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Un quartier humble, mais fier

Un quartier humble, mais fier
Photo Jacques Lanctôt

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La Havane vibre, danse et vit à un rythme d’enfer grâce à sa culture métissée unique au monde, sorte de melting pot de l’africanité, de l’hispanité, avec un peu d’indianité et de francité (les Français ont été très présents à Cuba, surtout après la révolte des esclaves en Haïti), d’où surgit la cubanité authentique. On y trouve, entre autres, la meilleure école de ballet au monde, c’est pas peu dire. C’est à La Havane, en 1951, qu’on a construit le premier hôtel au monde, le Riviera, doté d'un système d’air climatisé central. C’est aussi à La Havane qu’on a inauguré, en 1906, le premier système de téléphonie directe où on n'était pas obligé de passer par une opératrice. La Havane fut aussi la première ville de toute l’Amérique latine, en 1900, à posséder une automobile, un tramway et un chemin de fer, ainsi que le premier département de radiographie, en 1907. Le premier Latino-Américain à voyager dans l’espace fut un Cubain. Cuba fut le premier pays d’Amérique latine à accorder le droit de vote aux femmes. Et ainsi de suite pour les cigares, le rhum, la boxe, les plages, le climat, la sensualité...

Pour toutes ces raisons, La Havane est un aimant qui attire les gens des autres provinces, surtout les provinces orientales. On les appelle, plus ou moins péjorativement, les llega y pon, ce qui pourrait se traduire (difficilement) par «premiers arrivés, premiers servis», c’est-à-dire qu'on choisit son petit bout de terrain vacant, on y dépose son baluchon et on déclare que c’est ici chez moi. Désormais in-dé-lo-gea-ble! Vous imaginez un peu le chaos? Si je me souviens bien, Pierre Vallières racontait un peu la même chose dans Nègres blancs d’Amérique à propos de Ville Jacques-Cartier, en banlieue sud de Montréal, dans les années cinquante.

Pas d’électricité, pas de gaz, pas de téléphones publics, pas de cliniques médicales, pas d’eau courante, pas de système d’égout, pas de chaussées asphaltées, pas de trottoirs. Et surtout pas de libreta de abastecimiento qui donne droit à la cote mensuelle de riz, de sucre, de légumineuses, de poulet, de café, de lait en poudre pour les enfants, etc. Car ces nouveaux citoyens n’existaient pas légalement sur le territoire qu’ils occupaient. Et jour après jour, les maisons de bois, quand ce n’était pas de carton, avec un «plancher» en terre battue et un toit de zinc ou de toile en nylon plus ou moins imperméable, poussaient comme des champignons, sans qu’on ne puisse rien y faire.

Un quartier humble, mais fier
Photo Jacques Lanctôt

C’est ainsi que s’est construit, il y a trente ans, le quartier El Fanguito, une enclave dans le quartier Vedado de La Havane, sur la rive est de la rivière Almendares, qui se jette tout près dans la mer. Fango veut dire boue... Fanguito = petite boue. On peut donc imaginer que, pendant longtemps, ce quartier malfamé, logé dans une légère dépression du sol et auquel on accède encore aujourd’hui, du côté sud, par deux longs escaliers assez épuisants, merci, ne possédait ni rues asphaltées ni trottoirs et qu’on y pataugeait allégrement dans la bouette lorsqu’il pleuvait. La pauvreté était palpable, et le taux de délinquance, très élevé. Chose curieuse: les gens ne se volaient pas entre eux, tout le monde – quelque mille cinq cents habitants – se connaissant et s’entraidant.

Il y a quelques années, le gouvernement et les autorités locales ont décidé de prendre le taureau par les cornes, et on a proposé aux habitants un audacieux plan de reconstruction, nommé justement el Fanguito. Les maisons brinquebalantes ont fait place à des maisons en ciment avec un vrai plancher et un vrai toit. Fini le temps où il fallait transporter dans des chaudières l’eau potable recueillie à même un robinet public. Les rues ont été asphaltées, avec de vrais trottoirs qui les bordent, et éclairées le soir. Tous les riverains ont été appelés à mettre la main à la pâte, et c’est pour cette raison qu’ils ont développé un fort sentiment communautaire et une fierté enviable pour leur quartier, qui n’a pas fini de s’organiser. Sur la petite place appelée el callejon de la cubanidad, on a installé, dans le roc, une petite crypte où trône la sainte patronne des Cubains, la Virgen de la Caridad.

Le 19 octobre dernier, c’est ici, dans la communauté d'El Fanguito, qu’on a choisi de célébrer dignement les cinquante ans du mouvement de la Nueva Trova, qui s’apparente, au Québec, à nos chansonniers qui ont chanté le pays à naître. Un bel hommage à ceux qui ont contribué, par la poésie et leurs canciones protesta, à éveiller des consciences.

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