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Bissonnette devant la Cour suprême aujourd’hui

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À quoi s’attendre? 25 ans MINIMUM, est-ce suffisant pour un prévenu qui a fait plusieurs meurtres? A-t-on oublié que la peine n’est pas 25 ans, mais bien la prison à vie? Faisons-nous confiance à la Commission des libérations conditionnelles pour ne pas libérer un meurtrier après 25 ans s’il n’est pas réhabilité? Est-ce que permettre que l'on impose des minimums de 150 ans avant la libération conditionnelle – ce qui équivaudrait à retirer à un détenu toute possibilité de sortir un jour de prison – serait plus dissuasif pour ceux qui seraient tentés de commettre plusieurs meurtres? La Cour suprême n’aura pas une tâche facile, aujourd'hui, à l’audition du dossier d’Alexandre Bissonnette, auteur de la tuerie de la mosquée de Québec.

Pour bien comprendre, il faut commencer par le début. Avant les peines d’emprisonnement à perpétuité, il y avait la peine de mort pour les crimes graves comme la haute trahison et le meurtre. Maintenant, des crimes comme le meurtre au premier degré sont punis d’une peine minimale d'emprisonnement à perpétuité, avec aucune possibilité de libération conditionnelle avant que 25 ans se soient écoulés; le meurtre au second degré est aussi puni d’une peine minimale d'emprisonnement à perpétuité, mais avec une période de 10 à 25 ans avant que la libération conditionnelle soit possible. Ces dispositions ont été adoptées à la suite de l’abolition de la peine de mort au Canada.

On ne peut plus enlever la vie à un meurtrier pour le punir, puisqu'il est inhumain d’agir ainsi, mais on peut l’emprisonner à vie, puisque son crime est odieux et très grave. Par contre, les autorités, à l’époque, ont prévu une possibilité de libération conditionnelle après un certain temps, pour respecter un des piliers de notre système pénal, qui est la possibilité de réhabilitation d’un criminel. À cet effet, on met en place une commission pour déterminer si une personne qui a commis un crime très grave est réhabilitée avant de la laisser sortir au terme de sa période d’inadmissibilité. Cette personne demeure quand même surveillée par la commission toute sa vie.

Le gouvernement Harper, trouvant que l'on devait être plus sévère avec un prévenu ayant commis plusieurs meurtres, a fait adopter en 2011 la Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples, permettant ainsi qu'un article du Code criminel autorise le juge à additionner les périodes d’inadmissibilité à la libération par blocs de 25 ans en cas de meurtres au premier degré et par blocs de 10 à 25 ans en cas de meurtres au deuxième degré:  

  • 745.51 (1) Au moment de prononcer la peine conformément à l’article 745, le juge qui préside le procès du délinquant qui est déclaré coupable de meurtre et qui a été déclaré coupable d’un ou plusieurs autres meurtres — ou en cas d’empêchement, tout juge du même tribunal — peut, compte tenu du caractère du délinquant, de la nature de l’infraction et des circonstances entourant sa perpétration ainsi que de toute recommandation formulée en vertu de l’article 745.21, ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement.   

Lorsqu’on dit «purgées consécutivement», dans cet article, cela veut dire que les périodes d’inadmissibilité sont additionnées. D’où le 25 + 25 ou le 10 + 10...

C’est à ce moment qu'a commencé le débat qui trouvera sa finalité à la Cour suprême aujourd’hui. Cet article est-il inconstitutionnel? Bafoue-t-il la Constitution, qui est au-dessus de toutes les lois? Peut-on vraiment prévoir qu’une personne n’aura pas le droit de démontrer qu’elle est réhabilitée? Dans certains cas avant la fin de sa vie, lorsqu’on parle de 50 ans minimum, ou encore jamais, lorsqu’on parle de plus... possiblement 150 ans dans le cas de Bissonnette. 

Le débat va dans tous les sens, pour le moment. D’un côté, on rappelle toujours qu’une peine n’est pas une vengeance et que de ne pas permettre la libération conditionnelle dans un délai raisonnable constituerait une peine cruelle et inusitée sanctionnée par la Charte. De l’autre côté, on se demande comment quantifier l’horreur. Comment démontrer, par la sévérité de la peine, qu’une tuerie est pire qu’un meurtre?

Jusqu'à maintenant, au Québec, la Cour supérieure a déterminé que l'article en question n’est pas constitutionnel, mais le juge Huot a tenté de le réparer en imposant à Bissonnette une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 40 ans. La Cour d’appel du Québec n’a pas acheté cette théorie. Pour elle, l’article est tout simplement inconstitutionnel et le juge de première instance n’avait pas l’autorité de le changer – de le réparer – dans son jugement.

Pour l’instant, la situation est telle, au Canada, que la peine pour Alexandre Bissonnette est la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans; que la peine pour Justin Bourque, auteur de la fusillade qui a fait trois morts à Moncton en 2014, est la prison à vie sans possibilité de libération avant 75 ans; que la peine de Bruce McArthur, ce jardinier de l’Ontario qui a tué et enterré huit personnes, est la prison à vie sans possibilité de libération avant 50 ans. Le bordel, quoi...

C’est pourquoi la Cour Suprême du Canada aura aujourd’hui pour mandat de faire le ménage, de se pencher sur la possibilité d'additionner les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle en cas de meurtres multiples. Pour ma part, je crois que cet article sera invalidé par la Cour, mais je crois fermement, également, qu’il est temps de mieux faire connaître la Commission des libérations conditionnelles, pour préserver la confiance du public, et d’investir dans cette commission pour que le travail soit bien fait et qu'un meurtrier ne soit pas libéré s’il n’est pas réhabilité. 

Le cas d’Eustachio Gallese, cet homme qui avait tué une travailleuse du sexe après sa sortie de prison – il s'y trouvait pour avoir tué sa conjointe –, ne nous rassure pas du tout. Mais le cas de Paul Bernardo, ce tueur en série qui a plusieurs fois demandé sa libération conditionnelle sans succès, nous rassure.

À suivre! Pour ceux qui sont intéressés par cette cause, vous pouvez suivre l’audience en direct à 9h30 sur le site de la Cour suprême dans la section «Audiences»: https://www.scc-csc.ca/home-accueil/index-fra.aspx.

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