Des tas d’assurances vie payées pour rien
Le vendeur d’assurances n’insistera jamais sur le fait que le contrat qu’il s’apprête à vous faire signer a de bonnes chances de terminer dans ce que j’appelle «le cimetière des assurances vie».
Il va plutôt tenir ça mort!
Cas typique, celui de Josée. Cette lectrice m’a écrit pour m’exposer son problème. Sa tante de 87 ans habite une résidence pour personnes âgées, elle lui a demandé de s’occuper de ses papiers. Josée a découvert le relevé d’une police d’assurance vie entière prévoyant un capital-décès de 16 000 $, le document remontait à 2007. La police renfermait aussi quelques milliers de dollars en placements, une caractéristique des assurances vie dites «universelles».
Josée a appris que la police était tombée en déchéance pour non-paiement de la prime. L’histoire ne dit pas pourquoi ni quand la vieille dame a cessé de régler cette facture. Selon la nièce, l’oubli serait lié à l’âge et serait plus récent que ne le laisse croire la date du relevé.
Le modèle d’affaires de l’industrie
Qu’est-ce que cela veut dire?
La tante a perdu tout l’argent qu’elle a englouti dans cette police, primes et placements. Quand le client cesse d’acquitter la prime, l’assureur se paye à même le compte de placements, lorsqu’il y en a un. Quand ce dernier se vide, si l’assuré ne reprend pas le relais, le contrat finit par s’annuler.
Rare, pensez-vous? C’est tellement fréquent que le taux de déchéance des contrats fait partie des principaux paramètres pour déterminer le coût des primes. Autrement dit, sans les abandons, les assurances seraient plus chères. Cette donnée est un secret dans l’industrie, mais Denis Preston estime que près de la moitié des contrats d’assurance vie entière en tout genre ne se rend pas à terme. Une police sur deux ne verserait donc pas de capital-décès. «Au moment de la vente, le représentant n’abordera pas la probabilité de déchéance, il insistera plutôt sur les aspects positifs du produit», affirme le retraité de l’enseignement de la planification financière.
Les raisons des abandons
Entre le jour où l’on contracte une assurance vie permanente et celui, éventuel, où la police doit verser le capital-décès, il s’écoule normalement des décennies. Durant ces années, il s’en passe, des choses, à commencer par le départ à la retraite de celui qui a vendu le produit...
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Le besoin d’assurance peut disparaître, ou on peut réaliser qu’il n’y en a jamais vraiment eu. Par exemple, quelqu’un pourrait souscrire une assurance pour laisser de l’argent à son conjoint et abandonner le contrat après une séparation ou le décès du bénéficiaire. Le coût des primes peut aussi devenir insupportable avec le temps. S’il faut retirer plus d’argent de son FERR (avec l’impôt) pour payer son assurance vie, le risque qu’on se tanne augmente rapidement, surtout quand l’inflation touche le plafond. Le taux de déchéance est plus élevé lorsque le contrat prévoit une valeur de rachat. Dans ce cas, on récupère une partie de son argent avant de mourir, mais en fin de compte, l’opération n’aura pas été rentable. Rétrospectivement, il aurait mieux valu épargner et investir plutôt que de contracter une assurance.
Il y a aussi les oublis, comme dans le cas de la tante de Josée. Souvent, la prime d’assurance consiste en un seul versement annuel, et encore aujourd’hui, le paiement se fait parfois par chèque. Il y a un risque de passer tout droit, notamment après un déménagement. Toutefois, les primes sont de plus en plus acquittées par prélèvement automatique, ce qui réduit le risque de rater le paiement, sans l’éliminer entièrement. Denis Preston relève le cas d’une personne âgée déclarée inapte. Quand la gestion de ses affaires revient au mandataire désigné, les comptes bancaires changent de main avec des numéros différents, empêchant le prélèvement automatique.
«Ça arrive, et ce n’est pas la faute de l’assureur. L’assuré doit prendre les dispositions nécessaires afin que la prime continue d’être payée en cas d’inaptitude», rappelle l’ancien planificateur financier. Ça ferait peut-être moins de cadavres, mais le cimetière des assurances vie resterait encore fort encombré.