[EN IMAGES] 8 restaurants et cantines disparus sous l’autoroute Dufferin-Montmorency
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Les années 1960-1970 étaient une époque de liberté individuelle et d’automobile, où progrès rimait avec béton. On prévoyait que Québec deviendrait une grande capitale et il fallait développer ses infrastructures, notamment son réseau routier. La construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency s’inscrivait parfaitement dans cette perspective.[1]
Au tournant des années 1960, le gouvernement du Québec souhaitait en effet réaménager complètement les alentours du parlement pour en faire un quartier administratif. L’architecte Jacques Gréber et l’urbaniste Édouard Fiset avaient déjà réalisé les plans de la colline Parlementaire en 1956. Ils proposaient notamment le prolongement du boulevard Saint-Cyrille, devenu René-Lévesque, et l’ouverture d’autoroutes pour décongestionner la Grande Allée et la rue Saint-Jean.[2]
Mise en chantier en 1969, l'autoroute Dufferin-Montmorency relie la colline Parlementaire à la Côte-de-Beaupré et à l'île d'Orléans. Comme son nom l'indique, elle commence à la hauteur de l'ancienne avenue Dufferin, aujourd'hui Honoré-Mercier, et se termine à proximité de la chute Montmorency. Elle a toutefois nécessité la démolition de plus de 300 logements et d’une trentaine d’édifices commerciaux, l’expropriation de plus de 200 familles et la disparition complète de la paroisse Notre-Dame-de-la-Paix.[3]
Sa construction a nécessité le réaménagement de plusieurs quartiers, notamment ceux de Saint-Jean-Baptiste, Saint-Roch et Limoilou.[4] Saint-Roch, en particulier, s’est vu coupé en deux. La Basse-Ville a perdu plusieurs éléments d’une grande valeur culturelle, entre autres les quartiers juif et chinois.
Dans les archives du ministère des Transports, conservées par le Centre d’archives de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), se trouvent plus de 250 dossiers d’expropriation liés à cette autoroute. Ils contiennent plus de 2300 photographies exceptionnelles de l'intérieur comme de l’extérieur des bâtiments touchés. Une partie de l’histoire de Québec d'il y a 50 ans s’y révèle.
Nous vous proposons ici huit restaurants et cantines disparus sous cette autoroute. Peut-être en avez-vous connu quelques-uns?
1) Restaurant Chez Marino
On trouvait au 34 rue Dauphine, tout juste hors des murs du Vieux-Québec et près de la porte Kent, le restaurant Chez Marino, un restaurant gastronomique qui proposait une cuisine italienne. Alors l’une des meilleures tables de Québec, le restaurant ferme définitivement à la fin d’avril 1969, en conséquence de l’aménagement de la colline Parlementaire et de la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency.
Le 1er mai 1934, un Italien nouvellement arrivé à Québec, monsieur Marino Bragoli, s'installait dans le Café de l’Auditorium pour y ouvrir son premier restaurant Chez Marino. Il a ensuite déménagé pour s’installer un peu plus haut, dans le cap, à la fin des années 1950.[5] Au cours de ses années d’activité, le restaurant Chez Marino jouit d’une excellente réputation qui amène chez lui nombre de rencontres, réunions d’affaires et réceptions où se retrouvent quelques grands noms de la ville. Il présente également des dîners-causeries hebdomadaires avec conférenciers invités.
À la suite de la fermeture, Giovani Bragoli, frère de Marino, ouvre en 1971 Le Veau d’or. Il avait assisté son frère dans la direction du restaurant de la rue Dauphine. Par la suite, les enfants de Giovani, Robert et Joanne, ont repris la direction du Veau d’or.[6] Toujours situé au 801 rue Saint-Jean, le restaurant est aujourd’hui passé sous la tutelle de son voisin, La Ninkasi Bar & Bistro.
2) Buffet Ste-Julie
Le Buffet Ste-Julie, exproprié en 1969, se trouvait autrefois rue de l’Artillerie, aujourd’hui devenue le boulevard René-Lévesque.
Ce restaurant était auparavant installé rue Sainte-Julie, d’où son nom. Après avoir été exproprié de son emplacement d’origine, le propriétaire, monsieur Paul Andrade, a tenté de relocaliser son commerce dans le même secteur, afin de conserver sa clientèle. M. Châteauguay Dion lui a alors consenti un bail dans la rue de l’Artillerie, avec la permission d’y ériger un petit restaurant.
Au moment de sa seconde expropriation, en 1969, le propriétaire avait l’intention de transporter son commerce dans un autre local, qui n’était pas encore trouvé.
3) Restaurant Le Kajama
Au 895 côte d’Abraham se trouvait un restaurant-bar et cabaret du nom de Kajama. L'établissement tenait son nom d’une ancienne goélette à trois mâts, encore en activité comme navire de croisière sur le lac Ontario. Monsieur Yvon Pépin, président et principal actionnaire de Kajama inc., avait ouvert son commerce en novembre 1967.
Ce restaurant accueillait régulièrement des spectacles d’artistes québécois comme Lise Marier, Alys Robi ou la pianiste Cécile Coulombe. On pouvait lire le 26 octobre 1968 dans Télé-radiomonde, un journal populaire qui présentait des nouvelles et des reportages couvrant la vie artistique et médiatique francophone, la critique suivante:
«Un cabaret ouvert depuis quelques mois à Québec, le Kajama, semble spécialisé dans la présentation d’artistes à demi oubliés, mais qui se rallient encore un vaste public. Après Alys Robi, qui y chantait récemment, on a vu notre spécialiste du tyrolien, Jeannine Lévesque, soulever l’enthousiasme de tous.»[7]
4) Buffet Nadeau
Au 925 rue Saint-Eustache, devenue l’avenue Honoré-Mercier, se trouvait le Buffet Nadeau, un restaurant de type cantine. Le propriétaire du restaurant était monsieur Philippe Nadeau, mais le commerce était exploité par sa femme. Monsieur Nadeau avait choisi ce site parce qu’il était à proximité du parlement et qu’un commerce semblable y était auparavant installé. Pour le loyer de 85$ par mois, il héritait alors de la clientèle et d’une partie de l’équipement de l'autre commerce.
Sur l’une des photographies incluses dans le dossier d’expropriation, l'on peut discerner le menu. En voici un aperçu:
Soupe au poulet
Soupe aux tomates
Steak en tranche......................1.14$
Omelette au fromage..............0.70$
Hot hamburger.........................0.75$
Boudin........................................0.70$
Steak haché...............................0.75$
Spaghetti italien........................0.75$
Foie lard.....................................0.75$
Pouding
_____________________________
Spécial 0.75$
Soupe
Macaroni à la viande
Pouding
Thé ou café
5) Restaurant Plaza
À l’endroit où l’autoroute Dufferin-Montmorency traverse le boulevard Charest et où l’on peut observer ses piliers colorés de graffitis et de murales se trouvait auparavant le Restaurant Plaza, au 852 boulevard Charest. Il avait pour voisins un nettoyeur, une épicerie et un service de «valet parking».
Bien que le commerce ait été connu comme restaurant, son évaluation dévoile que son revenu brut annuel provenait principalement de la vente de boissons alcooliques. La vente de repas ne représentait qu’environ 10% de son chiffre d’affaires annuel moyen, contre 70% en vente de bière et 20% en vente d’alcools autres.
À la suite de son expropriation, le propriétaire, jugeant qu'il lui serait impossible de relocaliser son commerce dans des conditions similaires, a préféré l'abandonner.
6) Restaurant Au Damier Rose
Tout près, au 882 rue Saint-Joseph Est, se trouvait le restaurant Au Damier Rose. Monsieur Jean-Louis Montminy, propriétaire du restaurant, s’était implanté dans le quartier Saint-Roch en 1958, à l’endroit même où le restaurant fermait ses portes le 30 avril 1972. Monsieur Montminy avait passé la plus grande partie de sa vie dans le domaine de la restauration.
Entre 1961 et 1963, il avait procédé à de nombreuses améliorations et transformations du local. Le 24 octobre 1963, il avait acquis la bâtisse se trouvant derrière la sienne afin d’agrandir son commerce et d’en faire un salon-bar donnant accès, à l’arrière, à la rue Saint-François.
7) Le Repos du Voyageur
En continuant vers Limoilou, on retrouvait au 96 boulevard des Capucins le restaurant Le Repos du Voyageur. Une petite cabane bien simple hébergeait un commerce de type cantine dans lequel on pouvait se procurer l’essentiel, des cigarettes et de quoi casser la croûte.
La propriétaire, madame Louis-Philippe Maranda (née Blanche Gobeil), était âgée de 67 ans au moment de son expropriation, en 1970. Elle avait acquis l’immeuble de la succession de son mari en 1964. Lui-même s’était porté acquéreur des lieux en 1942.
8) Le Petit Bruxelles
Au 1400 de la Canardière, on retrouvait Le Petit Bruxelles, un restaurant d’une cinquantaine de places spécialisé dans la gastronomie belge. Il s’agissait d’un restaurant de luxe où la clientèle était attirée par la qualité de la cuisine. Le propriétaire, monsieur Victor Lefebvre, ancien maître d’hôtel du Congress Inn et de La Chaumière, avait ouvert les portes de son restaurant pour la première fois en avril 1965. C’était alors sa femme qui s’occupait de la cuisine. Le Petit Bruxelles a été le premier restaurant québécois à offrir de la bière belge.
En 1970, le projet d’autoroute nécessitant une partie de son stationnement, le restaurant s’est vu imposer une expropriation partielle. Le quartier fut transformé en un vaste chantier à partir du 15 septembre et l’état des lieux fit fuir la clientèle. La démolition terminée, le terrain de stationnement avait été amputé de 60%. Néanmoins, Le Petit Bruxelles continua ses activités et sut maintenir l’excellente réputation qui avait fait son renom.
En 1980, monsieur Lefebvre, d’une santé fragile, a vendu son commerce à son ancien homme de confiance, Christian Filloles. Ce dernier s’est associé à un ami de longue date, le chef de renom Victor Gherlenda. Les nouveaux propriétaires ont ajouté au menu des plats français, mais on y trouvait toujours les spécialités belges qui avaient fait la réputation de l'établissement, comme les oiseaux sans tête, le lapin aux pruneaux, la chicorée au jambon, le filet américain (que partout ailleurs on appelle steak tartare) et, bien sûr, les moules.[8]
En 1997, les trois propriétaires décidèrent de mettre la clé dans la porte, après 32 ans d’existence. Le fonds de commerce fut repris par Gisèle Filloles, fille des anciens propriétaires, son mari Francis Larchet et Dominique Cadet. Souhaitant concentrer le nouveau menu sur la cuisine française, la nouvelle direction a changé le nom du restaurant pour La Villa Lorraine.[9]
Un texte de Camille G. Jobin, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
- Vous pouvez consulter la page Facebook de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) en cliquant ici, et son site web en vous rendant ici.
- Vous pouvez également lire nos textes produits par la Société historique de Québec en cliquant ici.
SOURCES
[1] Guillaume Gagné, De l'autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon: quels changements? Mémoire de maîtrise, 2007, Université Laval.
[2] Michèle Laferrière, «L'architecte Édouard Fiset, important mais peu connu», La Presse, 9 février 2006, en ligne.
[3] Réjean Lemoine, «Quartier Saint-Roch, la renaissance du cœur urbain de Québec», Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, en ligne.
[4] Ville de Québec, Dufferin-Montmorency.
[5] «Les 100 ans de l’Auditorium de Québec», Le Soleil, 3 août 2003, H2, Collections de BAnQ.
[6] Pierre Champagne, «Un nouveau chef au Veau d’or», Le Soleil, 4 mai 2007, A16, Collections de BAnQ.
[7] «En Bref», Télé-radiomonde, 1968-10-26, p.28, Collections de BAnQ.
[8] Claude Goyette. «Le Petit Bruxelles: L’occasion de découvrir des spécialités belges», Le Soleil, 1988-11-12, Cahier D., Collections de BAnQ.
[9] François Simard, «De la Belgique à la Lorraine», Le Soleil, 1997-07-19, D12, Collections de BAnQ.