Cabinet Trudeau: Steven Guilbeault, de militant à ministre
Coup d'oeil sur cet article
Il n’a fallu que quelques heures pour que les provinces de l’Ouest canadien se déchaînent contre l’arrivée de Steven Guilbeault au ministère de l’Environnement. N’ayez crainte, disent ses proches collaborateurs de longue date, car derrière l’image de «radical» se cache un écologiste pragmatique avec un don pour bâtir des ponts.
• À lire aussi: 3e lien: Legault ne veut pas d’étude environnementale fédérale
• À lire aussi: COP26: la conférence de la dernière chance?
Infatigable militant de tous les combats, Steven Guilbeault se trouve maintenant devant le plus grand défi de sa vie: réconcilier les attentes à son égard sans fracturer un pays déjà profondément divisé sur la question énergétique.
Le militant écologiste «a joué un rôle de médiateur à différentes occasions» au fil des années, soutient Laure Waridel, cofondatrice d’Équiterre avec M. Guilbeault et trois autres militants.
«Il a rapidement compris la nécessité de s’asseoir avec les décideurs, avec les politiciens, et pas juste d’être dans la rue avec des pancartes à critiquer», dit celle qui le connaît depuis une trentaine d’années. «Il comprend mieux les enjeux que quiconque».
Le tempérament de Guilbeault en a fait la véritable «carte maîtresse du mouvement écologiste au Québec», selon Karel Mayrand, ancien directeur général du Québec à la Fondation David Suzuki, aujourd’hui PDG de la Fondation du Grand Montréal.
«La personne qui avait accès au ministre des Finances ou au ministre des Transports, qui plaçait un appel et réussissait à parler au cabinet du premier ministre, c’était Steven Guilbeault.» Un rôle qui ne sied pas à tout le monde dans le milieu, commente M. Mayrand.
Malgré sa «capacité à faire des compromis», Mme Waridel espère qu’il «reste ferme». «Il va falloir qu’il soit bien entouré et qu’il obtienne l’écoute de Justin Trudeau, mais aussi de l’ensemble du Conseil des ministres», dit-elle.
Le départ fracassant en 2018 du ministre français de la transition écologique, Nicolas Hulot, n’a pas découragé Steven Guilbeault une minute: il s’est lancé moins d’un an après.
Selon M. Mayrand, M. Guilbeault bénéficierait du soutien de son chef Justin Trudeau et aurait les coudées franches pour aller de l’avant, contrairement à M. Hulot. «Ce que j’entends dire, c’est que cette fois-ci, ils ont décidé qu’ils le faisaient pour vrai, que ça ferait partie de leur héritage», avance-t-il.
Un «risque» pour l’unité nationale
La nomination de M. Guilbeault à l’Environnement a été saluée par l’Anglais Alok Sharma, président de la COP26, à laquelle il doit prendre part jusqu’au 12 novembre.
De retour au pays, il devra naviguer contre le vent contraire provenant des Prairies, où la réaction à sa nomination a été épidermique.
Pour le premier ministre albertain, Jason Kenney, le choix de M. Guilbeault – un «absolutiste» - à ce poste clé envoie un «message très problématique» à sa province.
Le refrain est le même chez les conservateurs fédéraux, pour qui c’est un «activiste idéologique anti-énergie». Sans le nommer directement, le chef Erin O’Toole a déclaré que le cabinet de Justin Trudeau constituait un «risque» pour l’unité nationale.
«La nomination de M. Guilbeault a été interprétée par le secteur de la production gazière et pétrolière comme un geste divisif au moment où on a besoin de voir une main tendue», analyse Monica Gattinger, directrice de l’Institut de recherche sur la science, la société et les politiques publiques à l’Université d’Ottawa.
Rencontrée au sommet de la Coalition pour un avenir meilleur, qui réunissait cette semaine 109 organisations du monde des affaires et de la société civile à Ottawa, la spécialiste en réglementation énergétique croit que «malheureusement, ça risque de créer plus de division qu’autre chose».
Invoquant «l’urgence» d’un «leadership collaboratif», Mme Gattinger estime que les «tensions régionales sont le principal obstacle à l’atteinte de nos objectifs» de carboneutralité. Une joute politique intense autour du ministre est à prévoir.
Un problème régional?
M. Guilbeault ne s’est pas toujours aidé. Alors qu’il était ministre du Patrimoine, sa réforme proposée pour encadrer les géants du web a été retardée par quelques gaffes de communication qui ont donné l’impression à une partie du Canada anglais qu’il ne maîtrisait pas son dossier.
Résultat: le projet de loi C-10 n’a pas été adopté avant le déclenchement des élections.
En entrevue à LCN cette semaine, le vice-président pour l’est du Canada de l’Association canadienne des carburants, Carol Montreuil, a tempéré les réactions négatives issues de l’industrie.
«Ceux qui connaissent M. Guilbeault depuis longtemps savent très bien que même comme environnementaliste, c’était quelqu’un qui pouvait s’asseoir avec toutes les parties prenantes dont l’industrie que nous sommes, donc je crois que mes collègues de l’ouest du canada qui le connaissent moins que nous au Québec [...] seront agréablement surpris du type de personne qu’il est», a-t-il lancé.