La fin du désespoir virtuel
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Demain matin, pour le dernier sprint de l’année scolaire, des milliers d’élèves de troisième, quatrième et cinquième secondaire retourneront à temps plein à l’école. Après des mois d’enseignement en mode hybride, ils pourront – enfin – revivre l’expérience d’une présence quotidienne dans leur milieu scolaire.
Ma collègue Dominique m’a récemment parlé d’un projet d’illustration réalisé par ses élèves lors de son cours d’arts plastiques. Après avoir choisi un sujet qui les touchait profondément, ils devaient créer une image symbolique qui accompagnerait un texte.
Ce projet fut l’occasion de voir et de lire de beaux travaux d’élèves de cinquième secondaire. Avec fierté, Mme Dominique voulait partager le résultat de l’une de ses équipes: Désespoir virtuel, mettant en vedette une illustration de Lilou Mercier et un texte de Kamylia Bélanger.
En ce qui me concerne, je trouve que ce projet souligne d’une manière admirable la fin des cours en ligne.
Désespoir virtuel
Un texte de Kamylia Bélanger, élève de cinquième secondaire
Anxiété. Troubles du sommeil. Symptômes dépressifs. Tous des signaux d’une maladie mentale. De détresse psychologique. Tous des symptômes que plusieurs adolescents, dont moi, ont ressentis dans la dernière année, en raison de ce concept maintenant bien ancré dans nos vies: les cours en ligne. Étant en cinquième secondaire, je suis dans l’une des cohortes qui ont subi le plus de cours virtuels depuis le début de cette année scolaire.
Bien entendu, je comprends l’importance de l’enseignement à distance avec le contexte de pandémie. Cependant, cela n’enlève pas la difficulté de celui-ci. Passer sa journée devant un écran d’ordinateur à regarder son enseignant parler à des pastilles de couleur, ça devient facilement monotone. La motivation pour écouter, comprendre et réussir chute drastiquement. Voilà la situation que plusieurs ont vécue. Moi aussi.
Quelqu’un qui m’a connue dans les dernières années scolaires n’aurait jamais pensé que je serais dans cette situation aujourd’hui. Avant, j’étais cette fille qui aimait apprendre, qui étudiait beaucoup et qui «pétait» des scores avec facilité. C'est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de suivre les cours de mathématiques fortes, de chimie et de physique. Même si finalement, je n’en ai pas besoin pour le cégep. Aujourd’hui, je regrette cette décision. Je n’aime plus travailler pour comprendre, apprendre ne me passionne plus. J’ai beaucoup changé.
Je blâme les cours en ligne. Ils m’ont causé de nombreux problèmes de santé mentale qui ont fait chuter ma motivation scolaire. J’ai toujours été très anxieuse, mais jamais je ne l'ai été autant que dans la dernière année. Les crises de panique sont devenues normales au quotidien et je n’en avais jamais eu auparavant. Les symptômes dépressifs et les troubles du sommeil sont venus en force eux aussi, créant un beau cocktail de détresse psychologique. Le manque de socialisation causé par les cours en ligne a accentué le tout. Je sais que la situation des autres adolescents n’est pas nécessairement aussi intense que la mienne. Mais je sais que je ne suis pas seule.
Mon amie est tombée près du burn-out et a elle aussi renoué avec l’anxiété, qu’elle avait pourtant vaincue quelques années plus tôt. Elle remercie les cours en ligne de lui avoir permis de retrouver cette vieille amie qu’elle avait perdue de vue. Mon amie et moi, nous nous ressemblons beaucoup, et nos situations similaires n’ont fait que nous rapprocher. Malheureusement, à travers les écrans. Nous vivons au travers de l'enseignement à distance de manière semblable et nous sommes l’une pour l’autre nos supports quotidiens. Mais nous n’avions pas de vrai contact social en personne et nous sommes tout de même tombées, sombrant dans un gouffre de désespoir.
Avec cette œuvre et ce texte, nous tenons à ce que le monde comprenne ce que nous avons vécu. C’est bien beau de dire que les adolescents sont résilients et peuvent s’adapter, mais nous avons une limite. Même si mon amie et moi allons mieux, nous ne sommes pas complètement guéries. Certains sont même toujours dans le plus profond du gouffre, mais plusieurs ne comprennent pas. Nous sommes souvent oubliés ou pas pris en considération. Nous prenons donc ce que nous avons et tentons de sensibiliser et de faire comprendre comment nous nous sentons. Notre voix a souvent été réduite au silence, mais nous espérons que ce ne sera plus le cas. Du moins pas cette fois.
Si vous vous êtes rendus ici dans ce texte, nous vous en remercions. Merci de nous avoir laissées utiliser notre voix.
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Si vous éprouvez des difficultés émotionnelles, des symptômes dépressifs, des troubles du sommeil, plusieurs ressources sont disponibles. N’hésitez pas à demander de l’aide aux services complémentaires de votre école: psychologue, psychoéducateur, éducateur spécialisé.
Vous pouvez aussi opter pour une aide immédiate en contactant l’une des ressources ci-dessous:
- Tel-jeunes: 1 800 263-2266 (24/7)
- Jeunesse, J’écoute: 1 800 668-6868
Si vous sentez que vous ne méritez pas que l'on vous aide ou que d’autres personnes en ont besoin plus que vous, c’est faux. Vous méritez cette aide autant que n’importe quelle autre personne.
Cette aide fait en sorte que vous ne deviendrez pas quelqu’un qui en a désespérément besoin.
– Mon amie qui a souhaité rester anonyme