Charest muet sur ses derniers mandats
L’ancien premier ministre imite Denis Coderre en rechignant à dévoiler l’ensemble de ses activités au privé
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Après sa défaite en 2012, Jean Charest, désormais candidat à la chefferie du Parti conservateur du Canada (PCC), a poursuivi une carrière au privé. Le Journal a tenté d’en savoir plus sur ses derniers mandats et ses revenus, mais pour le principal intéressé, c’est motus et bouche cousue.
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Depuis neuf ans, M. Charest est retourné à la pratique du droit au sein du cabinet McCarthy Tétrault à Montréal. À titre d’avocat associé, il a conseillé de multiples clients « et les guide à travers les dédales du milieu des affaires internationales », est-il écrit sur le site internet.
Mais qu’a-t-il fait concrètement au cours des deux dernières années, juste avant de se lancer en vue de réaliser son rêve de devenir premier ministre du Canada ? Sur cette question, l’équipe de M. Charest demeure silencieuse.
Questionnée plusieurs fois, son attachée de presse Laurence Tôth nous a dirigés vers l’employeur de M. Charest. « Il est de la responsabilité de McCarthy Tétrault de répondre à ces questions », a-t-elle écrit au Journal.
Mais après plusieurs demandes, le cabinet d’avocats de M. Charest n’a jamais daigné répondre à nos interrogations. Une mauvaise stratégie, croient les spécialistes consultés.
« Il y a eu beaucoup de présomptions au sujet de M. Charest avec la commission Charbonneau, l’enquête Mâchurer. Je crois qu’il devrait prendre les devants pour éviter tout soupçon, il devrait jouer à Monsieur Net », a souligné André Lamoureux, chargé de cours au Département de science politique de l’UQAM.
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Des risques de se « Coderriser » ?
En novembre dernier, Denis Coderre, qui tentait de redevenir maire de Montréal, avait refusé pendant plusieurs jours de dévoiler sa liste de clients. Il avait finalement accepté, mais la controverse avait largement contribué à sa défaite électorale.
« Ça sera à M. Charest de nous montrer que son passé professionnel peut être compatible. Si pour un aspirant maire, ç’a posé un problème stratégique très sérieux, on peut penser que pour un aspirant premier ministre du Canada, ça va devenir un enjeu important », indique Philippe Dubois, membre du Groupe de recherche en communication politique à l’Université Laval.
Malgré tout, les règles actuelles ne peuvent forcer M. Charest à dévoiler l’identité de ses clients.
« On pourrait dire que les normes informelles d’éthique et d’intégrité devraient amener M. Charest à être plus transparent. Mais ces normes ne sont pas obligatoires, chacun les interprète selon sa volonté », estime Denis Saint-Martin, professeur titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal.
D’autres questions se posent
Sans connaître ses mandats spécifiques, Le Journal rapportait il y a quelques jours que Jean Charest a eu une vie professionnelle très active dans le secteur privé, mais certaines activités amènent leur lot de questionnements (voir texte sur Huawei).
Par exemple, il a notamment présidé Windiga Énergie, une firme québécoise qui produit de l’énergie verte en Afrique, dont le nom figure dans les Paradise Papers, une information révélée tout d’abord par le site Droit.Inc.
Joint à ce sujet, le PDG de Windiga Énergie, Benoit La Salle, a indiqué au Journal qu’il devait passer par un pays comme les Barbades pour éviter de se faire imposer à deux endroits en Afrique où il n’y a pas de traité fiscal.
« Jean n’était pas là-dedans, pas du tout, a-t-il assuré en entrevue. C’est tout à fait légal, même recommandé par Revenu Canada parce que, sinon, tu as une double fiscalité. »
M. Charest a aussi eu un mandat controversé avec la pétrolière TransCanada jusqu’en 2015, maintenant TC Énergie. Selon le Globe and Mail, il avait tenté d’organiser une rencontre avec le bureau du premier ministre Justin Trudeau.
La commissaire au lobbying du Canada avait finalement conclu que M. Charest n’avait pas enfreint la Loi sur le lobbying.
Lors du lancement de sa campagne au leadership, il s’est fait le défenseur de la construction de nouveaux oléoducs et gazoducs en territoire canadien.
D’AUTRES ORGANISATIONS AYANT EU RECOURS AUX SERVICES DE JEAN CHAREST
- Corporation des associations de détaillants d’automobiles (CADA)
- La minière Goldcorp
- Le secteur de l’aérospatiale
- Costco
– Avec la collaboration de Philippe Langlois
Le géant Huawei, un client embarrassant ?
Le candidat à la chefferie du Parti conservateur du Canada (PCC) Jean Charest, qui a été consultant pour le fabricant chinois de téléphones Huawei, devra vite clarifier la nature de sa relation avec la firme, selon des observateurs.
En 2019, en plein froid diplomatique entre Ottawa et Pékin après l’arrestation de la numéro deux de Huawei, Meng Wanzhou, et l’emprisonnement des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, M. Charest avait prodigué des conseils stratégiques à l’entreprise durant quelques mois.
Huawei, qui est accusé d’espionnage par le gouvernement américain, avait même versé 6000 $ pour commanditer une soirée célébrant la carrière politique de M. Charest, avait rapporté le Bureau d’enquête.
Montrer patte blanche
« Faudra qu’il démontre qu’il y a un mur étanche entre lui et ce dossier et qu’il n’a plus de liens avec eux », assure le professeur Philippe Dubois, membre du Groupe de recherche en communication politique à l’Université Laval.
« Dans ce cas-là et dans tous ses mandats, il doit jouer franc-jeu. C’est à lui à démontrer qu’il n’y aura pas de conflit d’intérêts avec cette entreprise ou avec une autre », indique André Lamoureux, chargé de cours au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal.
Alors qu’Ottawa n’a pas encore décidé s’il allait bannir le réseau 5G du géant chinois, M. Charest aurait tout avantage à jouer la transparence, croit aussi l’ex-ambassadeur canadien en Chine Guy Saint-Jacques.
« J’aurais confiance pour qu’il soit objectif, mais on est au stade où ça serait utile qu’il clarifie sa position », a-t-il estimé lors d’une entrevue avec Le Journal.
Hier, Huawei a confirmé au Journal que Jean Charest avait surtout travaillé pour la firme chinoise dans le dossier du 5G plutôt que dans celui de l’extradition de Meng Wanzhou, survenue en 2021.
« Huawei est reconnaissant envers Jean Charest et l’équipe [d’avocats] de McCarthy Tétrault pour leurs loyaux conseils et leur soutien depuis la mi-2019 », a indiqué Alykhan Velshi, ex-stratège conservateur, aujourd’hui v.-p. corporatif de Huawei.