Pas moins de 142 Québécois sont morts de froid depuis six ans
10% de ces décès sont survenus au Nunavik, qui ne compte pourtant que 0,16% de la population de la province
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Près de 150 personnes sont mortes de froid au Québec depuis six ans. Et les Autochtones, plus particulièrement ceux du Nunavik, sont fortement surreprésentés.
Selon le bureau du coroner, 142 décès par hypothermie sont survenus au Québec entre 2015 et 2021.
En scrutant les rapports de décès, notre Bureau d’enquête a constaté que 21 d’entre eux sont survenus dans des communautés autochtones.
Le Nunavik compte à lui seul 10% des décès, bien que cette région ne comprenne que 0,16% de la population du Québec.
La grande majorité des habitants du Nunavik qui sont morts de froid avaient moins de 40 ans.
«Tous les cas sont différents, mais la plupart du temps, ce sont des jeunes qui partent à la chasse ou veulent rejoindre des amis dans une autre communauté, mais qui ne sont pas assez bien habillés», analyse Eli Angiyou, le maire d’Akulivik.
Ce village de quelque 600 âmes a perdu à lui seul cinq de ses habitants dans le froid depuis 2015. Un autre village nordique, Salluit, compte quatre décès.
Le professeur adjoint à l’Université McGill, Richard Budgell, spécialisé dans les questions de santé inuites, indique qu’il y a « une perte de transmission du savoir ancestral » qui peut affecter les habiletés de survie dans la toundra.
Mais il pointe d’abord le manque de logements pour expliquer ces décès.
Alcool en cause
«Plus de moitié des Nunavimmiuts [habitants du Nunavik] vivent dans des maisons surpeuplées, souligne M. Budgell. Si tu as un conflit avec un proche et que tu vis à dix dans une maison de deux chambres, tu ne peux pas juste aller dans ta chambre et fermer la porte. Donc tu vas dehors.»
Dans les trois quarts des cas, les personnes qui décèdent d’hypothermie dans le Nord sont sous l’effet de l’alcool.
«S’il y a des facteurs aggravants, comme une dépendance, ça peut compromettre ton jugement du risque du froid», poursuit le professeur qui est un Inuk du Labrador.
Certains cas témoignent parfois d’une détresse énorme vécue dans le Nord.
En 2017, le décès d’Alacie Inukpuk, 11 ans, a marqué les esprits à Umiujaq. Elle a été retrouvée morte à l’extérieur du village, intoxiquée.
«Ç’a été un événement traumatisant. Dans un village de 500 personnes, tout le monde se connaît», indique un résident qui a requis l’anonymat.
«L’abus d’alcool est un symptôme de détresse, rappelle le professeur Budgell. Les gens ne boivent pas sans raison.»
La météo parfois extrême dans le nord du Québec, jusqu’à -50 degrés Celsius avec le refroidissement éolien, peut aussi rendre les sorties dangereuses.
«À Akulivik, pendant les blizzards, j’ai déjà vu des infirmières qui utilisaient une corde entre leur maison et le dispensaire qui est à 100 pieds», affirme le chef adjoint de la police de Kativik, Jean-François Morin.
Les données du coroner ne tiennent pas compte des décès d’au moins quatre itinérants à Montréal depuis un an.
Des drames qui en cachent parfois d’autres
Au-delà du froid, les décès par hypothermie dans le Nord sont un autre signe de la détresse vécue dans les communautés du Nunavik.
Un an avant que Rita Anautak, 29 ans, meure de froid, ses deux parents sont morts noyés.
«Elle était très intoxiquée. Elle avait perdu son père et sa mère au printemps. Ils se sont noyés pendant qu'ils pêchaient, relate le maire d'Akulivik, Eli Angiyou. C'est probablement un des facteurs de son éloignement de la communauté.»
La détresse est palpable dans les dernières publications Facebook de Rita Anautak. Dans les deux mois avant son décès, elle écrivait «détester l'alcool» et vouloir «arrêter l'alcool».
«Je vois tellement de publications de gens qui veulent arrêter de boire et ne savent pas comment», rapporte David Qaqutuk, résidant d'Akulivik et ami de Rita.
Problèmes familiaux
Une autre victime, Alacie Inukpuk, n'avait que 11 ans quand elle est décédée dans le froid d'Umiujaq, à la fin d'octobre 2017. Son taux d'alcool dans le sang frôlait celui de la limite légale pour conduire.
L'enfant avait déjà fait l'objet d'un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse. C'est son intervenante qui a signalé sa disparition. Personne ne l'avait vue depuis trois jours.
Sa mère adoptive se trouvait à Montréal à ce moment pour y recevoir des traitements médicaux.
«La raison pour laquelle elle buvait avait beaucoup à voir avec ses ennuis familiaux. Ç'a clairement été un facteur [de son décès]», se souvient un résidant du village, qui a requis l'anonymat.
En deuil
Dans le cas de la mort de Jaaka Kumakuluk, la coroner a estimé qu'elle était «encore sous le choc d'un décès récent».
Mme Kumakuluk, 54 ans, est décédée en octobre 2019 à Salluit après avoir passé la journée à l'extérieur à boire de l'alcool.
Selon des témoignages, elle «consommait plus depuis le décès d'un être cher quelques semaines auparavant».
La détresse est grande dans le Nunavik. Le taux de suicide est six à sept fois plus élevé que dans le reste du Québec.