Il tourne le dos à une chaire de recherche de 4 millions $
La controverse autour de Huawei, un des investisseurs, a convaincu le chercheur de Polytechnique de la refuser
Un chercheur de Polytechnique Montréal a tourné le dos à une chaire de recherche de 4 millions de dollars financée en partie par Huawei, en raison des controverses entourant le géant chinois.
Polytechnique et Huawei ont discrètement mis fin à la «Chaire de recherche industrielle sur l’intelligence artificielle pour le multimédia et les technologies d’assistance» en avril 2019, révèlent des documents obtenus par Le Journal à la suite d’une demande d’accès à l’information. L’entente de collaboration avait pourtant été signée un an plus tôt.
«Les chercheurs n’étaient pas à l’aise avec le bruit de fond médiatique entourant l’entreprise Huawei, explique une relationniste de l’Université, Annie Touchette. C’est donc à la demande du chercheur principal que Polytechnique et Huawei ont décidé d’un commun accord de ne pas poursuivre la collaboration.»
Le chercheur principal était Christopher Pal. En entrevue avec notre Bureau d’enquête, le scientifique explique avoir remis en question sa collaboration avec Huawei dès décembre 2018.
C’est ce mois-là que les Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig ont été emprisonnés en Chine, peu de temps après l’arrestation de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, au Canada.
Un chercheur «n’est pas isolé du reste du monde, dit M. Pal. Il doit regarder ce qui se passe. Ça fait partie de sa responsabilité.»
Ce qui a fait déborder le vase
Pour lui, la goutte de trop a été un article du Globe and Mail qui rapportait que le Service canadien du renseignement de sécurité demandait aux universités de faire preuve de prudence dans leurs partenariats avec Huawei.
«Quand il y a des choses comme ça, un avertissement, je l’écoute.»
Selon Christopher Pal, Polytechnique Montréal et Huawei se sont montrés très compréhensifs lorsqu’il a fait part de son désistement, même s’il était minuit moins une.
Les différents partenaires cherchaient en effet à fixer une date pour annoncer la création de la chaire. Le chercheur assure que laisser 4 millions de dollars sur la table pour des raisons éthiques n’a pas été difficile.
«C’était la bonne décision à prendre.»
Il refuse toutefois de critiquer les autres chercheurs québécois qui collaborent toujours avec Huawei, estimant que c’est à chacun de tracer la ligne.
Christopher Pal souligne aussi avoir la chance d’évoluer dans un domaine où le financement est abondant. Trouver d’autres partenaires n’a pas été un problème.
Les motifs de Christopher Pal ne sont pas mentionnés dans le document qui met fin à la chaire. Il y est simplement indiqué que Huawei se «retire volontairement» du projet. De son côté, Polytechnique Montréal y inscrit qu’elle demeure «déterminée à travailler avec Huawei Canada sur de futurs projets».
Toujours des liens
Les liens entre les deux organisations ont d’ailleurs continué de se développer. Le Journal révélait récemment que l’Université de Montréal, à laquelle est rattachée Polytechnique, avait obtenu un don de 3,9 millions de dollars de Huawei en 2019.
Huawei finance également une autre chaire de recherche à Polytechnique, en partenariat avec le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), une agence du gouvernement fédéral.
Au cours des 10 dernières années, le CRSNG a versé 32 millions de dollars aux universités canadiennes pour des projets avec Huawei, dont 12 millions au Québec.
– Avec Philippe Langlois
COMMENT FONCTIONNE LE PARTAGE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE?
- Depuis 2018, Huawei et les universités partagent la propriété intellectuelle qui découle des recherches. Chaque partenaire est libre de l’utiliser pour créer des produits sans devoir verser de redevance à l’autre.
- Avant 2018, Huawei négociait la propriété intellectuelle au cas par cas avec les universités.
Un autre chercheur dit non à Huawei
Un chercheur canadien d’origine chinoise a refusé une offre d’emploi très lucrative de Huawei par crainte que l’entreprise néglige la vie privée. Et il encourage le public à suivre son exemple et à se méfier du géant chinois.
L’offre a été faite il y a «quelques années» par Huawei en Chine. Le chercheur qui s’est confié à notre Bureau d’enquête a requis l’anonymat parce qu’il craint que sa famille en Chine subisse des représailles du gouvernement si son identité est dévoilée.
«C’était une offre très intéressante, et pas seulement sur le plan financier», explique-t-il. Huawei promettait notamment de lui fournir «toutes les données» qu’il voudrait, ce qui aurait grandement accéléré ses travaux.
Une promesse bizarre
Cette promesse a toutefois inquiété le chercheur, qui est habitué à devoir signer des «piles de documents légaux» pour assurer la protection des informations personnelles.
«Ici, on parlait d’énormes volumes de données, et ils ne semblaient pas se soucier des enjeux de confidentialité. Ça m’a fait vraiment peur.»
Le chercheur a décliné l’offre de Huawei Chine, mais il s’inquiète aujourd’hui de voir à quel point l’entreprise est présente au Canada.
«C’est une grosse surprise, pour moi, de voir le gouvernement dire au public qu’il considère Huawei pour le réseau 5G. [Si Huawei est autorisé en 5G], ce serait la brèche informatique du Canada.»
Pas d’accès
«Chez Huawei, la cybersécurité et la protection des données personnelles sont nos principales priorités», assure la porte-parole québécoise de Huawei Canada, Sabrina Chartrand. Elle indique aussi que «Huawei Canada n’a pas et n’a jamais eu accès aux données ou à l’information des Canadiens.»