Le phénomène de l'itinérance se répand de plus en plus à Laval
Si Montréal a longtemps été l’épicentre de l’itinérance au Québec, la pandémie aura accentué le phénomène jusqu’à Laval, où de plus en plus de personnes se retrouvent dans la rue.
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«On voit tous les profils ici, il y a même des gens avec un emploi mais qui n’arrivent plus à se loger à cause du prix actuel des loyers, raconte Luc Beaudoin, sans-abri et résident du Refuge d’urgence de Laval, qui héberge chaque nuit une trentaine de personnes. L’itinérance a longtemps été reniée à Laval alors qu’elle est pourtant bien présente. La pandémie a rendu le problème plus visible et ne peut plus être ignoré.»
Dépeindre le visage de l’itinérance à Laval était d’ailleurs l’objectif du dénombrement organisé mardi soir dans la ville, comme dans plusieurs autres municipalités au Québec le même jour. Environ 70 bénévoles ont arpenté les rues de Laval, chacun dans des secteurs définis, avec pour objectif d’arriver à un décompte le plus précis possible du nombre de personnes sans-abri dans la ville.
«Il faut vraiment parler à tout le monde sur notre chemin, car il y a toutes sortes de visages à l’itinérance, il faut dépasser les clichés que l’on a en tête, explique Amélie Vézina, cheffe d’une équipe de bénévoles que Le Journal a pu suivre sur le terrain. J’avais déjà fait le dénombrement de 2018, et j’avais été surprise par certaines personnes que je ne suspectais pas d’être en situation précaire.»
La pandémie a changé la donne
Pour Ray Khalil, conseiller municipal pour le quartier Sainte-Dorothée à Laval, la pandémie pourrait avoir eu un impact négatif sur la situation du logement dans la municipalité.
«Trop souvent, quand on parle d’itinérance, on pense à Montréal et on oublie Laval, affirmait-t-il avant le départ des bénévoles. La pandémie a peut-être accéléré les chiffres, et on espère avoir meilleure idée de l’état de l’itinérance après ce soir, pour comprendre l’ampleur du problème.»
Croisé sur le perron du Refuge d’urgence de Laval lors du dénombrement, Luc Beaudoin expliquait au Journal que sa situation personnelle s’était considérablement dégradée au cours de l’année 2020. Après avoir perdu son emploi pendant la pandémie, cet ancien toxicomane raconte avoir «resombré dans ses addictions», avant de se retrouver en situation d’itinérance il y a deux semaines.
«Jamais je n’aurais imaginé me retrouver dans la rue, lance l’homme de 48 ans, qui travaillait dans le secteur du bâtiment. Depuis la COVID-19 et la perte de mon emploi, c’est la dégringolade. Il n’y avait plus de réunions AA, je ne travaillais plus, et j’ai fini par rechuter. Pour couronner le tout, mon propriétaire a décidé d’augmenter drastiquement mon loyer, et je me suis retrouvé dans l’impossibilité de payer. Je suis arrivé au refuge il y a deux semaines, et je suis reconnaissant d’avoir un endroit où je peux dormir en sécurité pour le moment.»
Un autre résident du refuge, ayant requis l’anonymat par crainte que sa famille ne découvre sa situation actuelle, explique s’être retrouvé dans la rue il y a trois mois, alors qu’il avait pourtant une situation stable jusqu’à récemment.
«C’est un sentiment embarrassant, je n’ai pas envie que ma mère découvre que je dors dehors, raconte ce jeune homme dans la trentaine. Se retrouver à la rue, c’est à la portée de tout le monde, j’en suis la preuve vivante. Au refuge, je vois des nouveaux visages quasiment chaque jour. Beaucoup de gens n’ont pas été capables de se remettre sur pied après la pandémie.»
Méthode contestée
Si les résultats du dénombrement ne sont pas attendus avant plusieurs semaines, l’opération de 2018 avait estimé à 169 le nombre de personnes en situation d’itinérance visible à Laval (3149 à Montréal). Un chiffre que Mathieu Frappier, coordonnateur du Réseau des organismes et intervenants en itinérance de Laval (ROIIL) estime «très loin de la réalité».
«Ce n’est pas ce que nos organismes et intervenants constatent sur le terrain, assure-t-il. Depuis que nous avons ouvert le Refuge d’urgence en décembre 2020, nous avons déjà hébergé plus de 400 personnes sans-abri, et nous sommes obligés d’en refuser en moyenne 5 à 10 par soir.»
S’il ne nie pas la volonté de tous de mener à bien cet exercice, la méthode du dénombrement serait toutefois insuffisante pour brosser un portrait détaillé de l’itinérance à Laval.
«Ça reste une photo d’un soir précis, dans des lieux précis, mais qui échappe assurément à beaucoup de personnes, constate M. Frappier. À Laval, il n’y a pas de regroupement de personnes itinérantes dans des lieux bien identifiés comme à Montréal et les stratégies de survie sont différentes. Ici, les individus ont plutôt tendance à se montrer le moins possible.»