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Affaire Gabriel c. Ward: prescrit?

Affaire Gabriel c. Ward: prescrit?
MARIO BEAUREGARD/AGENCE QMI

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On sait maintenant, à la suite du jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Gabriel c. Ward, que le recours en discrimination n’était pas le bon. C’est un recours en diffamation qui aurait dû être entrepris, selon les juges majoritaires. Maintenant, plus de sept ans plus tard, ce recours est-il prescrit? Et qu'est-ce que la fameuse prescription?  

QU'EST-CE QUE LA PRESCRIPTION?

Suite à un dommage que quelqu’un nous aurait causé, on ne peut pas intenter ad vitam æternam une action contre cette personne pour obtenir réparation. Il y a un délai, généralement de trois ans, pour faire valoir nos droits, et c’est ce qu’on appelle la prescription. Elle est prévue dans le Code civil du Québec:

2921. La prescription extinctive est un moyen d’éteindre un droit par non-usage ou d’opposer une fin de non-recevoir à une action.

2925. L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.

Au-delà de ce délai, si vous engagez une poursuite, l’autre partie pourra invoquer un «moyen préliminaire» et , si elle démontre que le délai est dépassé, mettre un terme à l’action avant même qu’il y ait un vrai procès.

Il y a souvent des débats sur le moment auquel doit commencer le délai de prescription de trois ans. Habituellement, c’est à partir de la connaissance du dommage qu’on a subi. Je vous laisse imaginer tous les débats qu’il peut y avoir pour déterminer cette connaissance!

Il y a cependant des exceptions concernant la période de trois ans. Justement, en matière d’atteinte à la réputation, qui est le recours en diffamation avec lequel Jérémy Gabriel a intenté son action, le délai de prescription est réduit à un an:

2929. L’action fondée sur une atteinte à la réputation se prescrit par un an, à compter du jour où la connaissance en fut acquise par la personne diffamée.

On remarque bien que le délai est beaucoup plus court évidemment, mais on remarque également que le début de la prescription commence au moment où la personne diffamée a eu connaissance de cette diffamation.

Encore une fois, on peut beaucoup débattre de la date de connaissance de la diffamation... Dans le cas de Jérémy Gabriel, le délai de prescription aurait commencé au moment où ses représentants – en l'occurrence ses parents, puisqu'il était mineur – ont eu connaissance des blagues possiblement diffamatoires qui étaient faites à son sujet.

Théoriquement, la prescription éteindra le droit de poursuivre Mike Ward un an après cette connaissance. Un débat est certainement à venir avec Me Julius Grey pour déterminer cette fameuse date et savoir si Jérémy Gabriel peut ou non continuer son action.

QUAND LA PRESCRIPTION EST-ELLE SUSPENDUE?

Maintenant, on se demande ce qui doit avoir été fait par le clan Gabriel dans cette année suivant la connaissance des blagues possiblement diffamatoires pour que le recours de Jérémy Gabriel ne soit pas prescrit? Une mise en demeure? Une plainte à la Commission des droits de la personne? Une requête introductive d’instance? Eh bien, dans ce cas, la jurisprudence semble reconnaître que la plainte à la Commission des droits de la personne suspend le délai de prescription. 

Donc, pour que le recours reste valide, il faudrait que les représentants de Jérémy Gabriel aient déposé ladite plainte à la Commission à l’intérieur d’une année depuis leur connaissance des blagues qui pouvaient être diffamatoires... Encore une fois, il y aura certainement un débat à ce sujet.

PLUS DE 7 ANS PLUS TARD

Vous vous direz, c’est réglé, c’est prescrit... Jérémy Gabriel ne pourra pas poursuivre, puisque ça fait plus de sept ans... ça fait longtemps que l’année est passée! Eh bien, ce n’est pas tout à fait le cas, puisqu’il y a dans le Code civil du Québec une disposition qui donne une chance lorsque quelqu’un se trompe de recours.

En effet, le Code civil établit que, s’il n’y a pas eu de jugement sur le fond – ce qui pourrait être le cas dans le dossier Gabriel c. Ward, puisque les juges ont déterminé que ce n’était pas de la discrimination, mais de la diffamation, et que le Tribunal de la personne n’était pas le bon forum –, la partie qui n’était pas devant la bonne instance a trois mois pour faire valoir ses droits:

2895. Lorsque la demande d’une partie est rejetée sans qu’une décision ait été rendue sur le fond de l’affaire et que, à la date du jugement, le délai de prescription est expiré ou doit expirer dans moins de trois mois, le demandeur bénéficie d’un délai supplémentaire de trois mois à compter de la notification de l’avis du jugement, pour faire valoir son droit.

Le recours de Jérémy Gabriel semble avoir été déposé dans les trois mois du jugement de la Cour suprême, et il ne devrait pas, conséquemment, avoir de difficulté à ce point de vue.

Cependant, là où il y aura beaucoup de débats, c'est lorsqu’il faudra déterminer à quel moment la famille Gabriel a eu connaissance des blagues litigieuses et si la plainte à la Commission des droits de la personne a été déposée à l’intérieur d’une année suite à cette connaissance.

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