Rendez-vous à mi-chemin de l’Amérique
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NDLR : Notre chroniqueur Richard Latendresse parcourt les États-Unis, cette semaine, afin de mieux comprendre les ruptures de stock qui bouleversent la chaîne d’approvisionnement et dont les effets se font sentir jusque chez nous. Suivez ses reportages à TVA et LCN et ses chroniques dans Le Journal.
Pas simple d’être camionneurs ces jours-ci. Les retards de livraison : qu’est-ce qu’ils font au juste ? Les articles en manque dans les épiceries et les commerces : ils sont où ? Les prix qui grimpent : c’est leur faute sûrement ! Puis, il y a la tempête des dernières semaines autour de la vaccination obligatoire. Sans même parler du travail lui-même qui brûle son homme.
Pour essayer de comprendre où se sont brisées les chaînes d’approvisionnement, il faut trouver ce qu’on appelle, à Washington, l’Amérique profonde. Se rendre dans le Midwest, en Iowa, à un relais routier sur l’interminable Interstate 80, qui part de New York et finit à San Francisco.
Pas n’importe quel relais, toutefois : le plus grand au monde ! C’est ce qu’est devenu ce bout de terrain où Bill Moon avait installé en 1964 un garage, un magasin et un restaurant. Pas sûr que le relais soit effectivement le plus grand sur la planète, mais son stationnement pour 900 camions-remorques, sa quinzaine de pompes à diesel, les 500 employés et 5000 visiteurs qui y passent chaque jour lui donnent droit à cette prétention.
LES FREINS DE LA PANDÉMIE
Les deux dernières années ont été éprouvantes pour Delia Meier, la fille de Bill Moon, qui gère aujourd’hui le truck-stop. « Comme pour tout le monde, la pandémie nous a ébranlés, mais peut-être encore plus, insiste-t-elle. Nous dépendons des camionneurs sur la route et à l’intérieur de deux semaines, à la mi-mars 2020, tout s’est arrêté. »
Avec le temps, elle a appris à les connaître, les camionneurs. Alors, elle et son équipe, après quelques jours, ont commencé à les appeler, un à un. « Si vous avez besoin de garder une “distance sociale”, c’est facile de le faire dans le plus grand relais routier au monde. C’est ici que vous voulez être ! »
Et ils sont revenus, au point où le chiffre d’affaires du relais correspond à 90 % de ce qui se faisait avant la pandémie. Facile de constater, à interroger les chauffeurs, qu’ils étaient impatients de reprendre la route. « J’aime mon métier, me raconte une routière. J’aime la liberté qu’il m’offre et le fait d’être payée pour cela ! »
AH, CETTE FAMEUSE LIBERTÉ !
Le mot est galvaudé, et pourtant, il revient spontanément, naturellement dans la bouche des camionneurs. Un d’entre eux qui m’expliquait que les compagnies offrent des tarifs toujours plus bas aux chauffeurs et à qui je demandais pourquoi alors choisir une telle vie m’a impulsivement rétorqué : la liberté. « Je suis mon patron. Je me lève quand je veux. Je roule aussi loin que je le veux. »
« Mon tableau de bord et mon pare-brise, c’est mon bureau », m’a lancé un autre chauffeur, tout heureux aujourd’hui de voyager avec sa conjointe, après des années à faire le chemin seul. La plupart n’ont pas cette chance.
C’est d’ailleurs une des raisons qui expliquent les difficultés de recrutement : on passe souvent des semaines loin de chez soi. Il faut un certain caractère pour ce type de vie et il semble bien qu’ils soient de plus en plus rares, ceux qui se laissent tenter. La liberté ne suffit plus.
À propos de l’Iowa 80
- Pas tout à fait à mi-chemin des États-Unis...
- À 15 heures de New York et 29 heures de San Francisco.
- Établi en 1964... Ils en sont à recevoir la 4e génération de camionneurs.
- Depuis 50 ans, 3,5 millions de tasses de café et 19 millions d’œufs au déjeuner.
- Le relais est ouvert 24 heures sur 24, 365 jours par année.
- 5000 visiteurs en moyenne s’y arrêtent chaque jour.