Attaques du Vieux-Québec: un «héros» encore hanté par la tuerie
Un homme accompagné de trois enfants a tout vu du meurtre de François Duchesne
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Un héros méconnu de la tuerie du Vieux-Québec, qui a éloigné trois enfants des coups de sabre du meurtrier pendant qu’il s’acharnait sur une des victimes, vit depuis avec le regret de n’avoir rien pu faire pour sauver François Duchesne.
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Sylvain Gauvreau a été qualifié de «héros» par l’enquêteur qui a recueilli son témoignage sur la nuit du meurtre. C’est un compliment que l’homme a beaucoup de difficulté à accepter lorsqu’il pense à François Duchesne, 56 ans, qui était directeur des communications au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ).
«Dans le fond, c’est lui le héros, il a reçu les coups pour nous autres», laisse tomber M. Gauvreau.
Ce soir-là, l’homme dans la cinquantaine avait proposé à trois adolescents de son entourage dont il est très proche, âgés de 12, 13 et 14 ans, de faire une visite de la cathédrale Holy Trinity pour leur raconter la légende de la Dame blanche, «se faire peur et aller voir les décorations à l’hôtel de ville».
En sortant de l’enceinte de l’église, juste devant la place d’Armes, le groupe a entendu des cris inquiétants. «On entend crier et pas à peu près, des hurlements. Il a crié à l’aide, là je n’ai pas aimé ça», relate-t-il en parlant de ce qu’il croit être l’attaque contre la première victime blessée, Rémy Bélanger.
Difficiles supplications
M. Gauvreau décide donc de retourner à l’auto, rue des Remparts, lorsque juste devant lui, à une quinzaine de pieds, l’assaillant sort du petit parc. «Il est sorti de la fontaine en courant comme un fou [...] il a sauté avec l’épée dans les airs.»
«Il était déchaîné», ajoute-t-il, en parlant d’une scène qui dépasse l’entendement. Il est un des rares témoins de l’attaque qui s’est déroulée dans un Vieux-Québec qui était peu achalandé en raison de la pandémie.
«J’ai tout vu. Tu entends tout, c’est affreux», dit-il en parlant des supplications de la victime et des cris de l’accusé, refusant d’aller plus en détail.
Se sachant en danger avec trois enfants à sa charge, Sylvain Gauvreau a chuchoté d’un ton ferme aux enfants de se taire avant de remonter sur le terrain de l’église pour se sauver. «Je voulais sortir les enfants de là, s’il se virait la tête vers nous, on était foutus», dit l’homme.
Graves séquelles
Convaincu d’avoir fait la bonne chose, se disant prêt à se sacrifier pour les jeunes, Sylvain Gauvreau vit tout de même avec l’image de François Duchesne seul devant le meurtrier.
«Je ne l’ai pas aidé, j’ai des regrets, mais j’avais trois enfants, il fallait que je les sauve», explique l’homme encore aux prises avec des flash-back et des cauchemars.
Saisi par le drame qui se déroulait devant ses yeux, l’un des enfants qui l’accompagnaient est resté obnubilé par ce qu’il voyait. «Il traînait de la patte», raconte l’adulte, regrettant que le jeune ait tout vu de la scène.
«Ce n’est plus le même petit bonhomme», déplore celui qui considère l’enfant comme son neveu.
Un refuge pour quatre témoins de l’horreur
Cherchant un abri alors qu’il était convaincu que le tueur de l’Halloween était à ses trousses, Sylvain Gauvreau s’est réfugié dans un dépanneur du Vieux-Québec avec les trois adolescents qu’il avait sous sa garde.
Un an après la tragédie, il y est retourné pour la première fois et Le Journal a assisté à sa touchante rencontre avec la propriétaire du marché d’Emma qui leur a prêté assistance.
«Je peux?» lui demande Cynthia Laflamme, propriétaire du marché d’Emma. L’étreinte était sentie, salvatrice, pour les inconnus qui ne s’étaient pas revus depuis le soir fatidique.
Des sourires et des rires ont fusé, puis des larmes ont rapidement rempli les yeux de Cynthia Laflamme et de Sylvain Gauvreau. «Merci encore, merci infiniment», lui a-t-il simplement dit, ému.
Mme Laflamme dormait à l’étage au-dessus de l’épicerie lorsque son employé l’a appelée, inquiet pour M. Gauvreau et les trois enfants qui s’étaient cachés dans le commerce.
«Il m’a dit : un sabre, un monsieur, du sang. Je ne comprenais rien», explique la dame qui s’est levée et a demandé à l’employé de déclencher l’alarme muette.
Des policiers partout
Puis, alors qu’elle sortait pour aller au commerce, la propriétaire s’est retrouvée entourée de policiers, l’arme dégainée. «Les policiers pensaient que le suspect était dans notre bâtisse», raconte Mme Laflamme.
Tout s’est passé tellement vite que Mme Laflamme ne se souvenait de la présence que de deux enfants, plutôt que de trois. Et les deux ne se souvenaient pas de leurs noms. «Moi j’étais figé, je ne parlais pas», explique M. Gauvreau.
Même si Mme Laflamme n’a pas vécu l’événement de façon aussi traumatisante, elle souligne que l’attaque a laissé une cicatrice dans le quartier. «Moi, je ne marche plus toute seule le soir», dit celle qui se présente aux élections municipales pour Québec 21.
Les deux prévoient souligner la soirée de l’Halloween ailleurs que dans le Vieux-Québec cette année. Le rescapé a cependant déjà en tête de remercier la bonne samaritaine. «Je vais venir vous porter un petit quelque chose avec les enfants», lui a-t-il promis.
Au cœur des deux drames qui ont marqué Québec
Présent à la mosquée de Québec dans les minutes qui ont suivi l’attaque meurtrière de janvier 2017, un jeune homme s’est retrouvé près de trois ans plus tard au cœur de l’attaque dans le Vieux-Québec, en découvrant le corps de la première victime, inerte dans la rue.
Borhane Benhassine se souvient très bien du 29 janvier 2017, lorsque Alexandre Bissonnette a froidement assassiné six personnes à la grande mosquée de Québec. Demeurant à proximité de la mosquée, l’homme de confession musulmane s’était immédiatement rendu sur place, alerté par des proches présents.
Ironie du sort, M. Benhassine était dans le Vieux-Québec le 31 octobre 2020, lorsqu’une autre tragédie a frappé Québec.
Il circulait en voiture après être allé au restaurant. En passant devant la cathédrale Holy Trinity, un homme et trois enfants ont surgi devant lui pour faire mention d’une attaque au sabre.
Croyant d’abord à une blague, il a rapidement changé d’avis devant l’état de détresse du groupe. «Ç’a pris quelques instants pour qu’il me convainque», dit-il. Il s’est alors mis à la recherche du «samouraï» décrit par le témoin.
Il a pris la rue de Buade pour revenir devant le Château Frontenac lorsqu’il a aperçu devant lui, au milieu de la rue, un corps inerte. «Il n’y avait personne», dit l’homme.
Blessures horribles
Malgré le sang et les blessures horribles qu’il constatait sur le corps de François Duchesne, le témoin avait du mal à croire ce qu’il voyait. «C’est peut-être le choc», explique-t-il.
Pendant un moment, il a tenté de prodiguer les premiers soins à la victime. «Il y a peut-être quelque chose à faire», s’est-il questionné malgré l’extrême gravité des blessures de la victime devant lui.
Originaire d’Algérie, un pays qui a connu des épisodes de violence, M. Benhassine avoue avoir été déstabilisé pendant quelque temps après ces deux attaques. Un an plus tard, il relativise ce qu’il a vécu en se rappelant qu’il s’agit «de cas isolés».