[EN IMAGES] L’Histoire prend la pose: voici des photographes anciens célèbres au Québec
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Le procédé photographique a officiellement été inventé en 1839: cette année-là, Louis-Jacques Mandé Daguerre met au point la technique qui portera son nom, le daguerréotype. Cette nouveauté plaît immédiatement: plusieurs personnes s’y initient et ouvrent leur propre studio dans les grandes villes. À cette époque, il faut être à la fois artiste et chimiste pour réaliser des photos! Découvrons quelques procédés et photographes québécois d’autrefois.
1) Photographes et procédés pionniers
Au tout début, les techniques photographiques sont laborieuses: il faut d’abord capter l’image sur une plaque de cuivre recouverte d’argent, puis employer successivement des vapeurs d’iode et de mercure. De 60 à 100 heures sont nécessaires... pour obtenir une image un peu floue. Et pourtant, c’est une véritable révolution.
Dès l’automne 1840, les Américains Halsey et Sadd installent leurs studios à Montréal et à Québec. Une certaine madame Fletcher publie une petite annonce dans le Montreal Transcript le 11 septembre 1841, faisant la promotion de ses services dans «l’art photogénique» et affirmant faire d’aussi beaux daguerréotypes que les artistes américains ou européens. Son studio est situé à la place d’Armes, à Montréal.
2) William Notman, photographe de la Reine
On voit rapidement apparaître de nouveaux procédés photographiques sur plaque de verre, soit l’ambrotype (1854) et le tintype (1856). Presque aussi complexes que le daguerréotype, ils permettent toutefois de diminuer les temps de pose et de développement ainsi que de réaliser des copies d’une même image.
William Notman est l’un des premiers à ouvrir un studio de photographie au Québec. Dès 1856, cet immigrant d’origine écossaise exerce ses talents à Montréal: il immortalise, entre autres, les travaux de construction puis l’inauguration du pont Victoria. Sa notoriété – il reçoit même le titre de «photographe de la Reine» – attire une vaste clientèle. Ses fils s’initient eux aussi à la photographie, œuvrant dans le studio familial. Pendant les années 1870, Notman, ses fils et ses assistants produisent environ 14 000 images par année!
3) Trois générations de photographes à Québec: les Livernois
La photographie démocratise l’art du portrait. C’est d’ailleurs le portrait en studio qui constitue la principale activité des premiers photographes. Mais l’équipement est lourd et encombrant. Même s’il existe des «daguerréotypeurs» itinérants qui vont de ville en ville, il est bien plus pratique de recevoir les clients en studio!
C’est comme portraitistes que Jules-Isaïe Benoît, dit Livernois, et son épouse, Élise L’Heureux, entament une fructueuse carrière de photographes. Le couple ouvre son studio de daguerréotypie à Québec en 1854. Sa clientèle aime tout particulièrement les portraits en format «carte de visite». Le fils d’Élise et de Jules-Isaïe, Jules-Ernest Livernois, prend la direction de l’entreprise familiale en 1873, puis le fils de ce dernier, Jules Livernois, reprend le flambeau en 1898.
Ne se limitant pas aux portraits, les photographes Livernois immortalisent aussi des monuments, des œuvres d’art et des artéfacts, puis des attraits touristiques de Québec et des régions avoisinantes, dont les images sont mises en vente dans leurs studios. On estime que cette famille a produit plus de 300 000 photographies.
4) Louis-Prudent Vallée, champion de la stéréoscopie
La stéréoscopie est une technique qui permet de créer un effet tridimensionnel: deux photos quasi identiques mais légèrement décalées sont placées dans un appareil permettant de les regarder simultanément, l’une avec l’œil droit, l’autre avec l’œil gauche. Les stéréogrammes deviennent très populaires vers la fin du 19e siècle.
Le photographe Louis-Prudent Vallée en fera sa spécialité. Natif de Québec, il s’initie au métier dans les années 1860, probablement auprès de Jules-Isaïe Livernois, puis il effectue un stage à New York. Entre 1867 et 1889, Vallée arpente la ville de Québec et ses alentours ainsi que la région du Saguenay dans son laboratoire mobile, tiré par des chevaux. Ses vues en stéréoscopie remportent beaucoup de succès, notamment auprès des touristes!
5) Sally E. Wood, photographe indépendante
Les femmes qui pratiquent la photographie de manière indépendante (hors de la sphère maritale ou familiale) sont assez rares au Québec. C’est pourtant le cas de Sally Elizabeth Wood. Ayant fait l’apprentissage de la photographie auprès de William Notman, Wood ouvre son propre studio à Knowlton, sa ville natale, en 1897. Elle utilise principalement des négatifs sur plaque de verre. Une part importante de son activité se déroule en studio. Ses modèles prennent la pose de manière très sobre, en pied ou avec une chaise, sur fond peint ou uni.
Wood n’hésite toutefois pas à déplacer ses caméras, ses lentilles, ses trépieds et ses plaques de verre pour sortir photographier divers établissements extérieurs ainsi que des paysages. Ses œuvres sont publiées sous forme de cartes postales par James Valentine & Sons, en Écosse. Fait à noter, elles portent clairement la marque de Wood (ce qui n’est pas toujours le cas, bien des cartes restant anonymes), ce qui contribue à la postérité de cette photographe.
6) W.B. Edwards, la ville vue des airs
Originaire d’Angleterre, William Bertram Edwards émigre au Canada, où il exerce différents métiers, dont celui d’imprimeur, avant de s’enrôler dans l’armée. Il ouvre son studio de photographie à Québec en 1917. S’il réalise des portraits et des photos commerciales en studio, Edwards fait surtout sa marque comme photographe d’extérieur, immortalisant des paysages, des bâtiments et des vues panoramiques. Ses photos permettent d’observer la transformation du paysage urbain. Pour la première fois en 1937, il loue un avion afin de croquer, du haut des airs, les différents arrondissements de la ville de Québec et des environs. Deux de ses quatre enfants le secondent dans ses activités.
Malgré les différentes innovations techniques de la première moitié du 20e siècle, Edwards demeurera toujours fidèle à ses caméras et aux négatifs de verre de grand format, ce qui explique l’exceptionnelle netteté de ses images. En 1965, un incendie va détruire des centaines de boîtes de négatifs et de clichés... Heureusement, il en subsiste un très grand nombre.
7) Fred C. Würtele, passionné de vues fluviales et militaires
La photographie n’attire pas seulement les professionnels: de nombreuses personnes la pratiquent comme passe-temps, en dilettantes. C’est le cas de Frédérick Christian Würtele. Diplômé de l’École militaire, comptable de profession et féru d’histoire, c’est en tant qu’amateur qu’il s’initie à la photographie vers la fin du 19e siècle. Il faut dire que l’invention du celluloïd et la fabrication de «films» ou de «pellicules» photographiques permettent à cette forme d’art de devenir plus accessible au grand public: il n’est désormais plus nécessaire de maîtriser la chimie, puisqu’il suffit d’appuyer sur le bouton de l’appareil photo.
Précurseur de la photographie urbaine, Würtele parcourt la ville de Québec afin de photographier ses monuments, ses événements principaux et marquants, sa vie militaire et ses vues portuaires. De plus, il se rend à Lévis, sur la côte de Beaupré et à l'île d’Orléans; il va occasionnellement jusqu’à Montréal, à Ottawa et même à Toronto. À son décès en 1920, on comptabilise plus de 500 clichés.
8) Les Lemay, photographes de père en fille
Montréal et Québec n’ont pas le monopole des studios de photographie. Joseph-Eudore Lemay est le fils de Pamphile Lemay, célèbre écrivain, poète et bibliothécaire du gouvernement provincial. Après ses études en photographie, il décide de quitter Québec en 1906 pour s’établir à Chicoutimi et d’y ouvrir son propre studio sur la rue Racine.
Le travail photographique de Lemay est vite reconnu et apprécié. Sa fille, Aline, devient son assistante dès 1925, s’occupant entre autres du travail de retouche et de chambre noire. Pendant plus de quatre décennies, les notables locaux et les prêtres et de simples citoyens du Saguenay–Lac-Saint-Jean défileront dans leur studio. Sont aussi immortalisés sur pellicule les différents clubs sportifs de la région, ainsi que bon nombre de «gens ordinaires». Au décès de son père en 1947, Aline Lemay prend seule la relève de l’entreprise. À sa fermeture en 1967, le fonds Lemay compte près de 70 000 photographies!
9) Immortaliser les régions: Joseph-Émile Chabot
Si elle met plus de temps à démarrer, l’activité des photographes à l’extérieur des grands centres n’en est pas moins florissante. Né dans le comté de Bellechasse en 1897, Joseph-Émile Chabot s’initie au métier de photographe en travaillant au studio Livernois, à Québec. Il démarre à son compte au milieu des années 1920. L’activité professionnelle de Chabot évolue beaucoup au fil du temps. Se consacrant d’abord à la prise de portraits et de photos de mariage, il se tourne ensuite vers les paysages ruraux, notamment au Saguenay–Lac-Saint-Jean.
Chabot se procure même une goélette afin d’y installer son studio «flottant» (chambre noire comprise), ce qui lui permet de parcourir le littoral nord-côtier jusqu’à Blanc-Sablon. Il parvient à amadouer les Nord-Côtiers, pourtant réticents à se laisser photographier: ces derniers se méfient des photographes ambulants qui se font payer à l’avance en promettant d’expédier les clichés par la poste... puis qui omettent de remplir cette promesse! Chabot pourra donc photographier des pêcheurs, des membres des communautés innues, des travailleurs forestiers et bien d’autres personnes encore.
10) Une fratrie prolifique: les photographes Bonneau
Un autre exemple qui mérite notre attention est celui des photographes Bonneau. Né au Lac-Saint-Jean en 1909, Émilien Bonneau entame sa carrière de photographe en 1935, en ouvrant un studio à Dolbeau, puis à Alma, secondé par sa jeune épouse, Anne-Marie Boily. À la suite de l’incendie de son commerce (rappelons que les produits chimiques utilisés pour le développement sont hautement inflammables), il s’installe à Chicoutimi en 1941.
Le studio d’Émilien Bonneau sera en activité pendant presque un demi-siècle, d’abord sous l’administration du fondateur, puis sous la houlette de Rémy Paré jusqu’en 1990. Le fonds d’archives de ce studio, qui comprend près de 125 000 négatifs en celluloïd (surtout des portraits et des photos de mariage ainsi que des bâtiments et des événements), est conservé à BAnQ Saguenay.
Les autres frères Bonneau deviendront photographes eux aussi. Sylvio Bonneau pratiquera cet art à Bagotville (de 1939 à 1946), puis à Jonquière (1946-1967). Après leur service militaire pendant la Seconde Guerre mondiale, Hermas et Alphée Bonneau profitent des formations offertes aux anciens combattants par le gouvernement canadien pour suivre des cours de photographie: le premier s’installe à Bagotville, le second à Thurso, en Outaouais.
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En notre ère numérique, on n’a jamais pris autant de photo... mais celles-ci restent largement intangibles: qui prend encore la peine de les faire développer? Que subsistera-t-il de nos propres clichés familiaux et souvenirs de vacances? À méditer.
Un texte de Catherine Ferland, historienne, pour les Rendez-vous d’histoire de Québec
Les 5e Rendez-vous d’histoire de Québec se tiendront du 10 au 14 août 2022. Au sein de la riche programmation, ne manquez pas le volet spécial «L’Histoire se fait tirer le portrait!», incluant des conférences gratuites sur Sally Wood et la famille Livernois ainsi qu’un vrai studio de photo tintype. On trouvera toutes les informations ainsi que l'accès aux billets au rvhqc.com et sur la page facebook.com/rvhqc.