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William Drum: le succès incontestable, mais méconnu, d’un manufacturier de meubles de Québec



Au milieu du XIXe siècle, alors que le commerce du bois et la construction navale commencent à péricliter, d'autres industries vont prendre la relève, comme les tanneries et l'industrie de la chaussure, mais également l'ébénisterie. Dans ce secteur d'activités, la ville de Québec verra l'émergence de plusieurs petites boutiques, mais il y en a une qui va se démarquer des autres.

William Drum ouvre un atelier artisanal en 1829 et, au moment de son décès survenu en 1876, il était à la tête de la plus importante manufacture de meubles du Québec. Pourtant, en dehors du cercle des experts, il a été complètement oublié. Qui était donc cet Irlandais au parcours exceptionnel? Découvrons ensemble William Drum. 

1) Un immigrant irlandais

Acte de mariage de William Drum et Esther Thompson, Metropolitan Church, Québec, 23 septembre 1829. Photo BAnQ

William Drum serait né vers 1808 à Monaghan, dans le nord de l'actuelle république d'Irlande. Il était le fils du chaisier Hugh Drum et d'Elizabeth Wilson. Il est probablement arrivé au Canada avec ses parents qui résidaient à Québec dès 1826.

La première mention qu'on ait de William Drum est lors de son mariage avec Esther Thompson, lequel a été célébré à la cathédrale anglicane Holy Trinity de la rue des Jardins, en 1829. Il aurait eu alors 21 ans et on le disait charpentier. Le jeune couple s'installe alors dans le faubourg Saint-Roch, où il loue une maison. Bien qu'on ne sache rien de son apprentissage, il a probablement appris de son père, puisqu'au recensement de 1831 il ne se déclare plus charpentier, mais plutôt faiseur de chaises.

Six enfants du couple Drum-Thompson parviendront à l'âge adulte. Sa fille aînée, Elizabeth-Jane, épousera le révérend Robert Mitchell, qui pratiquera son ministère à Stoneham jusqu'en 1872. Son autre fille, Caroline-Catherine, se mariera avec Thomas Hunter Grant, un homme d'affaires en vue à Québec. Enfin, Samuel-Wilson œuvrera dans le domaine de l'assurance. Il laissera quelques descendants au Québec, ses frères et sœurs étant décédés sans postérité ou ayant quitté le pays pour l'Angleterre.

2) L'artisan (1829-1837)

Publicité de William Drum. Extrait du journal The Quebec Mercury du 8 décembre 1835

En 1829, William Drum est donc installé sur la rue des Fossés du faubourg Saint-Roch, où il exploite son jeune atelier dans la maison qu'il habite. En 1831, il engage son premier apprenti. Il est alors un petit producteur indépendant, propriétaire de ses moyens de production et engageant pour lui venir en aide quelques apprentis. 

L'année suivante, il s'associe à Jean-Olivier Vallière, un autre meublier de Québec. Ils sont alors en mesure d'offrir à leur clientèle un bon assortiment de meubles d'acajou, de bois de rose ou de jonc, qui étaient peints ou vernis, et de toutes sortes d'ouvrages tournés «avec tout le goût qu'on peut donner». Leur atelier est situé chez William Drum. Cette association est de courte durée, car on la dissout de consentement mutuel le 1er avril 1834.

Drum a probablement des projets d'expansion, puisque c'est à partir de ce moment-là qu'il commence à engager des apprentis. D'ailleurs, les apprentis occuperont toujours une large part de sa main-d'œuvre. 

Dans le journal Le Canadien du 2 mai 1834, il se dit en possession d'environ 50 douzaines de chaises de toutes sortes ainsi que de divers autres meubles. Son commerce est lancé et il se fait un nom.

3) Le manufacturier (1837-1857)

Emplacement de la première manufacture de William Drum située face au marché Saint-Paul entre les rues Saint-Paul, des Bains, Saint-Charles (auj. Saint-Vallier) et Lacroix (auj. des Vaisseaux-du-Roi). Photo Atlas Sanborn, Insurance Plans of the City of Quebec, 1875, BAnQ

À partir de 1837, les affaires de Drum prennent de l'expansion. Ainsi, cette année-là, il déménage sur la rue Saint-Paul, où il loue un local plus spacieux, en face du nouveau marché Saint-Paul, qui sera bientôt très fréquenté. À cette même époque, il engage de plus en plus d'apprentis. 

En 1843, il loue le terrain et le moulin à scie du Petit-Pré, à Château-Richer, et il y installe de la machinerie pour fabriquer des chaises. L'année suivante, il fait construire, au même endroit, un bâtiment où il manufacture des clous. Drum exploite son moulin de Château-Richer jusqu'en 1868.

Toutefois, c'est à la suite des grands incendies de 1845 que Drum prend réellement son envol. Comme la majorité des gens de la Basse-Ville, l'incendie lui prend tout ce qu'il possède. Néanmoins, grâce à un avantageux programme d'aide gouvernemental, il achète plusieurs lots, de sorte qu'en 1854 il possède la moitié d'un quadrilatère. De plus, les sinistrés devront se remeubler. Le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres.

À cette époque, Drum se fait connaître en participant à des expositions et en obtenant plusieurs prix, notamment à l'exposition universelle de Londres de 1851 et à celle de Paris de 1855.

4) L'industriel (1857-1876)

Usine de William Drum sur la rivière Saint-Charles, vers 1870. Photo courtoisie ministère des Affaires culturelles

En 1857, William Drum peut prétendre au titre d'industriel. En effet, il se dote alors d'une machine à vapeur et d'une trentaine de machines à travailler le bois. De plus, en 1860, sa famille quitte les lieux pour aller habiter la villa Belvedere Lodge qu'il acquiert sur le chemin Saint-Louis, symbole de sa réussite sociale. Il libère donc un espace précieux pour y installer d'autres machines.

En 1867, pour répondre à une demande toujours plus grande, il fait construire un moulin et une manufacture sur la rivière Saint-Charles, à l'emplacement occupé encore récemment par l'ancien marché du Vieux-Port. Il y fait installer un «engin» de 100 chevaux-vapeur ainsi que trois bouilloires et de nombreuses machines. 

Avec cette nouvelle usine, il sépare les fonctions de production et de commercialisation. C'est désormais le bureau, les entrepôts et les salles d’exposition qui occupent ses anciens locaux de la rue Saint-Paul.

En 1871, il engage 120 personnes, dont 67 apprentis considérés comme du cheap labour. Il est désormais l'un des plus gros employeurs de la région de Québec, le plus important producteur de meubles du Québec et le second au Canada, devancé seulement par la Hay & Co. de Toronto.

5) La Drum Cabinet Manufacturing Company (1873-1891)

Incendie de l'usine de William Drum survenu le 19 août 1873. Illustration tirée du journal L'Opinion publique du 11 septembre 1873

L'année 1873 sera dramatique pour William Drum. En effet, le matin du 19 août, avant l'arrivée des travailleurs, un incendie se déclare dans le séchoir, pièce située au-dessus des bouilloires. Rapidement, la brigade des pompiers est sur les lieux. Toutefois, ils ne peuvent éteindre ce qui n'était alors qu'un début d'incendie et qui devient incontrôlable. Les pertes sont estimées à environ 160 000$, alors que les assurances se chiffrent à 26 000$. 

Trois mois avant l'incendie, Drum s'était associé à d'autres hommes d'affaires pour fonder la Stadacona Bank. Pour se relever et absorber ses pertes, il s'associe à ses partenaires bancaires et il incorpore la Drum Cabinet Manufacturing Company. Lui et sa famille contrôlaient néanmoins cette nouvelle entité.

Toutefois, un malheur n'arrive jamais seul et, au même moment, une longue crise économique mondiale s'amorce. Les affaires périclitent rapidement. C'est peut-être ce qui entraîne le décès de William Drum survenu le 12 mai 1876. Les actionnaires se réunissent d'urgence et ils décident de fermer l'entreprise. 

En 1878, la liquidation des actifs s'amorce et s'étire sur plusieurs années. C'est finalement le 30 avril 1891 que l'entreprise qui avait formé des dizaines d'ébénistes et contribué à la prospérité de Québec était officiellement dissoute.

6) Sa production: de la chaise droite au meuble d'exception

Cabinet de style néo-renaissance offert au prince de Galles lors de sa venue à Québec en 1860. Photo Musée canadien de l'histoire

William Drum a produit essentiellement des meubles d'utilité courante, que ce soit des chaises ou des sièges de toutes sortes, du mobilier de chambre à coucher et de salle à manger, du mobilier de bureau et même des miroirs. Il utilisait des essences de bois aussi variées que le bouleau, le chêne, le noyer ou l'acajou. 

Beaucoup de ses sièges étaient en rotin et ses fauteuils étaient également recouverts de toute une gamme de tissus. Évidemment, une fois mécanisée, c'est une production de masse qui sortait de son usine. 

Carte professionnelle de William Drum collée sous le tiroir du cabinet offert au prince de Galles en 1860. Photo Musée canadien de l'histoire

En marge du marché local, il écoulait une large part de sa production à Montréal, dans les Cantons-de-l'Est et dans les Maritimes. Il ouvre d'ailleurs un entrepôt dans la côte du Passage à Lévis, près de la gare du Grand-Tronc.

Enfin, il avait également une clientèle institutionnelle. Ainsi, en 1852, il produit le siège de l'orateur de la Chambre d'assemblée du Parlement, une chaire pour l'actuelle église Saint-Sauveur, et il produit différents ouvrages pour le compte du Séminaire de Québec, du gouvernement et pour des banques. Dans un registre plus prestigieux, il réalise des pièces de mobilier qui servent au prince de Galles lors de son séjour à Québec en 1860. 

7) Un entrepreneur dynamique

Plan de la chaise-hamac manufacturée par William Drum au tournant des années 1870. Photo JF Caron

William Drum était un brin avant-gardiste et très dynamique, et ce, aussi bien dans ses affaires qu'en matière de production. C'est peut-être ce qui explique une partie de son succès. 

Ainsi, lorsqu'en 1837 il avait quitté le faubourg Saint-Roch pour le quartier du Palais, il avait sous-loué son logement de la rue des Fossés. Dans le bail de sous-location, il avait prévu que le sous-locataire devrait exposer ses chaises à l'extérieur de sa boutique. De plus, ce dernier ne pourrait sous-louer de nouveau à un meublier. Il s'assurait ainsi de l'exclusivité de deux points de vente.

En marge de sa production régulière, Drum allait également fabriquer des meubles brevetés. Ce type de mobilier était caractéristique de l'époque victorienne et de l'industrialisation en ébénisterie. Au goût dominant qui exigeait des montagnes de coussins pour un confort passif s'opposait le meuble breveté qui voulait s'adapter au corps pour un confort actif. 

Le meuble breveté se voulait à la fois confortable et convertible. C'est dans ce contexte qu'il a produit quelques chaises de barbier, des chaises-escabeaux et des chaises-hamacs, l'équivalent de nos chaises Transat actuelles. Enfin, en 1872, il avait obtenu lui-même un brevet d'invention pour le perfectionnement d'une scie rotative.

8) Un homme d'affaires discret

Billet de six dollars de la Stadacona Bank arborant le visage de son président et actionnaire de la Drum Cabinet Manufacturing Company, Abraham Joseph. Photo Musée de la Banque du Canada

On a souvent l'image des hommes d'affaires actifs au sein de leur communauté ou encore très impliqués dans des œuvres caritatives. Dans le cas de William Drum, il n'en est rien. Il a été actionnaire de plusieurs entreprises, mais sans s'y positionner à l'avant-scène. Il était plutôt très discret. Néanmoins, bien qu'à l'ombre des projecteurs, il savait s'entourer de gens influents.

Son principal homme de main a sans doute été son gendre Thomas Hunter Grant. Celui-ci était un influent homme d'affaires, actionnaire de plusieurs entreprises, membre de la Commission du havre de Québec, mais surtout secrétaire du Quebec Board of Trade de 1865 à 1875.

Par ailleurs, en 1873, il s'associait à plusieurs hommes d'affaires pour mettre sur pied la Stadacona Bank. En plus d'être des marchands ou de hauts fonctionnaires, plusieurs de ses associés étaient des politiciens actifs ou retirés, que ce soit à titre de maire de la Ville de Québec, de membres de la Chambre des communes, de l'Assemblée législative provinciale ou du Sénat canadien.

Le seul poste qu'il ait occupé et qui le mettait davantage en vue a été celui de juge de paix pour le district de Québec, poste sans réel pouvoir, mais quand même prestigieux.

9) Belvedere Lodge

Belvedere Lodge, résidence de William Drum de 1860 à 1877. Photo tirée du livre Maple Leaves, Third Series, 1865, de James MacPherson LeMoine

Au tournant des années 1860, même s'il est plutôt de nature discrète, William Drum veut montrer à la bonne société de Québec qu'il n'est plus un artisan, mais qu'il est devenu un homme d'affaires en vue et qu'il a atteint leur rang. Pour ce faire, lui et sa famille quittent l'étage de sa manufacture du quartier du Palais où ils vivaient pour aller habiter en Haute-Ville. Ainsi, en janvier 1860, il acquiert le Belvedere Lodge, une magnifique villa du chemin Saint-Louis, située au coin nord-est de l'avenue Belvédère.

De nos jours, le secteur où se situait le Belvedere Lodge est très urbanisé, mais à l'époque où Drum en fait l'acquisition, on est en campagne. Située face au domaine de Marchmont, cette villa de briques à deux étages était coiffée d'une toiture en pavillon et elle était entourée d'une galerie couverte sur trois de ses façades, elles-mêmes percées de portes-fenêtres qui permettaient d'admirer le terrain aménagé de bosquets de grands pins, de jardins de fruits et de légumes, ainsi que d'un joli pré. C'est Thomas Doherty qui l'avait fait construire en 1852. La succession de William Drum revendra la propriété en 1877. On y retrouve aujourd'hui des immeubles à logements.

10) Le bilan

Épigraphe rappelant la mémoire de William Drum apposée sur la façade du 321, rue Saint-Paul. Photo J.F. Caron

William Drum a connu d'importants succès en affaires et, somme toute, il a été apprécié. Le journal satirique La Scie en a fait l'une de ses têtes de Turc, le comparant à un cauchemar pour ses employés, mais son avis de décès publié dans Le Journal de Québec du 13 mai 1876 était plutôt élogieux: Drum «avait une grande intelligence des affaires et les progrès qu'il avait su réaliser dans sa carrière le prouvent abondamment. Ceux qui ont vu les humbles commencements de cet homme actif ne peuvent qu'admirer l'énergie et le talent qu'il a déployés pour arriver à la position qu'il occupait. Sa perte sera vivement sentie par ses nombreux amis et surtout par le nombreux personnel d'ouvriers qu'il employait».

À la fin de ses jours, il a été victime du mauvais sort lors de la crise économique et de l'incendie de ses installations. De plus, au fil de sa vie, il a été aux prises avec plusieurs épreuves. En effet, l'une de ses filles était déficiente intellectuelle, son père avait commis un homicide involontaire alors qu'il était ivre, et l'un de ses fils s'est suicidé. C'est peut-être ce qui explique qu'il soit demeuré en marge des mondanités.

  • Pour obtenir plus d'informations, vous pouvez consulter le livre Un art de vivre. Le meuble de goût à l'époque victorienne au Québec, Musée des beaux-arts de Montréal et Musée de la civilisation, 1993, 527 pages.

Un texte de Jean-François Caron, historien, Société historique de Québec 

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