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[EN IMAGES] 6 facettes du passé fluvial, portuaire et maritime de Québec

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Si la devise de Paris est «Flotte mais ne coule pas», celle de la ville de Québec aurait bien pu être «Elle domine les eaux». L’importance du fleuve se manifeste toutefois dans ses armoiries, qui arborent un navire ancien voguant à pleines voiles d’or. La navigation et la vie portuaire sont en effet étroitement imbriquées dans l’histoire et l’identité de la cité de Champlain! Découvrons six temps forts de ce fascinant passé.

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1) Soixante mètres sous les mers

Fond marin de l’Ordovicien moyen, il y a 450 millions d’années. Reconstitution du musée Redpath de l’Université McGill, Montréal.
Photo Catherine Ferland, 2019
Fond marin de l’Ordovicien moyen, il y a 450 millions d’années. Reconstitution du musée Redpath de l’Université McGill, Montréal.

Avant de s’intéresser aux humains eux-mêmes, jetons un coup d’œil à la très ancienne histoire géologique du territoire. Car bien avant que les humains s’y installent, le territoire qui allait devenir Québec et sa région entretenait déjà un rapport étroit avec l’univers maritime! Il y a environ 460 millions d’années, toute la zone était totalement immergée sous un océan fourmillant de vie.

Au cours des millions d’années qui suivent, un refroidissement majeur entraîne la dernière ère glaciaire. Le site de la future ville de Québec se retrouve «coiffé» d’une calotte de glace de 3000 m d’épaisseur! Lorsque cet immense glacier (inlandsis laurentidien, pour les intimes) commence à fondre, il y a environ 13 000 ans, l’eau de fonte s’accumule, rejointe par l’eau salée de l’océan Atlantique. Ce phénomène crée ce que les géologues ont baptisé la «mer de Champlain». Le territoire qui nous intéresse est alors à environ 60 m sous l’eau! Seuls les points les plus élevés affleurent, soit le plateau de Sainte-Foy, le cap aux Diamants et les hauteurs de Beauport. La mer de Champlain se vide ensuite progressivement, ne laissant que le fleuve Saint-Laurent.

L’empreinte de la vie marine se remarque dans les pierres ayant servi à construire plusieurs édifices de Québec. Ici, la coquille d’un gastéropode à la base de l’édifice de l’ancien magasin Laliberté, sur le boulevard Charest.
Robert Ledoux, Petit traité de paléontologie urbaine. Fossiles dans les pierres architecturales de la ville de Québec, Département de géographie, Université Laval, 2016.
L’empreinte de la vie marine se remarque dans les pierres ayant servi à construire plusieurs édifices de Québec. Ici, la coquille d’un gastéropode à la base de l’édifice de l’ancien magasin Laliberté, sur le boulevard Charest.

Fait intéressant, de nombreuses pierres calcaires ayant servi à la construction de bâtiments comportent les vestiges fossilisés de petits animaux marins et de coquillages de ces lointaines périodes. C’est le cas de l’édifice Price, de l’église Notre-Dame-des-Victoires, du Séminaire de Québec et du Château Frontenac. L’œil attentif peut remarquer dans ces pierres les délicates empreintes rappelant le lointain passé océanique de la région de Québec.

2) De carrefour commercial à port transatlantique

Matin brumeux sur le fleuve, 1885, par Frederick Arthur Verner.
Art Gallery of Nova Scotia. Domaine public.
Matin brumeux sur le fleuve, 1885, par Frederick Arthur Verner.

Le secteur de Québec était déjà fréquenté il y a plusieurs milliers d’années par des populations nomades, les ancêtres des Premières Nations actuelles. Le vaste fleuve Saint-Laurent et ses affluents ont servi de véritable colonne vertébrale au territoire: il faut reconnaître qu’il est tellement plus facile et rapide de se déplacer par la navigation que par la voie terrestre! 

Des découvertes archéologiques ont révélé que des campements temporaires étaient construits sur les berges du fleuve, de même qu’à l’embouchure des autres cours d’eau, notamment l’anse du Cap-Rouge et la rivière Saint-Charles. On pratiquait une fructueuse pêche à l’anguille, au saumon et à de nombreuses autres espèces. Des peuples venant d’aussi loin que le lac Saint-Jean et la péninsule gaspésienne s’y rencontraient en saison estivale, pour échanger et commercer, un fait corroboré par la tradition orale de plusieurs nations. Bref, la région de la future ville de Québec jouait un rôle de carrefour commercial bien avant l’arrivée des Européens. Lorsque Jacques Cartier «découvre» les environs en 1535, il saisit immédiatement le potentiel du lieu.

Détail d'une carte dessinée par Mahier montrant Québec en 1729.
Bibliothèque nationale de France , GE D 7825 . Domaine public.
Détail d'une carte dessinée par Mahier montrant Québec en 1729.

C’est aussi par la voie des eaux que Samuel de Champlain et son équipage parviennent au pied du cap aux Diamants pour y établir une colonie. La ville de Québec est fondée le 3 juillet 1608. Choisi notamment pour ses qualités maritimes, le site comporte effectivement plusieurs avantages très favorables à la navigation, dont un grand bassin pouvant accueillir simultanément plusieurs navires. Cet avantage est indispensable, Québec étant la capitale de ce nouvel empire français d’Amérique qu’on appelle la Nouvelle-France. Très isolée, la colonie compte sur le fleuve pour assurer les liaisons avec sa métropole: il faut naviguer sur plus de 5000 km, incluant la traversée d’un océan, pour relier Québec et Paris! 

3) Une place forte

Gravure de Charles Van Tenac, 1847. Bibliothèque nationale de France. Domaine public.

L’emplacement de Québec par rapport au fleuve représente aussi un avantage stratégique: puisqu’elle a été fondée à l’endroit où le Saint-Laurent est le moins large, la ville représente en quelque sorte le verrou de sécurité, le sas empêchant un éventuel ennemi de pénétrer plus loin dans les terres en suivant le fleuve. Diverses structures militaires, notamment dans la zone portuaire, reflètent ces préoccupations défensives.

La menace est bien réelle: les Anglais, qui n’ont pas oublié les succès des frères Kirke à la fin des années 1620, continuent de reluquer Québec. Dès 1660, les autorités de la colonie font ériger une première plateforme à canons. Une trentaine d’années plus tard, les incursions armées de William Phips incitent la construction d’une seconde plateforme – cette fois à la pointe aux Roches – et d’une batterie royale. De nouvelles attaques justifient le déploiement d’ouvrages militaires. Quelques quais privés se garnissent aussi de batteries, d’abord la batterie Dauphine au début du 18e siècle, puis celle de la Pointe-à-Carcy dans les années 1750.

Après la Conquête, la configuration du port évolue: les batteries sont désarmées, tandis que les quais, les entrepôts de marchandises et les marchés confirment la vocation désormais résolument commerciale. Et pourtant, c’est encore à cet endroit que continuent d’accoster les navires amenant les troupes envoyées en garnison à Québec... jusqu’au départ définitif de la dernière, en 1879.  

4) On n’est pas sorti du bois

Archives de la Ville de Québec, N010179. Domaine public.

Au cours de la première moitié du 19e siècle, Québec devient une véritable capitale du commerce du bois, se classant au troisième rang des ports d’Amérique, tout juste derrière New York et La Nouvelle-Orléans! La ville doit cette exceptionnelle effervescence au blocus continental de 1806 imposé par Napoléon Ier: en empêchant la Grande-Bretagne d’accéder aux ports de la Baltique pour s'y approvisionner en bois, cette puissance se tourne vers sa colonie nord-américaine. L’industrie de la construction navale et le commerce avec les États-Unis nourrissent aussi cette phénoménale croissance économique.

Évidemment, cette activité imprime sa marque sur le paysage de Québec et de sa région. Tout le secteur entre l’Anse au Foulon et Québec est un immense entrepôt flottant, où le bois provenant de l’Outaouais attend d’être embarqué sur des navires à destination de l’Angleterre! Des anses sont aussi aménagées pour accueillir des espaces dédiés aux chantiers d’équarrissage du bois, à la construction navale ainsi qu’au chargement et au déchargement des navires. Il en sera de même pendant un demi-siècle.

L'anse de Wolfe, Québec, gravure parue dans L’Opinion publique, vol. 4, no 33, 14 août 1873.
Domaine public.
L'anse de Wolfe, Québec, gravure parue dans L’Opinion publique, vol. 4, no 33, 14 août 1873.

Toutefois, à partir des années 1860, cette source de vitalité économique se tarit. Plusieurs éléments sont en cause: l’Angleterre s’approvisionne désormais ailleurs en bois d’œuvre; les navires à coque d’acier rendent caducs les bateaux en bois; le dragage du fleuve Saint-Laurent et l’aménagement de chenaux permettent désormais aux navires de se rendre directement à Montréal; et à tout cela, ajoutons encore l’arrivée du chemin de fer, qui permet d’être moins dépendant du fleuve pour le transport! Québec doit, littéralement, «sortir du bois» et se réinventer.

5) Traverser le fleuve

À la fin du 19e siècle, le fleuve devant Québec est sillonné de barques, de navires à vapeur et de goélettes.
Archives de la Ville de Québec, collection de documents iconographiques, N010352.
À la fin du 19e siècle, le fleuve devant Québec est sillonné de barques, de navires à vapeur et de goélettes.

Le site de Québec est important dans l’histoire des déplacements... et pas seulement en matière d’embarquement et de débarquement. Puisqu’il correspond, comme on le sait, à un endroit où le fleuve est moins large; c’est aussi là que s’effectue une grande part des traversées entre la rive nord et la rive sud.

Pendant deux siècles, ce sont les bateaux à voile, les chaloupes et les barques qui assurent ce service du milieu du printemps jusqu’à l’orée de l’hiver. Reliant Québec à la Pointe-Lévy, ils permettent de déplacer des personnes, mais aussi des marchandises: rien d’étonnant à voir surgir de petits entrepôts et des marchés publics près des quais! Le tout premier bateau à vapeur effectuant la traversée Québec-Lévis est mis en service en 1817.

Le vieux traversier, Québec, vers 1897.
Maurice Cullen, Musée national des beaux-arts du Canada, 6295.
Le vieux traversier, Québec, vers 1897.

C’est également ce secteur, où les rives sont plus rapprochées, qui est choisi pour «construire» le pont de glace. Mais attention, il faut que l’hiver soit rigoureux: la surface gelée doit être suffisamment sûre pour permettre de s’y aventurer à pied et même en carriole. Le chemin est balisé au moyen de petits conifères; et des marchands, flairant la bonne affaire, y installent de petites cabanes pour vendre des boissons chaudes (et même de l’alcool) aux gens en déplacement! L’arrivée des brise-glace mettra fin à cette charmante tradition.

6) Le fleuve des loisirs et du tourisme

Pêche à l'éperlan au bassin Louise, 1963.
Neuville Bazin, Office du film du Québec, BAnQ.
Pêche à l'éperlan au bassin Louise, 1963.

Même si les activités commerciales occupent beaucoup d’espace, le fleuve devant Québec est aussi fréquenté à des fins récréatives depuis plusieurs siècles. Les amateurs de pêche, entre autres, aiment se rendre sur les quais afin d’y lancer leur ligne, dans l’espoir de prendre de l’éperlan ou de la petite morue. Un article de journal paru en octobre 1961 raconte d’ailleurs que «toutes les classes de la société, hommes et femmes de tout âge, s'y rencontrent, depuis la dame au luxueux manteau de fourrure et le rond-de-cuir à col raide jusqu'au bébé en carrosse... On a même vu des couples quitter un bal au Château Frontenac pour aller, en robe longue et en plastron, taquiner l'éperlan près du bassin Louise!»

Les abords de Québec n’accueillent pas que des locaux. C’est au milieu du 19e siècle que se développe le tourisme. De nombreux guides de voyage illustrés vantent la beauté pittoresque de Québec ainsi que ses principaux attraits. Le port s’anime notamment grâce aux «bateaux blancs», des navires de luxe de 300 à 500 passagers qui, en partant de Québec ou après une escale dans notre cité, amènent la riche bourgeoisie urbaine jusqu’à l’embouchure du Saguenay et sur la côte de Charlevoix. Les grands paquebots à vapeur en provenance de l’Europe et des États-Unis font aussi escale au port. Dans la foulée se développent les infrastructures touristiques: promenades, hôtels et restaurants se multiplient. 

BAnQ, P428, S3, SS1, D7, P130. Domaine public.

Le destin de Québec est apparemment très lié aux conflits outre-Atlantique. Après le blocus napoléonien, qui lui a permis de devenir momentanément une capitale du bois au 19e siècle, c’est un autre conflit militaire qui propulse la ville à titre d’escale pour les croisières internationales! En effet, la guerre du Golfe incite plusieurs navires de croisière à modifier leur itinéraire pour choisir Québec: en 1990, la ville voit arriver de véritables palais flottants, dont le Rotterdam, le Crystal Harmony et le Sea Princess, totalisant plus de 51 000 passagers! 

Après un certain passage à vide, entre la révolution industrielle et la Révolution tranquille, les gens de Québec se réapproprient enfin le fleuve. Pour ses 400 ans, la Ville d’ailleurs a offert un formidable cadeau à ses résidents: elle leur a redonné accès au littoral. On a vu récemment le retour des activités de baignade dans le bassin Louise. C’est un heureux retour aux sources!


Un texte de Catherine Ferland, historienne, pour les Rendez-vous d’histoire de Québec

Les 5e Rendez-vous d’histoire de Québec se tiennent du 10 au 14 août 2022. Près de 40 conférences et activités gratuites, dont plusieurs sur l’histoire maritime et fluviale, composent la riche programmation! Informations et billetterie au rvhqc.com et sur Facebook.

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