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La langue innue est aussi en danger au Québec

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Photo Agence QMI, Joël Lemay La première professeure d’innu dans une université québécoise, Yvette Mollen

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La survie des langues autochtones au Québec devrait être prise tout aussi au sérieux que celle du français, soutient la première professeure d’innu engagée dans une université québécoise.

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«Les gens parlent souvent du français comme une langue en danger. Peut-être, mais pas autant que l’innu, ou d’autres langues autochtones qui ont moins de 10 000 locuteurs», rappelle la linguiste Yvette Mollen.  

Originaire d’Ekuanitshit (Mingan), sur la Côte-Nord, Mme Mollen est récemment devenue la première professeure agrégée au Québec à enseigner l’innu-aimun (innu), au sein de l’Université de Montréal.

Cette nomination survient après des années passées à promouvoir sa langue maternelle et à développer des dictionnaires, des livres jeunesse et des jeux pour en faciliter l’apprentissage.

«J’ai travaillé très fort pour la langue innue, ma langue maternelle», dit humblement Mme Mollen, aussi diplômée en littérature française.

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Photo Agence QMI, Joël Lemay

Après avoir été enseignante au primaire dans sa communauté, elle a travaillé pendant une quinzaine d’années à l’Institut Tshakapesh de Sept-Îles sur des outils de référence, en collaboration avec des aînés.

«Il fallait faire quelque chose. Je savais que chaque année, on perdait des gens qui avaient beaucoup de connaissances sur la langue. Ce sont eux qui nous ont raconté les légendes, donné le sens des mots», explique-t-elle.

Cette transmission était d'autant plus importante dans le contexte où les politiques d'assimilation du Canada, dont les pensionnats autochtones, ont grandement fragilisé les langues autochtones. 

Il était carrément interdit aux enfants de parler leur langue maternelle dans ces établissements, sous peine de punition.

Un souhait

En cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, son plus grand souhait serait que les langues autochtones survivent, et «soient parlées partout, mais surtout, dans les communautés».

De fait, la linguiste est convaincue que les petits autochtones auraient tout avantage à avoir le droit d’apprendre dans leur langue maternelle à l’école.

Elle rapporte avoir noté une différence en leur enseignant la géographie en innu plutôt qu’en français, à l’époque où elle travaillait à Ekuanitshit.

«Comme tous mes élèves étaient innus, je me suis dit “pourquoi je leur enseignerais en français?”, raconte-t-elle. Et je pense vraiment que les étudiants comprenaient mieux [quand je leur parlais en innu]».

Les dangers

Or, actuellement, la majorité des élèves autochtones n’ont droit qu’à une période d’enseignement en langue autochtone par cycle de 7 ou 9 jours.

Et même les parents qui parlent à leurs enfants en innu à la maison doivent redoubler d’efforts face à l’omniprésence des autres langues: «ils ouvrent la télé, le iPad, ou Internet et tout est français ou en anglais», se désole Mme Mollen.

«Nous aussi, on doit se battre pour que nos langues fleurissent et soient enseignées», glisse l’experte autochtone.

Plein de nouveaux locuteurs

Malgré ces menaces, l’intérêt ravivé envers l’innu et d’autres langues autochtones a de quoi lui donner de l’espoir.

Par exemple, son cours de «Innu 101» est tellement populaire au Département de linguistique et de traduction qu’il y a une liste d’attente pour y assister.

Elle donne aussi des cours de niveau 2, 3 ou 4 pour les élèves qui veulent approfondir leur maîtrise de la langue.

«En mai, j’ai une cohorte de 10 élèves qui a terminé le quatrième niveau. Ils peuvent se débrouiller», affirme-t-elle, fière de ses protégés.

«Je leur dis: “Je vous transmets ma connaissance, mais en retour, quand vous allez dans une communauté, parlez innu! Dites-leur que vous apprenez leur langue et qu’elle est vraiment belle, que les enfants le sachent”», s’exclame-t-elle.

Ce sont surtout des étudiants allochtones qui choisissent d’étudier l’innu avec elle, bien qu’un ou deux membres de sa nation se retrouvent parfois dans ses classes.

Oui, certains s'y retrouvent parce qu’il s’agit d’un cours à option. «Mais plusieurs me disent qu'ils veulent apprendre une langue autochtone parce qu’on vit dans le pays des Autochtones. Ça, c’est une bonne raison», affirme la chargée de cours devenue professeure.

Yvette Mollen est d'ailleurs d’avis que plus de Québécois devraient se donner la peine d’apprendre quelques mots dans la langue autochtone de leur région, ne serait-ce que «kuei» (bonjour) dans le cas de l’innu.


♦ Selon le plus récent recensement, le Québec comptait 45 555 locuteurs de langues autochtones, dont 7 730 parlaient l’innu.

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