[EN IMAGES] 10 choses à savoir sur un ingénieur militaire qui a changé le visage de Québec
Malgré ses origines françaises, la ville de Québec a un caractère très britannique, notamment en ce qui concerne son architecture. Néanmoins, en dehors de Place Royale, mise en valeur à partir des années 1970, on retrouve plusieurs éléments caractéristiques du Régime français. Plusieurs de ces éléments nous ont été légués par l'ingénieur militaire Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry. Nous vous proposons de découvrir ce personnage aux multiples compétences.
1) Son parcours
Gaspard-Joseph Chaussegros est né en 1682 à Toulon, à une cinquantaine de kilomètres de Marseille. Il était issu d’une famille d’ingénieurs militaires. En effet, son père était ingénieur et architecte à Toulon; son demi-frère cadet, Louis-Anne, était ingénieur du roi, tout comme Louis, le fils de ce dernier. Il a probablement fait son apprentissage en génie par l’intermédiaire de son père ou auprès d’ingénieurs militaires de Toulon. Il a également participé à des campagnes du roi de France et à des sièges.
En 1716, le conseil de la Marine l’envoie au Canada pour faire des relevés topographiques et proposer de nouvelles défenses. Sa mission temporaire devient permanente alors qu’en 1718, il est nommé ingénieur en chef du roi pour le Canada. Il ne retournera jamais en Europe. Jusqu’à sa mort survenue en 1756, il sera le seul ingénieur en chef en titre du Canada.
En plus d'exercer ses fonctions d'ingénieur militaire, il touchera à l'urbanisme et beaucoup à l'architecture, tant civile que militaire. En 1717, il épouse Marie-Renée Le Gardeur de Beauvais. Par ce mariage, il s’intègre à la haute société coloniale. C’est d'ailleurs à partir de ce moment qu'il ajoute la particule «de Léry» à son patronyme.
2) L'ingénieur militaire
L'élément le plus connu de l'œuvre de Chaussegros de Léry est sans doute le rempart de Québec. Il a d'ailleurs valu à la capitale son inscription sur la liste des sites du patrimoine mondial de l'UNESCO.
Construit à partir de 1745 dans le contexte de la guerre de Succession d’Autriche, le rempart ouest de Québec est toujours en place de nos jours, face au faubourg Saint-Jean, à l'Assemblée nationale et aux plaines d'Abraham. Toutefois, à cette époque, la Citadelle n'était pas encore construite, bien que Chaussegros y rêvait.
Il conçoit un rempart bastionné, parfaitement adapté à la topographie et dans lequel se succèdent bastions et courtines. Initialement, il n'était percé que par les portes Saint-Jean et Saint-Louis, beaucoup plus étroites que les portes actuelles.
La porte Kent n'existait pas encore. Ce rempart sera en construction jusqu'en 1759, bien qu'il ne soit alors pas achevé. En effet, le fossé et les ouvrages avancés n'avaient été aménagés que dans la section nord de l'ouvrage, c'est-à-dire là où l'on retrouve aujourd'hui Le Capitole.
Par la suite, les Britanniques poursuivront la construction de l'enceinte et de la Citadelle, mais jamais ils ne remettront en question la qualité de l'ouvrage de Chaussegros de Léry.
3) L'urbaniste
Un bon ingénieur militaire devait aussi être un urbaniste, puisque la ville fortifiée dépendra de ses remparts, et vice-versa. En 1636, le gouverneur Montmagny et l’ingénieur Jean Bourdon avaient tracé un plan radial dans lequel les rues rayonnaient en étoile, à partir de la place d’Armes. Il s’agit des rues Mont-Carmel, Saint-Louis, Sainte-Anne, De Buade et côte de la Fabrique.
Derrière son rempart de 1745, Chaussegros de Léry privilégie plutôt un plan de rues orthogonal. Ainsi, les lots sont rectangulaires et les bâtiments suivent un alignement régulier. On prévient de la sorte le tir d’enfilade de l’artillerie ennemie. De plus, la circulation en Haute-Ville s’en trouve facilitée. Il s’agit des rues Sainte-Angèle, Saint-Stanislas, Sainte-Ursule et D’Auteuil.
En périphérie intérieure de l’enceinte, il crée une voie de circulation facilitant les communications entre les différents secteurs de l’enceinte. Ce sont les rues des Remparts et D’Auteuil, l'équivalent du Wall Street de New York.
Il procède de la même façon dans le faubourg Saint-Roch. En effet, c'est également en damier qu'il dessine le tracé de ses premières rues. De nos jours encore, toute la Basse-Ville du côté du versant nord, soit Saint-Roch et Saint-Sauveur, se déploie toujours à partir de ce plan orthogonal.
4) L'architecte militaire
L’œuvre architecturale militaire de Chaussegros de Léry consiste en plusieurs bâtiments secondaires avec des fortifications comme des corps de garde ou des poudrières. Toutefois, ses plus grandes réalisations concernent le casernement, un enjeu important dans une ville de garnison.
En 1712, on commence la construction de la redoute Dauphine, mais elle s'était arrêtée dès l'année suivante. En 1747-1748, Chaussegros de Léry la complète. Toutefois, la redoute ayant été conçue à l’origine comme un bâtiment défensif doublé d’une fonction d’entreposage et de logement, il en fait une caserne. Il y ajoute une circulation horizontale et il agrandit les chambres et les voûtes. Malgré les modifications qu’elle subira par la suite, on y reconnaît le classicisme que lui avait donné Chaussegros de Léry.
Ensuite, de 1749 à 1752, Chaussegros règle définitivement le problème du casernement à Québec par la construction des Nouvelles-Casernes. Avec ses 160 m, il s’agira du plus long bâtiment jamais construit en Nouvelle-France. Outre leur fonction de caserne, elles font office de courtine au-dessus du Palais de l’intendant. Ainsi, sa façade nord comporte une apparence plus militaire avec ses embrasures à canons, alors que le sud présente les caractéristiques de l'architecture classique française. Ces deux bâtiments constituent des icônes du Vieux-Québec.
5) L'architecte religieux
Chaussegros de Léry touche également à l’architecture religieuse. Vers 1730, il fait la réfection de la chapelle du Collège des Jésuites en y ajoutant une façade. Il la dote notamment d’un haut clocher. Cet édifice est démoli en 1807.
En 1741, il transforme le palais épiscopal de la côte de la Montagne. Ces importantes modifications permettent d'y réduire l'utilisation du bois et de diminuer ainsi les risques d’incendie. C'est cet édifice qui deviendra le premier parlement du Bas-Canada.
De 1743 à 1749, il reconstruit la cathédrale de Québec. Son projet est plutôt rationnel, proposant une façade et un intérieur assez sobres, mais qui pourraient ultérieurement être ornementés. Il l’allonge du côté du chœur et ajoute des bas-côtés de chaque côté de la nef, ce qui permet d’en doubler la superficie. Les murs de la nef sont rehaussés pour donner plus de hauteur à l’édifice, et des ouvertures sont percées dans ces murs rehaussés pour donner davantage d’éclairage à l’intérieur de l’édifice.
Reconstruite à deux reprises, à la suite du bombardement de 1759 et de l’incendie de 1922, l’actuelle cathédrale reprend essentiellement le plan et l’organisation architecturale qui avaient été établis par Chaussegros de Léry au XVIIIe siècle.
6) L'architecte civil
Chaussegros de Léry laisse également sa marque dans l’architecture civile, notamment dans les édifices résidentiels des hauts administrateurs.
En 1719, il ajoute une aile au château Saint-Louis et, en 1724, il en rehausse l’entrée principale et y ajoute une tourelle. Initialement, il voulait en ajouter deux afin de mieux équilibrer sa façade. Ce projet illustre bien son adhésion aux grands principes de symétrie et d’équilibre qui régissaient l’architecture au XVIIIe siècle.
En 1725, le Palais de l’intendant est détruit par un incendie. Le feu avait débuté dans la charpente de bois des combles construits en mansarde.
L’année suivante, Chaussegros reconstruit cet édifice. Il remplace alors la mansarde — constituée de beaucoup de bois qui avait permis la propagation de l’incendie — par un étage de maçonnerie et une toiture dont les deux versants seront d’abord couverts en fer-blanc, puis d’ardoise. De plus, il ajoute des murs de refend qui feront office de coupe-feu. Il construit les pignons en maçonnerie, il supprime la tour lanterne, il utilise des toits à deux versants pour les tourelles et passages, et il élimine le plus grand nombre de cloisons et de panneaux décoratifs en bois. Il réduit ainsi considérablement les risques de nouveaux incendies.
7) L'architecte industriel
Chaussegros de Léry s’active également dans l’architecture industrielle. En 1738, les autorités décident de construire des navires de guerre à Québec. On lui demande alors de dessiner les plans d’un chantier naval dans le secteur du Palais de l'intendant. Il n’est pas d’accord avec le choix de l’emplacement en raison du manque d’eau et de l'espace trop étroit, mais il doit se soumettre à la décision de l’intendant. Le temps lui donnera raison, car l’espace sera trop exigu pour construire de gros bateaux.
En 1746, on déplace donc le chantier naval royal au Cul-de-Sac, dans le secteur de l'actuel terminus du traversier Québec-Lévis. Une fois de plus, Chaussegros est mandaté pour le concevoir. Néanmoins, celui-ci privilégie plutôt un emplacement situé à l’île d’Orléans, lequel était moins exposé aux vents et aux glaces et où un navire pouvait être lancé en eaux profondes, en tout temps, peu importe la marée.
Une fois de plus, il doit se soumettre aux désirs de l’intendant et du maître constructeur René-Nicolas Levasseur. On aurait dû l'écouter, puisque l’Orignal, le premier bateau lancé de ce chantier, se brise en atteignant le fleuve et il coule. C'était en septembre 1750.
8) L'important legs architectural de Chaussegros de Léry
Le 5 août 1682, 55 des 85 maisons de la Basse-Ville sont détruites par un grand incendie. En 1721, c'est Montréal qui est rasé. En 1725, c’est le Palais de l’intendant qui brûle. À cette époque, les bâtiments étaient dotés de toiture mansardée, dont la construction nécessitait beaucoup de bois, de matériaux hautement inflammables.
À la suite de ces trois événements catastrophiques, Chaussegros de Léry propose aux autorités de nouvelles règles de construction pour éviter les incendies en milieu urbain. L’intendant les accepte et publie un édit en ce sens.
Dorénavant, les maisons urbaines seront construites à deux étages avec une toiture à deux versants. Il n’y aura plus de mansarde. Les élévations seront construites en maçonnerie et les toitures seront recouvertes de tôle ou d’ardoise. De plus, les ouvertures, fenêtres et portes auront leurs encadrements en pierre. Enfin, les murs pignons excéderont la toiture pour constituer des murs coupe-feu.
Comme la maçonnerie était alors en calcaire, on la recouvrira d’un crépi protecteur, blanchi à la chaux. La maison Antoine-Vanfelson, située face à l'hôtel de ville, répond en tous points aux prescriptions de Chaussegros de Léry. Malgré lui, celui-ci avait créé une architecture urbaine typiquement canadienne.
9) Ses réalisations en dehors de Québec
Par ses réalisations, Chaussegros de Léry a laissé sa marque dans la ville de Québec, mais, en tant qu'ingénieur en chef du roi pour le Canada, il a également œuvré ailleurs dans la colonie. Ainsi, entre 1717 et 1730, il remplace la palissade entourant Montréal par une enceinte bastionnée digne de ce nom, parce qu'on oublie souvent que Montréal a jadis été une ville fortifiée.
Il apporte également d’importantes modifications au fort de Chambly pour corriger des erreurs de conception faites par Boisberthelot de Beaucours en 1710.
En 1726, il construit la maison à mâchicoulis, le fort Niagara, situé à l’embouchure de la rivière Niagara dans l’actuel État de New York. Ce qui ressemblait à un grand entrepôt de fourrure dissimulait en fait des éléments défensifs que l’on voyait habituellement dans des redoutes.
À la Pointe-à-la-Chevelure, entre 1731 et 1733, il construit un ouvrage à quatre bastions, le fort Saint-Frédéric et une redoute. Leurs vestiges sont toujours visibles au site historique de Crown Point dans l’État de New York.
En 1738-1739, il remet adéquatement en marche les forges du Saint-Maurice.
L'œuvre de cet ingénieur aux multiples talents est donc également présente à plusieurs endroits du Québec et même aux États-Unis.
10) Un important personnage historique
On a reconnu l'importance de Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry non seulement à titre posthume, mais également de son vivant. Ainsi, en 1720, il obtient le grade de capitaine, ce qui lui confère le privilège de commander les troupes qui travaillent aux fortifications, et non dans un autre contexte. En 1740, il reçoit la prestigieuse croix de Saint-Louis. De plus, il faisait partie de l’état-major, aux côtés du gouverneur et de l’intendant.
Plus près de nous, en 1992, la Société canadienne de génie civil a reconnu l’importance historique de son œuvre et a apposé une plaque à cet effet près de la porte Saint-Louis. Par ailleurs, en 2006, il a été désigné personnage d'importance historique national par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada.
Enfin, la Commission de toponymie du Québec recense une vingtaine de toponymes rappelant sa mémoire, dont la rue De Léry, du quartier Limoilou, dans la capitale nationale.
Il habitait une maison de la rue Sainte-Famille, qui a depuis cédé sa place à un pavillon du Collège François-de-Laval. Néanmoins, malgré le toponyme officiel de la rue Sainte-Famille, la population la désignait plutôt par celui de côte De Léry. Autre belle reconnaissance.
Un texte de Jean-François Caron, historien, Société historique de Québec
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