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[EN IMAGES] 7 faits intéressants (et parfois insolites) sur les cimetières-jardins de Québec

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Les mœurs funéraires se sont beaucoup transformées depuis la Révolution tranquille. Nous sommes aujourd’hui bien loin des démonstrations spectaculaires du 19e siècle et d’une grande partie du 20e siècle, avec leurs longs convois où trottaient des chevaux noirs avec leurs panaches emplumés!

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Certains éléments hérités de cette époque demeurent bien visibles dans la trame urbaine : une balade dans les cimetières-jardins, avec leurs grands arbres et leurs monuments souvent extravagants, donne un aperçu du rapport à la mort des Québécois d’autrefois. 

Requiescant In Pacem (Qu’ils reposent en paix) : portail d’entrée du cimetière Saint-Michel, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Requiescant In Pacem (Qu’ils reposent en paix) : portail d’entrée du cimetière Saint-Michel, octobre 2020.

Voici 7 faits intéressants (et parfois insolites) concernant ces petites nécropoles.

1) Un phénomène typiquement victorien : les cimetières-jardins  

Les cimetières-jardins ont été créés pour les morts, mais aussi pour les vivants. Il en résulte des lieux paisibles fréquentés par les marcheurs, les joggers et… les historiens. Cimetière Notre-Dame-de-Belmont, Québec, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Les cimetières-jardins ont été créés pour les morts, mais aussi pour les vivants. Il en résulte des lieux paisibles fréquentés par les marcheurs, les joggers et… les historiens. Cimetière Notre-Dame-de-Belmont, Québec, octobre 2020.

Créés au milieu du 19e siècle dans un souci sanitaire, pour éloigner les défunts des centres-villes, les cimetières-jardins ont progressivement été rattrapés par le développement des quartiers. Leur fonction première était bien sûr d’accueillir les défunts, mais aussi de procurer un environnement propice au recueillement, en retrait de l’agitation urbaine. On en trouve en périphérie de villes comme Paris, Londres, Boston, Montréal et Québec. 

Dans la Vieille-Capitale, c’est l’influence anglaise qui domine largement : au lieu de tracer des allées se rejoignant à angles droits, les architectes paysagers ont privilégié l’allure naturelle, romantique, des sentiers sinueux bordés d’arbres et de bosquets. 

Il en résulte des lieux ombragés, richement boisés et incitant à la méditation. Le premier cimetière-jardin créé à Québec est le Mount Hermon (1848), bientôt suivi par les cimetières Saint-Charles (1855), Notre-Dame-de-Belmont (1859) et, un peu plus tard, Saint-Patrick (1879).

2) Anges et pleureuses  

Ce motif d’ange féminin tenant une couronne de fleurs, accoudé à une croix, peut être repéré dans quelques cimetières de Québec, dont Saint-Charles (sur la photo) et Notre-Dame-de-Belmont.
Photo Catherine Ferland
Ce motif d’ange féminin tenant une couronne de fleurs, accoudé à une croix, peut être repéré dans quelques cimetières de Québec, dont Saint-Charles (sur la photo) et Notre-Dame-de-Belmont.

Le cimetière-jardin est un lieu d’expression artistique : on peut y admirer le travail d’architectes paysagers, de jardiniers et, bien sûr, de sculpteurs. Certaines sections sont de véritables galeries d’art à ciel ouvert, où le marbre, le grès et le métal répondent à la végétation. Si la statuaire funéraire est moins développée que, par exemple, à Notre-Dame-des-Neiges à Montréal, de très beaux monuments peuvent néanmoins être observés à Québec. 

L’œil attentif remarquera des motifs qui se répètent. En effet, dès la fin du 19e siècle, des ateliers de fabrication proposaient de véritables catalogues de statues et de stèles diverses. 

La pleureuse, une femme affichant une attitude prostrée par le chagrin, parfois appuyée sur une colonne ou une croix, se retrouve sous forme de statues surmontant les monuments, mais aussi dans les médaillons de pierre ou de bronze ornant les pierres tombales.  

Monument de la famille Emond, cimetière Saint-Charles, Québec, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Monument de la famille Emond, cimetière Saint-Charles, Québec, octobre 2020.

La pleureuse qui orne le monument de la famille Emond a été faite à partir d’un modèle de bois créé par le sculpteur Jean-Baptiste Côté vers 1900. Né dans le faubourg Saint-Roch, Côté s’illustre d’abord comme artiste naval, puis comme sculpteur religieux : il crée des personnages de crèches, des anges de corbillard et des monument funéraires. Constellée de plaques de lichen d’un roux flamboyant, cette pleureuse n’en est pas moins d’une émouvante beauté. 

Elle est vêtue à la manière antique et s’appuie sur une colonne brisée drapée d’un voile funéraire, symbolisant la vie qui s’est brusquement arrêtée. Le modèle original de cette statue est conservé au Musée national des beaux-arts du Québec. 

3) Un symbolisme funéraire chargé  

Quoique moins flamboyants, bien des monuments plus modestes expriment toute une variété de signes et de codes dont le symbolisme se révèle fascinant.  

Sans surprise, les symboles religieux dominent l’art funéraire du 19e siècle : dans la région de Québec, près d’une sépulture sur deux affiche une croix, un Sacré-Cœur, une couronne d’épines ou autre élément rappelant la Passion du Christ. 

Les motifs végétaux sont très présents : plus d’une tombe sur cinq va comporter des fleurs, des branches ou des rameaux. Les anges (incluant les chérubins) et les mains apparaissent aussi sur certains monuments à compter de 1870, mais s’avèrent moins fréquents.  

Monument Dassilva-Trudel, Cimetière Saint-Charles, Québec, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Monument Dassilva-Trudel, Cimetière Saint-Charles, Québec, octobre 2020.

À lui seul, le monument en béton érigé pour le couple Dassilva-Trudel au milieu des années 1890 arbore simultanément plusieurs ornements et symboles funéraires. Le motif en tronc d’arbre est assez rare dans les cimetières de la région de Québec. Étêté et ébranché, l’arbre représente une mort intervenue brutalement. 

Le monument comporte un agneau, ainsi que les trois représentations des vertus théologales, soit la croix (la foi), l’ancre (l’espérance) et le cœur (la charité). Enfin, la corde cassée peut être interprétée comme la représentation de la vie à laquelle la mort a mis un terme.  

4) Perpétuer les classes sociales  

Enclos funéraire de la famille de Zéphirin Paquet, fondateur du célèbre magasin Paquet. Le monument rassemble de nombreux symboles typiques de l’art funéraire du début du 20e siècle, dont la juxtaposition crée un ensemble plutôt éclectique et ostentatoire : ange tenant une épée et pointant le ciel, colonnes de marbre rouge à chapiteaux corinthiens, Sacré-Cœur, ancre de bateau, croix, sablier, etc. Cimetière Saint-Charles, Québec, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Enclos funéraire de la famille de Zéphirin Paquet, fondateur du célèbre magasin Paquet. Le monument rassemble de nombreux symboles typiques de l’art funéraire du début du 20e siècle, dont la juxtaposition crée un ensemble plutôt éclectique et ostentatoire : ange tenant une épée et pointant le ciel, colonnes de marbre rouge à chapiteaux corinthiens, Sacré-Cœur, ancre de bateau, croix, sablier, etc. Cimetière Saint-Charles, Québec, octobre 2020.

Lorsqu’ils sont indiqués, le métier ou le statut social permettent d’en apprendre un peu plus sur le défunt – au masculin, puisque seules les occupations professionnelles des hommes sont signalées – et de constater que les classes sociales se perpétuent après la mort. En effet, les allées de certains cimetières se distinguent par la présence de plusieurs avocats, médecins, marchands et hommes d’affaires, etc.  

Au cimetière Saint-Charles, par exemple, les fondateurs d’entreprises importantes de Québec se voisinent littéralement : les monuments de Zéphirin Paquet, François Leclerc et J.B. Laliberté sont situés à quelques pas les uns des autres. 

Les magistrats, les chevaliers et tous les « honorables » tendent aussi à se regrouper. Certaines allées s’avèrent donc, dans une certaine mesure, à perpétuer de façon posthume la hiérarchie sociale de Québec. 

5) Les chics mausolées  

Mausolée de la famille Amyot, Cimetière Notre-Dame-de-Belmont, Québec, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Mausolée de la famille Amyot, Cimetière Notre-Dame-de-Belmont, Québec, octobre 2020.

Le mausolée est un lieu de sépulture privé, sorte de petit temple conçu pour accueillir de manière permanente la dépouille d’une ou plusieurs personnes, habituellement des membres d’une même famille. 

Fréquents dans certains cimetières (par exemple au Père-Lachaise, à Paris, où leur alignement forme de véritables ruelles), le mausolée familial se fait plus rare à Québec. On en dénombre moins d’une dizaine au cimetière Notre-Dame-de-Belmont, la plupart arborant un fronton triangulaire et un porche ornementé de colonnes. 

C’est aussi sur les doigts d’une main qu’on peut compter ceux des cimetières Saint-Charles, Mount Hermon et Saint-Patrick. Ces mausolées ont pour la plupart été érigés pour l’élite politique et économique de Québec au tournant du 20e siècle. 

Le plus beau mausolée de Notre-Dame-de-Belmont est celui de la famille du juge Ulric Joseph Tessier. Un mascaron d’allure médiévale surmonte sa porte de métal embossé. Éclectique et ostentatoire, ce type d’architecture va persister jusqu’aux années 1920.  

Mausolée de la famille de l’honorable juge Ulric J. Tessier au cimetière Notre-Dame-de-Belmont, Québec, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Mausolée de la famille de l’honorable juge Ulric J. Tessier au cimetière Notre-Dame-de-Belmont, Québec, octobre 2020.

6) Des communautés culturelles et religieuses  

Croix celtique au cimetière Saint-Patrick, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Croix celtique au cimetière Saint-Patrick, octobre 2020.

Si les premiers cimetières de Québec étaient systématiquement franco-catholiques, la situation change après 1760 lorsque s’installent de nombreux arrivants provenant des îles britanniques. 

Ainsi, la présence irlandaise à Québec se manifeste à plusieurs endroits, notamment à Mount Hermon, au cimetière Saint-Michel et, surtout, au cimetière Saint-Patrick. Les croix et les motifs celtiques qui ornent de nombreux monuments rappellent de manière évidente le fait que des milliers d’Irlandais (et leurs descendants) ont vécu à Québec. 

Sans être une religion, la franc-maçonnerie a aussi compté des initiés à Québec dès le début du Régime anglais. Bien des officiers militaires originaire d’Angleterre, d’Écosse ou d’Allemagne ont fréquenté les loges de cette société secrète. Des symboles discrets peuvent être aperçus dans certains cimetières, notamment au Mount Hermon. 

Cette plaque mortuaire de 1824 comporte des symboles maçonniques : l’œil, la pyramide, l’équerre, le compas ainsi que l’ancre témoignent de la présence de cette communauté d’initiés à Québec. Cimetière Mount Hermon, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Cette plaque mortuaire de 1824 comporte des symboles maçonniques : l’œil, la pyramide, l’équerre, le compas ainsi que l’ancre témoignent de la présence de cette communauté d’initiés à Québec. Cimetière Mount Hermon, octobre 2020.

La communauté juive est présente à Québec depuis des centaines d’années. Ce n’est toutefois qu’en 1894 que le terrain est cédé à la congrégation Beth Israël Ohev Sholem pour y établir un cimetière. On y trouve environ 300 pierres tombales ornées des symboles religieux reliés spécifiquement au judaïsme.  

Cette stèle gravée de caractères hébraïques est aussi marquée de la mention « Empress of Ireland 1914 », cette tragédie ayant touché des membres de plusieurs communautés de Québec. Cimetière Beth Israël, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Cette stèle gravée de caractères hébraïques est aussi marquée de la mention « Empress of Ireland 1914 », cette tragédie ayant touché des membres de plusieurs communautés de Québec. Cimetière Beth Israël, octobre 2020.

Au tournant du 20e siècle, les immigrants chinois venus s’installer à Québec forment un petit quartier chinois dans le quartier Saint-Roch, sous les bretelles de l’actuelle autoroute Dufferin. 

Ils s’établissent aussi ailleurs dans la ville. Leur présence se reflète également dans les cimetières : plusieurs dizaines de sépultures comportant des caractères chinois se dressent dans la portion nord du cimetière Saint-Charles. C’est d’ailleurs l’une des races traces de leur présence qui subsiste toujours dans le patrimoine urbain de Québec. 

Stèles à idéogrammes rappelant la présence de la communauté chinoise de Québec au début du 20e siècle. Cimetière Saint-Charles, octobre 2020.
Photo Eugénie Tremblay
Stèles à idéogrammes rappelant la présence de la communauté chinoise de Québec au début du 20e siècle. Cimetière Saint-Charles, octobre 2020.

7) Quand la mort vient trop tôt  

Sépulture ornée d’un agneau, portant l’inscription « Marie Philomène Mathilde Yvonne, enfant de Ferdinand Trudelle, décédée le 26 mai [1891] à l’âge de 2 ans 11 mois et 4 jours ». Dans la statuaire funéraire catholique, l’agneau placé en position de sacrifice représente le Christ : il évoque à la fois la naissance et la mort. On le trouve le plus souvent sur des sépultures d’enfants. Cimetière Notre-Dame-de-Belmont, Québec, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Sépulture ornée d’un agneau, portant l’inscription « Marie Philomène Mathilde Yvonne, enfant de Ferdinand Trudelle, décédée le 26 mai [1891] à l’âge de 2 ans 11 mois et 4 jours ». Dans la statuaire funéraire catholique, l’agneau placé en position de sacrifice représente le Christ : il évoque à la fois la naissance et la mort. On le trouve le plus souvent sur des sépultures d’enfants. Cimetière Notre-Dame-de-Belmont, Québec, octobre 2020.

Pendant des siècles, la mort des nourrissons et des jeunes enfants a malheureusement fait partie du quotidien. L’insalubrité et la méconnaissance du rôle des microbes dans la transmission des maladies faisaient des ravages : au tournant du 20e siècle, Québec détenait le plus haut taux de mortalité infantile au pays... Ces tragédies familiales, touchant tous les groupes culturels, se reflètent aussi dans nos cimetières. 

Monument Temple, cimetière Mount Hermon, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Monument Temple, cimetière Mount Hermon, octobre 2020.

Le monument de la famille Temple, au cimetière Mount Hermon, est très singulier. Il est constitué d’une statue en marbre représentant un très jeune enfant appuyé sur un crâne humain, lui-même posé sur un sablier. 

Un flambeau éteint est déposé à ses pieds. Ce petit monument reflète la douleur résignée du major Henry Temple et de son épouse Geraldine Sewell qui, en moins de dix ans, ont perdu quatre tout-petits. En 1970, des garçons ont subtilisé cette statue pour l’utiliser lors d’une fête d’Halloween ; elle a heureusement été récupérée et remise en place. 

En guise de conclusion... des mœurs funéraires qui ont bien changé!  

Riches ou pauvres, opulentes ou modestes, les sépultures ont leur place sous le couvert végétal. Section nord du cimetière Notre-Dame-de-Belmont, octobre 2020.
Photo Catherine Ferland
Riches ou pauvres, opulentes ou modestes, les sépultures ont leur place sous le couvert végétal. Section nord du cimetière Notre-Dame-de-Belmont, octobre 2020.

Il n’y a pas si longtemps, il était normal, pour la plupart des gens, de reposer au cimetière : des dispositions étaient prises pour s’assurer d’un lopin en sol consacré et d’un monument décent à y déposer. Pour cette raison, les cimetières sont comme des archives à ciel ouvert. Leurs colonnes, stèles, pierres, anges et monuments reflètent le monde des vivants.  

Aujourd’hui, le choix de reposer au cimetière est concurrencé par une multitude de possibilités, en terre ou au columbarium, allant jusqu’à la dispersion des cendres dans la nature. Des choix qui, il faut bien l’admettre, laissent des traces moins spectaculaires à l’usage des générations futures. 

Un texte de Catherine Ferland, historienne, Rendez-vous d’histoire de Québec.  

  • Pour visionner les conférences et activités présentées lors des Rendez-vous d’histoire de Québec en 2020 et 2021, visitez le site rvhqc.com ou la chaîne Youtube. Suivez-nous aussi sur Facebook.   

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