Beaucoup d’intérêt pour le débat sur la peine de Bissonnette
5 ans après l’attentat de la grande mosquée de Québec
De l’intérêt d’un océan à l’autre
Le débat sur la peine qui sera imposée à l’auteur de l’attentat de la mosquée de Québec, Alexandre Bissonnette, interpelle l’ensemble du Canada, alors qu’une vingtaine d’intervenants de partout au pays ont demandé et obtenu de la Cour suprême le droit d’intervenir et de s’exprimer devant les juges le 24 mars prochain.

L’ultime étape avant de connaître la peine de l’homme qui a abattu six personnes le 29 janvier 2017 aura lieu le 24 mars, et le débat que suscitera cet appel mobilise des intervenants de tout le pays.
Au procureur général du Québec, qui a demandé et obtenu l’autorisation de faire appel devant le plus haut tribunal du pays, se sont ajoutés une vingtaine d’intervenants qui ont manifesté le désir de se faire entendre.
On retrouve parmi eux le procureur général du Canada, mais également les procureurs généraux de quatre autres provinces canadiennes.
«Quand tu soulèves l’inconstitutionnalité d’un article du Code criminel, ça concerne toutes les provinces», fait valoir Jacques Deslauriers, professeur émérite de l’Université Laval maintenant retraité.
À ce groupe s’ajoutent des intervenants qui sont motivés par la défense des accusés et des représentants des forces de l’ordre.
Un lien avec Paul Bernardo
Fait à noter, un regroupement de 16 proches de victimes, dont les parents de deux victimes du meurtrier en série ontarien Paul Bernardo, présenteront conjointement un mémoire aux juges.
L’avocat Tim Danson, qui représente les familles, en a fait le combat d’une vie.
En 1995, Paul Bernardo avait été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération avant 25 ans, pour le meurtre de Leslie Mahaffy.
L’ex-conjoint de Karla Homolka avait ensuite reçu la même peine, à purger de façon concurrente, pour le meurtre de Kristen French.
- Écoutez l’entrevue de Philippe-Vincent Foisy avec Bruno Marchand, maire de Québec, sur QUB radio:
«J’étais sous le choc après avoir réalisé que les personnes reconnues coupables d’un meurtre ont une passe gratuite pour les meurtres supplémentaires qu’ils commettent. Paul Bernardo ne passera pas une seconde de plus en prison pour le meurtre de Kristen French», argumente Me Danson.
«Pourquoi les meurtriers de masse auraient les mêmes bénéfices, en termes de période d’[inadmissibilité] avant une libération conditionnelle, qu’une personne qui n’aurait fait qu’un seul meurtre?» plaide-t-il.
25, 40 ou 150 ans
L’avocat torontois est aussi l'un des rares qui soient d'accord avec la réécriture de l’article de loi tel que présenté par le juge François Huot, qui propose que l'on impose à Alexandre Bissonnette une peine de 40 ans, c’est-à-dire une peine laissée à la discrétion des juges.
L’ancien professeur Deslauriers indique que le futur arrêt Bissonnette réglera une question importante pour les prochains meurtres multiples au pays.
«Cent cinquante ans, c’est trop, et d’autres disent que 25 ans, ce n’est pas assez. On peut tourner en rond longtemps», illustre-t-il pour montrer l’importance de la tâche de la Cour suprême.
Constitutionnalité
En 2011, le gouvernement Harper avait permis le cumul des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle dans le cas de meurtres multiples.
Ainsi, Alexandre Bissonnette était passible d’une peine de détention à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 150 ans, mais le juge François Huot avait estimé cette peine inconstitutionnelle pour réécrire la loi et imposer une peine de 40 ans à l’accusé.
La Cour d’appel, qui estime également que la sentence de 150 ans était inconstitutionnelle, a ramené la sentence de Bissonnette à 25 ans de prison ferme.
Des intervenants qui seront entendus
L’Association canadienne des chefs de police
Les policiers, qui sont les premiers à intervenir en cas de tuerie de masse ou d’acte terroriste, estiment que l’addition des périodes d’inadmissibilité dans le cas de meurtres multiples devrait s’appliquer.
«La communauté policière peut témoigner de l’érosion de la confiance du public et des risques pour sa sécurité lorsque les crimes ne sont pas punis selon un système de dissuasion proportionnelle des peines.»
L’Association des avocats de la défense de Montréal
Pire que la peine de mort: «L’incarcération à perpétuité incompressible [sans possibilité de libération conditionnelle] est possiblement plus cruelle que la peine de mort.
Ce point de vue est documenté aux États-Unis, où les deux peines coexistent. Le phénomène de condamnés à mort renonçant à leurs droits d’appel par crainte que leur peine soit réduite à l’incarcération à perpétuité est aussi documenté.»
La Canadian Prison Law Association
«L’article 745.51 demande essentiellement aux juges de parier sur quel détenu n’a aucun espoir de réhabilitation dans 25 ans. [...] Avec respect, les juges sont mal placés pour cette tâche. La Commission canadienne des libérations conditionnelles doit évaluer la progression de sa réhabilitation et le risque qu’il représente pour la société seulement lorsque le détenu est admissible à une liberté conditionnelle.»
Le Conseil national des musulmans canadiens
«Une personne qui assassine une autre personne n’équivaut pas à une personne qui en assassine plusieurs dans le cadre d’une tuerie. D’autant plus quand c’est motivé par la haine.» «La haine, c’est un facteur décisif dans le dossier Bissonnette», estime Lina El-Bakir, agente à la défense des intérêts du Québec.
L’Observatoire des mesures visant la sécurité nationale
«Avec égard, notre position tient au fait qu’il y a lieu de craindre les impacts négatifs du raisonnement inadéquat suivi par la Cour d’appel du Québec sur le droit jurisprudentiel et sur le droit pénal international [traité de Rome]. L’Observatoire, par son intervention, souhaite que la Cour suprême corrige le tir», comment Stéphane Beaulac, professeur de l’Université de Montréal et avocat-conseil à la firme Dentons LLP.