prévu [...]. Des travaux de renforcement structurel ont aussi dû être ajoutés. »

Montréal justifie aussi l’augmentation des coûts par une décision qui aurait été prise en cours de route pour réaliser plus de travaux extérieurs afin de « favoriser une meilleure intégration urbanistique ».

Mais il était déjà question, dans l’appel d’offres de 2017, d’aménagements extérieurs afin, entre autres, d’« assurer la sécurité des usagers, de favoriser les échanges informels, de stimuler une utilisation quatre saisons, etc. », peut-on lire dans les documents.

Le maire Pierre Lessard-Blais reconnaît que la hausse des coûts est élevée, mais l’arrondissement Mercier–Hochelaga---Maisonneuve mérite une telle bibliothèque, dit-il. 

D’autant plus que la « fracture numérique » est très importante dans le quartier, explique-t-il. 

Par exemple, l’ancienne bibliothèque comportait six postes d’ordinateur avec internet, et la nouvelle installation en comptera 60.

Des citoyens en colère

Le regroupement Patrimoine Homa crie son mécontentement envers le projet depuis plusieurs années. En plus de dénoncer la flambée du prix du contrat, plusieurs résidents sont particulièrement inquiets de l’héritage patrimonial qui pourrait être perdu.

« Une demande [au gouvernement du Québec] pour classer l’immeuble patrimonial a été déposée il y a deux ans et demi », mentionne Jean Kerzérho, du regroupement Patrimoine Homa.

Le gouvernement Legault a justement annoncé, cette semaine, son intention de classer l’immeuble patrimonial, après une période de consultations publiques.

À noter que l’intérêt patrimonial du bâtiment est déjà reconnu et souligné par la Ville de Montréal. 

L’Octogone

La nouvelle bibliothèque L’Octogone devrait voir le jour d’ici 2023.
Illustration courtoisie, Anne Carrier architecture, Labonté Marcil, Les services EX
La nouvelle bibliothèque L’Octogone devrait voir le jour d’ici 2023.
  • Arrondissement de LaSalle 
  • De 24,5 M$ à 37,4 M$ 
  • Hausse de 51,4 %

Le projet en bref

La bibliothèque existante sera rénovée et agrandie de 1600 mètres carrés d’ici 2023. Un espace extérieur d’animation est aussi prévu. 

Le nouvel Octogone sera conçu et réalisé dans le respect des principes de développement durable. 

Pourquoi C’est plus cher ?

Le 16 novembre dernier, un contrat a été octroyé au Groupe Décarel afin d’entamer la construction. Le conseil municipal a autorisé une dépense totale de 37,4 M$.

L’ancien maire de Montréal Denis Coderre avait pourtant annoncé, en novembre 2016, des coûts de 24,5 M$. C’est donc une différence d’environ 13 M$.

D’où provient l’écart ? Une porte-parole de la Ville évoque des « contraintes techniques du site et des recommandations d’experts liées aux orientations d’inclusion sociale et de transition écologique adoptées depuis l’arrivée de la nouvelle administration, en 2017 ». 

Le budget alloué aux contingences de design a également été bonifié, nous explique-t-on.

Le conseiller municipal de l’arron-dissement de LaSalle Richard Deschamps pense que cette hausse, comme celles d’autres projets de bibliothèque, peut aussi s’expliquer par la longueur des échéanciers. 

L’idée de rénover la bibliothèque L’Octogone planait dans les airs depuis les années 2000 et elle verra le jour en 2023, illustre-t-il.

À ses yeux, le budget a été bien conçu. 

« On a revu les coûts tout au long du processus, on a tenté de les réduire au minimum tout en offrant un service de qualité aux citoyens et un édifice qui puisse vivre pendant 40-50 ans [...]. Le processus est déjà bien, mais il faut l’améliorer, il doit être plus efficace. »  

L’interarrondissement

La bibliothèque interarrondissement devrait voir le jour sur ce terrain vague, à l’intersection du boulevard Henri-Bourassa et de la rue Oscar, dans le quartier d’Ahuntsic-Cartierville.
Photo Marie-Lise Mormina
La bibliothèque interarrondissement devrait voir le jour sur ce terrain vague, à l’intersection du boulevard Henri-Bourassa et de la rue Oscar, dans le quartier d’Ahuntsic-Cartierville.
  • Arrondissement de Montréal-Nord et d’Ahuntsic-Cartierville 
  • De 22 M$ à 38,2 M$ 
  • Hausse de 73,6 %

Le projet en bref

C’est la première bibliothèque interarrondissement de l’île de Montréal. Prévue pour 2025, elle servira la population de l’est d’Ahuntsic et de l’ouest de Montréal--Nord. Le concours d’architecture sera lancé cette année.

Pourquoi c’est plus cher ?

Lors du dévoilement du projet il y a cinq ans, il était question d’une facture d’environ 22 M$. Dans son dernier budget en novembre 2020, la Ville de Montréal a annoncé que le coût estimé était plutôt de 38,2 M$.

En entrevue, la mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, Émilie Thuillier, affirme que diverses raisons peuvent expliquer la hausse des coûts de construction depuis 2015.

« Le premier facteur, c’est la précision de plus en plus grande de ce qu’on va mettre à l’intérieur, des différents équipements ainsi que des besoins en mètres carrés. » 

À titre d’exemple, il a été décidé que l’édifice comprendra un stationnement souterrain.

Par ailleurs, la Ville a dû trouver un lieu, l’acheter, procéder à une démolition et finalement décontaminer le sol, ce qui implique du temps et de l’argent, affirme-t-elle.

Pour expliquer la différence de 73,6 %, une porte-parole de la Ville a mentionné dans un courriel que « l’estimation de 2015 était basée sur un concept préliminaire ». 

Le nouveau budget a permis de bonifier le projet, notamment en ajoutant des équipements technologiques accessibles au public. 

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