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[EN IMAGES] Ville de Québec: le Manège militaire en 6 temps

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Manège Militaire / Drill Hall, début 20e siècle. Carte postale colorisée, publiée par J.P. Gosselin.
BAnQ, collection numérique de cartes postales, CP 022211. Domaine public.
Manège Militaire / Drill Hall, début 20e siècle. Carte postale colorisée, publiée par J.P. Gosselin.

Trônant fièrement sur la colline Parlementaire, entre culture et nature, le Manège militaire Voltigeurs est à l’image de la ville de Québec. En effet, il fait face à la place George-V et à l’effervescence de la Grande Allée, tout en étant adossé aux vastes buttes gazonnées des plaines d’Abraham. La fonction de l’imposant bâtiment a évolué avec le temps et son histoire est ponctuée de rebondissements. Découvrons ou redécouvrons aujourd’hui six moments forts du Manège.

1) Un site de choix

Le site aujourd’hui occupé par le Manège militaire est longtemps resté vacant. Pendant le Régime français, les activités militaires ont lieu près du château Saint-Louis où, dès les années 1640, le gouverneur Charles Huault de Montmagny avait établi une place d’armes. Les différents corps militaires y tiennent leurs exercices, leurs parades et leurs inspections régimentaires. Le terrain qui nous intéresse demeure en friche et l’est toujours au moment de la guerre de Sept Ans. 

C’est au 19e siècle que l’armée britannique va commencer à rechercher de nouveaux terrains, la place d’armes n’était pas suffisamment vaste pour exercer les troupes régulières et réservistes qui composent la garnison. 

Le premier manège militaire, construit en bois, est si modeste qu’il ne figure pas sur cette carte de 1879.
H.W. Hopkins, Atlas of the city and county of Quebec, Provincial Surveying and Pub. Co., 1879, en ligne au https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2244119.
Le premier manège militaire, construit en bois, est si modeste qu’il ne figure pas sur cette carte de 1879.

En 1863, un modeste manège militaire en bois est construit pour accueillir le tout nouveau régiment de miliciens des Voltigeurs de Québec. La plaine environnante sert de terrain de manœuvres et d’exercices militaires. Ce petit bâtiment est toutefois si discret qu’on n’estime pas pertinent de l’indiquer sur le plan d’assurance de la ville de Québec, en 1879.

2) La construction du Manège

Eugène-Étienne Taché vers 1890.
Studio J.E. Livernois. BAnQ, 03Q_P560,S2,D1,P1290.
Eugène-Étienne Taché vers 1890.

En 1883, le gouvernement mandate l’architecte Eugène-Étienne Taché pour concevoir un bâtiment destiné à remplacer le vieux manège en bois, devenu vétuste après une vingtaine d’années d’utilisation. Ayant déjà créé les édifices du parlement et du palais de justice de Québec, Taché œuvre dans une époque propice aux beaux monuments. Les plans qu’il dessine pour le manège s’inspirent de l’époque de Louis XII (château de Josselin) et de son successeur François Ier (châteaux de Chambord et Chenonceau), soit un répertoire architectural évoquant l’ancienne chevalerie médiévale. 

L’ambitieuse construction s’étale de 1885 à 1887. Pour l’extérieur, on emploie de la pierre provenant de carrières de Beauport et de Deschambault. Deux tours en poivrière sont disposées de part et d’autre de l’entrée principale. Pour accentuer la symétrie et l’impression un peu solennelle, l’architecte intègre des éléments répétitifs à plusieurs endroits sur le bâtiment, comme les contreforts, les lucarnes et les bandes de cuivre de la toiture. Enfin, Taché (féru d’héraldique, la science des blasons) crée un admirable ornement pour le faîte du toit: synthèse de l’identité de Québec, le motif combine la fleur de lys française, la rose anglaise, le chardon écossais et la feuille d’érable canadienne. L’intérieur de l’édifice est tout aussi remarquable: la salle d’exercice, avec son volume de 2226 mètres carrés, est cerclée d’une galerie en mezzanine et surmontée d’un immense plafond de bois sculpté. 

Dessin architectural original du Manège militaire de Québec par Eugène-Étienne Taché, 1887.
BAnQ, P286,D5,P29. Domaine public.
Dessin architectural original du Manège militaire de Québec par Eugène-Étienne Taché, 1887.

L’inauguration officielle du Manège a lieu en 1888 en présence du gouverneur général du Canada, sir Frederick Arthur Stanley – celui-là même qui a donné son nom à la coupe sportive. Il s’agit du premier bâtiment canadien à afficher ce qu’on appellera le «style château», qui imite l’architecture de la Renaissance italienne et française, à l’image des châteaux de la Loire.

Ce type d’architecture néo-traditionnelle guidera la conception de plusieurs autres bâtiments de la ville de Québec, dont la gare du Palais et, bien sûr, le Château Frontenac, mais aussi dans quelques autres régions. Avec leurs tourelles, leurs hautes toitures, leurs fenêtres et leurs ornementations, les édifices de style château donnent une allure prestigieuse aux secteurs où ils sont érigés! Le Manège sera désigné lieu historique national du Canada en 1987, un siècle après sa construction.

Le Manège militaire vers 1890.
Carte postale, BAnQ, P547S1SS1SSS1D001P0634R.
Le Manège militaire vers 1890.

3) Les monuments de la place George-V

L’espace devant le Manège (nommé place George-V en 1917) sert aussi de lieu commémoratif, accessible librement au grand public. Le monument Short-Wallick, inauguré en 1891, rend hommage au major Charles John Short et au sergent George Wallick. Ces deux militaires ont péri en combattant l’incendie des 15 et 16 mai 1889 en Basse-Ville, dans le quartier Saint-Sauveur. Ce sinistre a détruit plus de 400 maisons et en aurait sans doute réduit de nombreuses autres en cendres si les militaires n’étaient pas intervenus en faisant sauter quelques maisons pour créer une zone coupe-feu. Short et Wallick sont morts lors de la manipulation d’un baril de poudre. Pendant près d’un siècle, il s’agira du seul monument ornant la place devant le Manège.

Dévoilement du monument Short-Wallick devant le Manège militaire, 12 novembre 1891.
Fred C. Würtele, BAnQ, P546,D1,P7.
Dévoilement du monument Short-Wallick devant le Manège militaire, 12 novembre 1891.

Il faudra attendre presque un siècle pour voir l’installation d’un second ensemble commémoratif. Le monument «Je me souviens», érigé en 1989, comporte un bas-relief en bronze qui représente cinq militaires en pleine action. Soulignant le 75e anniversaire du Royal 22e Régiment, il livre les noms des soldats morts au champ d’honneur lors des deux guerres mondiales et pendant la guerre de Corée de 1950-1953. Un an plus tard a été dévoilé le monument des Voltigeurs de Québec, un bronze qui honore le plus ancien corps de troupe canadien-français et qui rappelle ses engagements militaires, depuis le second conflit fenian de 1866 jusqu’aux missions de l’ONU. Enfin, le monument de la Bravoure a été érigé en 2010 pour célébrer la mémoire des hommes et des femmes qui ont servi lors des missions en Afghanistan et partout à travers le monde. Fait intéressant, il s’agit d’une initiative citoyenne initiée par la station de radio CHOI et à laquelle environ 12 000 auditeurs ont souscrit!

Monument «Je me souviens», à la mémoire des soldats du Royal 22ᵉ Régiment morts au champ d’honneur.
Photo Ville de Québec
Monument «Je me souviens», à la mémoire des soldats du Royal 22ᵉ Régiment morts au champ d’honneur.

4) Des événements d’envergure

Outre sa vocation militaire, le Manège participe aussi à la vie civile de Québec. Des activités culturelles, commerciales et diplomatiques s’y succèdent depuis sa construction et tout au long du 20e siècle. 

Manège militaire vers 1940.
BAnQ, P428,S3,SS1,D13,P9-41.
Manège militaire vers 1940.

Dès 1887, des concerts de musique classique sont donnés dans la salle de tir. On y tient aussi des bals, les célébrations marquant la fête nationale des Français, un festival de musique militaire, des expositions horticoles et même des salons du livre! Parmi les manifestations les plus importantes, citons les expositions agricoles. L’Exposition provinciale, cette grande foire annuelle qui rassemble des centaines de producteurs et d'exposants de toutes les régions du Québec, y est présentée de 1887 à 1894, avant d’être déménagée sur le site qu’on appellera éventuellement Expo-Cité.

Le Manège est aussi le point de départ ou d’arrivée de nombreux défilés. Ainsi, lors du traditionnel défilé marquant la fête régimentaire tous les mois de mai, les Voltigeurs se rendent à la Basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec pour assister à la messe, puis reviennent en procession jusqu’à leur maison-mère au son des tambours et de la musique militaire. Les défilés civils ne sont pas en reste. Lors du 100e anniversaire de la Coupe Stanley, le cortège de la LNH commence au Manège et se rend sur les plaines d’Abraham. 

Défilé des membres du Canadian Women Army Corps (CWAC) (service féminin de l’armée canadienne) devant Mary Spencer-Churchill, 1943.
Archives de la Ville de Québec, négatif N000258.
Défilé des membres du Canadian Women Army Corps (CWAC) (service féminin de l’armée canadienne) devant Mary Spencer-Churchill, 1943.

Plusieurs événements sont prévus dans le cadre des fêtes du 400e de la ville de Québec. Or, le sort va en décider autrement...

5) Un incendie majeur

Le Manège militaire en flammes, 4 avril 2008.
Photo Bernard Bastien, Service de protection des incendies de la Ville de Québec
Le Manège militaire en flammes, 4 avril 2008.

Le soir du 4 avril 2008, un incendie se déclare au Manège miliaire. L’édifice de 120 ans, dont une grande partie de la structure est faite de madriers, s’embrase rapidement: après quelques minutes, les flammes et la fumée s’échappent de toutes les fenêtres de la partie centrale. Alimenté par les poutres de bois verni, le feu fait disparaître, en quelques heures, l’immense plafond cathédrale, dont les diverses sections s’effondrent une à une. 

L’intervention du Service de protection des incendies de la Ville de Québec est particulièrement complexe, en raison de la présence de munitions. Plus de 16 h de travail seront nécessaires pour contrôler le brasier. Ce n’est qu’au matin du 5 avril que les pompiers sont enfin en mesure de confirmer la fin de l’incendie.

Les personnages du monument Short-Wallick semblent assister, impuissants, à la destruction du Manège.
Photo Bernard Bastien, Service de protection des incendies de la Ville de Québec
Les personnages du monument Short-Wallick semblent assister, impuissants, à la destruction du Manège.

6) Une reconstruction à l’identique

Les décombres du Manège sont à peine refroidis que le ministère canadien de la Défense, propriétaire du site, engage une importante opération de nettoyage, puis de préservation de la structure restante. Faut-il reconstruire le Manège militaire? Certains émettent l’idée de raser les vestiges et de construire un nouvel édifice. D’autres suggèrent l’approche du «façadisme», où les éléments originaux sont préservés et intégrés à un nouvel ensemble architectural. Après de nombreuses consultations menées auprès d’organismes experts en patrimoine, et des analyses et études historiques, archéologiques et environnementales, la décision est prise en 2010: c’est finalement la reconstitution intégrale qui l’emporte. 

La tâche s’annonce colossale: seule une aile du bâtiment a subsisté! La salle d’armes et la toiture doivent être entièrement reconstruites. Les plans originaux de l’architecte Eugène-Étienne Taché, qui ont heureusement été préservés, pourront guider la reconstruction. On en profite pour procéder à l'agrandissement qui, bien que de facture contemporaine, ne doit pas dénaturer l’architecture originale. Et bien sûr, le nouveau bâtiment doit respecter les codes du bâtiment et les normes de sécurité actuelles. 

Le consortium d’architectes présente un projet audacieux où, plutôt que de gommer cette tragédie, on souhaite rendre visible la trace de l’incendie, qui fait désormais partie de l’histoire du bâtiment. Les travaux débutent en mai 2015. Par souci d’authenticité, on emploie des pierres prises dans les mêmes carrières qu'au moment de la construction originale. Environ 90% de la maçonnerie existante est préservée: les briques noircies, intégrées aux matériaux neufs, conservent la mémoire de la quasi-destruction du bâtiment. 

Les briques noircies, intégrées à la maçonnerie neuve, rappellent l’incendie de 2008.
Photo MMVQ
Les briques noircies, intégrées à la maçonnerie neuve, rappellent l’incendie de 2008.

Dix ans après le sinistre, le gouvernement du Canada peut enfin procéder à l’inauguration officielle du «nouveau» Manège militaire Voltigeurs de Québec. La reconstruction a coûté environ 104 millions $. Cette restauration exemplaire s’est mérité le Prix d’excellence de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ) et le Prix du public des Mérites d’architecture de la Ville de Québec.

Les ornements du toit ont été soigneusement reproduits à partir des plans originaux de E.E. Taché.
Photo Ville de Québec
Les ornements du toit ont été soigneusement reproduits à partir des plans originaux de E.E. Taché.

Fait digne de mention, le cuivre du toit a pu être récupéré: après avoir été nettoyé et coulé en lingots, il a servi à frapper des pièces de monnaie. Certaines pièces ont été remises à titre honorifique à des Voltigeurs, d’autres ont été acquises par des collectionneurs. Il s’agit de l’une des premières monnaies régimentaires émises au Québec. Un bel honneur pour les militaires et aussi une jolie manière, pour les numismates, de collectionner un petit morceau d’histoire!

Un texte de Catherine Ferland, historienne, pour les Rendez-vous d’histoire de Québec.

Les 6e Rendez-vous d’histoire de Québec auront lieu du 9 au 13 août 2023. D’ici là, découvrez ou redécouvrez gratuitement la centaine de conférences des éditions précédentes au rvhqc.com et suivez-nous sur facebook.com/rvhqc.

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