Le pape au Québec: «Oui, des excuses, mais il faut que celles-ci soient sincères»
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Des délégations autochtones des quatre coins de la province convergent vers Québec pour assister à la messe présidée par le pape François à Sainte-Anne-de-Beaupré, jeudi.
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Tout comme il l'a fait à Rome en avril dernier, le pape devrait prononcer des excuses tant officielles qu'historiques aux délégations des Premières Nations, aux Métisses et aux Inuits pour le rôle de l'Église catholique dans les pensionnats autochtones. De son aveu lui-même, les torts sont nombreux: abus physiques et sexuels, déracinement familial et culturel, interdiction de parler la langue, sans oublier les répercussions sur les générations qui suivent.
«C'est un moment qui ne se reproduira pas. Ces excuses sont une étape importante de la guérison personnelle pour bien des survivants. Mais on en a perdu beaucoup en cours de route. Ceux qui seront présents vont aussi recevoir les excuses pour ceux qui ne sont plus là», a commenté Ghislain Picard, chef de l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador.
Selon l'ethnologue abénaquise Nicole O'Bomsawin, le lieu de pèlerinage représente plus qu'un symbole pour les Premières Nations. «Sainte-Anne-de-Beaupré c'est un lieu qui est fréquenté par les premières nations depuis 1700 ans. C'est un lieu de dévotion et de rassemblement. [...] Les excuses du pape, je crois, vont aussi redonner le pouvoir aux autochtones, dont celui de vivre et pratiquer leur culture, leurs cérémonies traditionnelles», a expliqué celle qui agit aussi à titre d'accompagnatrice de la délégation abénaquise.
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Des places limitées
Le chef de l'Église catholique arrivera mercredi à Québec et prendra un bain de foule sur les Plaines d'Abraham. Les allocutions seront accompagnées de prestations artistiques et culturelles autochtones. Plusieurs y voient l'occasion d'échanger sur le passé, mais aussi de tisser des liens pour l'avenir.
Quelque 10 000 places sont disponibles sur le site religieux et 1400 à l'intérieur de la Basilique. De ce nombre, 70% sont réservées aux autochtones. «Nous on a 42 passes et seulement 10 personnes pourront être assises à l'intérieur. Je trouve ça ordinaire. Je me demande comment on va faire pour choisir!» a déploré Johnny Wylde, survivant et coordonnateur des anciens de la communauté Abitibiwinni de Pikogan.
«Il y a des gens qui parcourent des centaines de kilomètres pour se rendre sur place et recevoir les excuses en personne. En plus de la fatigue du voyage, il y a tout ce que ces gens portent en eux. On veut s'assurer de l'accueil qu'ils vont recevoir», a ajouté Ghislain Picard.
Des accompagnateurs font aussi partie du voyage, que ce soit pour assurer la traduction en langue autochtone ou encore soutenir psychologiquement les survivants, pour qui cette rencontre historique risque de faire remonter à la surface des traumatismes profonds. Les discours du pape seront d'ailleurs traduits en 12 langues autochtones.
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Après les paroles, les gestes
Parmi les actions réclamées, il y a celle de donner un accès illimité aux archives qui concernent les pensionnats autochtones gérés par l'Église. Au Canada, 150 000 enfants autochtones ont fréquenté ces lieux, et, selon le Centre national pour la vérité et la réconciliation, plus de 4000 y sont morts.
«Moi les excuses du pape ça ne me dit rien. J'aimerais qu'il nous donne les archives, les photos. On va s'arranger avec et faire ce qu'on a à faire. Tout ce qui s'est passé ici au pensionnat. Je veux voir tout ce qu'il y avait là-dedans», a déclaré Johnny Wylde en faisant référence au pensionnat de Saint-Marc-de-Figuery, près d'Amos. La Première Nation d'Abitibiwinni, maintenant propriétaire du site, a d'ailleurs signifié dernièrement son intention d'aller de l'avant avec des fouilles sur le site.
«Une demande de pardon oui, mais ça doit être sincère. Et ça, ce ne sont que les survivants qui vont pouvoir en prendre la mesure», a dit Ghislain Picard, chef APNQL.
Un pardon qui ne se fera pas du jour au lendemain
Le guide spirituel atikamekw et survivant des pensionnats, Marcel Petiquay, a été invité à prendre part à la messe qui sera prononcée par le pape à la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré. Il a préféré laisser sa place. Celui qui a aussi subi toute sorte d'abus entre les murs de l'établissement géré par les Oblats, après s'être guéri de ses problèmes de toxicomanie et de violence, une des conséquences directes des années de maltraitance et de déracinement, est devenu guide spirituel et aidant pour d'autres survivants. Jeudi, il sera donc avec ces derniers.
«Je travaille encore beaucoup avec les survivants, dont ceux qui ont subi des abus sexuels. J'espère que la rencontre avec le pape va nous aider, peut-être, à maintenant pouvoir travailler avec l'Église. [...] La guérison c'est un long trajet. Le pardon ne se fera pas en seulement une rencontre», a témoigné l'aîné atikamekw originaire de Wemotaci.
Tout comme lui, de nombreux survivants ont préféré se tourner vers les cérémonies et les rites ancestraux autochtones pour guérir et avancer. «Il ne faut pas penser que le pardon va se faire du jour au lendemain. Les conséquences des traumatismes vécus là-bas sont toujours bien présentes. Et bien des survivants n'arrivent pas encore à parler de ce qu'ils ont vécu», a ajouté M. Picard, chef de l'APNQL.