Pénurie de main-d'œuvre: presque impossible d'ajouter 450 policiers au SPVM
Les départs à la retraite, les bas salaires et les difficultés de travailler à Montréal compliquent les choses
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L’objectif du gouvernement Legault d’ajouter 450 policiers à la police de Montréal d’ici cinq ans sera presque impossible à atteindre.
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L’annonce de la ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault samedi, à la veille du déclenchement de la campagne électorale, cache un détail important : il ne s’agit pas simplement de faire 450 embauches, mais bien d’augmenter de 450 le nombre net de policiers.
Il faudra notamment remplacer les centaines de policiers admissibles dès maintenant à la retraite, sans compter que le salaire d’entrée très bas et les risques du travail à Montréal rebutent de nombreux candidats.
Au cours des derniers jours, notre Bureau d’enquête a recueilli les témoignages de plusieurs sources policières bien informées et a épluché des documents qui montrent l’ampleur du défi.
«Oubliez ça, Montréal ne pourra jamais embaucher le nombre de policiers espéré», affirme un policier montréalais sous couvert d’anonymat.
«Ça va prendre des politiciens qui ont de la colonne», résume en entrevue l’ancien inspecteur au SPVM André Durocher.
Voici cinq raisons qui pourraient empêcher l’annonce de la ministre de se réaliser.
1 - DES CENTAINES DE RETRAITES À PRÉVOIR
Pas moins de 1673 policiers montréalais pourraient prendre leur retraite entre le 31 décembre 2021 et la fin 2026. De ce nombre, 558 sont déjà admissibles et ne sont qu’à un coup de fil de partir.
Les autres atteindront leur date d’admissibilité d’ici fin 2026.
Si tout ce beau monde devait partir, ce n’est pas 450, mais bien 2123 embauches que la Ville devra effectuer en cinq ans. Le vrai chiffre se situe quelque part entre les deux, résume une source policière qui a requis l’anonymat.
«Avec les retraites qui s’en viennent, il est impossible de régler le problème du manque d’effectifs à court et à moyen terme», dit cette source.
Notons qu’un policier du SPVM est admissible à la retraite après 25 années de service. Mais partir dès son admissibilité ne lui permet pas de toucher la rente de retraite maximale.
2 - UN BAS SALAIRE DE DÉPART
À Montréal, les recrues sont embauchées comme constables auxiliaires permanents, au salaire annuel de 36 939 $ pour 24 mois.
«Il est très difficile d’arriver financièrement avec un salaire mensuel net de 1921 $. La PCU [la prestation d’urgence du gouvernement Trudeau pour les chômeurs pendant la pandémie] était de 2000 $», affirme une autre source policière.
En comparaison, d’autres corps policiers offrent bien mieux.
- À Laval, le salaire annuel de l’auxiliaire recrue est de 40 817 $. Ce traitement est majoré à 45 474 $ après six mois.
- À Québec, on parle de 44 368 $ à l’embauche.
- À la Sûreté du Québec, on offre 48 386 $ à l’entrée en service.
Deux jeunes policiers nous ont affirmé regretter d’avoir postulé au SPVM, car ils jugent que risquer de «se faire tirer au salaire [qu’ils gagnent] en début de carrière n’en vaut pas la chandelle».
3 - LA RÉALITÉ MONTRÉALAISE
Qui veut exercer son métier de policier à Montréal? Nos sources pointent ce qu’ils considèrent comme un frein à l’embauche :
- La nécessité de parler le français et l’anglais ;
- La diversité culturelle qui rend les interventions plus complexes ;
- Se faire insulter, filmer, intimider régulièrement et vivre avec la crainte des plaintes en déontologie ;
- Le climat de travail tendu à cause de la crise des armes à feu.
Le SPVM dit avoir embauché 152 policiers depuis novembre 2021.
Or, depuis janvier 2022, on dénombre 152 départs, dont 42 démissions, selon le SPVM.
Pour un bilan net de... aucun policier de plus.
4 - COMMENT LES FORMER?
L’École nationale de police du Québec (ENPQ), à Nicolet, est autorisée à former 648 aspirants par année, pour l’ensemble des corps policiers.
Ce nombre augmentera à 828 à partir de novembre, en vertu des annonces récentes du ministère de la Sécurité publique.
Mais au-delà de ce chiffre théorique, encore faut-il être capable d’accueillir autant d’étudiants. Sur le site web de l’ENPQ, on mentionne que le délai d’attente actuel entre la fin des études collégiales en techniques policières et l’entrée d’une cohorte à l’ENPQ se situe entre 11 et 23 mois.
L’ENPQ assure qu’elle tente de raccourcir les délais et d’augmenter la capacité d’accueil.
Aussi, le nombre d’inscrits à l’école de police diminue d’année en année, étant passé de 1018 demandes d’admission en 2013-2014 à 785 en 2021-2022.
5- L’ATTRAIT DES RÉGIONS
L’une de nos sources policières souligne que les aspirants policiers qui entrent à l’ENPQ veulent, la plupart du temps, retourner dans leurs régions pour y travailler : «Le gars qui vient de Québec, qui vient du Saguenay ou d’ailleurs, il ne veut rien savoir de venir à Montréal», affirme-t-il.
André Durocher ajoute le fait que «les jeunes policiers veulent une qualité de vie, ce que Montréal ne leur offre pas».
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