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[EN IMAGES] L’histoire de la mort à Québec à travers six faits curieux

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S’intéresser à l’histoire d’une ville à travers le prisme de la mort? Pourquoi pas! Porter une attention particulière à la manière dont les gens d’autrefois ont composé avec le trépas, les sépultures et le deuil proprement dit est une manière fascinante de revisiter le passé. À l’occasion de l’Halloween, accordons-nous une petite excursion inusitée en découvrant six éléments de l’histoire funéraire de la ville de Québec!

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1) Une sépulture de 2 500 ans

Crâne prélevé dans la sépulture du boulevard Champlain. La coloration verte est due à la corrosion du collier de cuivre qui se trouvait avec les ossements.
Tiré de Clermont, 1975
Crâne prélevé dans la sépulture du boulevard Champlain. La coloration verte est due à la corrosion du collier de cuivre qui se trouvait avec les ossements.

Sans être habité de manière continue, le secteur correspondant aujourd’hui au Vieux-Québec est fréquenté depuis au moins deux millénaires, soit depuis la période du Sylvicole moyen (approximativement du début de notre ère jusqu’à l’an 1000). 

L’une des rares tombes de cette période a été découverte à Sillery, au lieu-dit de la Pointe-à-Pizeau, près de l’actuel boulevard Champlain, le 21 juillet 1966, lorsqu’une sépulture d’environ 2 500 ans a été accidentellement mise au jour par des ouvriers à l’occasion de travaux de construction. Enfouie à une profondeur de 2 mètres, elle s’appuyait à l’escarpement rocheux en contrebas de l’église Saint-Michel-de-Sillery, à 300 m du fleuve.

L’analyse a révélé que le défunt était un homme âgé d’environ 40 ans. Saupoudrés d’ocre rouge, marqueur quasi universel des tombes préhistoriques, les restes sont enveloppés dans des peaux de fourrure et emballés dans de l’écorce de bouleau «cousue» au moyen de lanières. 

Le défunt portait un gorgerin formé d’environ 1300 bagues cylindriques en cuivre enfilées sur une lanière de cuir. D’autres offrandes funéraires ont été retrouvées près du corps, dont des bifaces et autres objets en quartzite, calcédoine, chert et grès, ainsi que des pipes tubulaires en pierre polie.

Collier de «perles» de cuivre provenant de la sépulture du boulevard Champlain.
Tiré de Clermont, 1975
Collier de «perles» de cuivre provenant de la sépulture du boulevard Champlain.

2) Des religieuses incorruptibles

Mère Louise Soumande de Saint-Augustin, 1708, peinture à l’huile sur panneau de bois créée par Michel Desaillant.
Collection des Augustines de l’Hôpital général de Québec
Mère Louise Soumande de Saint-Augustin, 1708, peinture à l’huile sur panneau de bois créée par Michel Desaillant.

En juillet 1727, à l’occasion d’une visite du caveau de l’Hôpital général de Québec, on découvre avec stupéfaction les cadavres entiers et relativement intacts de trois religieuses décédées de la petite vérole une vingtaine d’années auparavant. L’évêque convoque alors le médecin royal Michel Sarrazin afin qu’il puisse examiner les corps. Le rapport de l’homme de science révèle plusieurs détails intéressants.

Chez mère Marie-Anne Trottier de Sainte-Hélène (décédée le 4 mars 1703), le médecin trouve «les pieds, les jambes, les mains, les bras & les épaules fort conformes au naturel, quant à l’extérieur. Les mains surtout étoient flexibles, comme dans une personne endormie.» Chez mère Madeleine Soumande de la Conception (décédée le 11 février 1703), la peau est amincie racornie, mais les oreilles «avoient une souplesse très naturelle». 

Après incision, la chair est trouvée «fort souple & fort naturelle». Chose étonnante, du sang «vermeil ainsi que dans une personne vivante» s’écoule d’une blessure. Le corps la première supérieure de l’Hôpital général, mère Louise Soumande de Saint-Augustin (décédée le 28 novembre 1708), s’avère plus abîmé, mais partiellement préservé. 

Cette extraordinaire conservation est d’autant plus étonnante que les religieuses sont mortes des suites de la petite vérole, une maladie qui afflige l’épiderme de plaies. De surcroît, les corps ont été enduits de chaux: «Les dames mortes auraient dû peu à peu être détruites, & entièrement consumées; ce qui n’est pourtant pas.» 

La qualité du sol (une terre glaise très dense), est-elle en cause? Les autres dépouilles de cette crypte sont pourtant à l’état de squelettes... Bref, ces trois cadavres s’avèrent inexplicablement bien conservés. 

«Je ne connois aucun mixte, ni aucun ouvrage de chymie capable de produire ces effets», admet Sarrazin. Le médecin conclut son rapport en avouant ingénument que «le fait est problématique, mais que s’il falloit cependant décider, je ne pourrois moins dire, sinon qu’il y a de l’extraordinaire». À la demande générale, les corps sont exposés au monastère pendant deux semaines avant d’être réinhumés.   

3) Quand les morts empoisonnent les vivants

Encensoir en argent, 18e siècle, réalisé par l’orfèvre Ignace-François Delezenne.
Photo Catherine Levesque, pour le Monastère des Augustines
Encensoir en argent, 18e siècle, réalisé par l’orfèvre Ignace-François Delezenne.

Partout dans le monde occidental entre le 3e et le 19e siècle, on a inhumé des défunts dans les chapelles et les églises, en vertu de la croyance selon laquelle l’âme rejoindrait plus facilement le paradis si le corps était enterré près de l’autel et bénéficiait des prières des fidèles. 

Ces sépultures intérieures occasionnent toutefois d’importants problèmes de salubrité, comme on peut l’imaginer –l’encens, utile pour camoufler les odeurs, n’était d’aucun recours pour prémunir contre les maladies... Le sol de pratiquement toutes les églises et chapelles de Québec ont longtemps fait office de cimetière.

De même, les cimetières collés aux édifices religieux pouvaient poser problème. Une cause portée devant les tribunaux à l’automne 1758 oppose le supérieur du Séminaire de Québec au curé et aux marguilliers de la paroisse de Notre-Dame de Québec. 

Le plaignant demande instamment aux autorités d’interdire aux marguilliers de Notre-Dame de creuser de grandes fosses dans le cimetière qui se trouve entre la cathédrale et le séminaire. S’ils creusent des fosses individuelles, ils doivent y mettre une bonne quantité de chaux vive et recouvrir immédiatement les corps de terre «afin d’empêcher les exhalaisons et puanteur» qui incommodent les séminaristes et les passants! Après tout, il faut prévenir les maladies contagieuses «que ces exhalaisons ne manqueroient pas d’occasionner». 

S’il est permis de mettre plusieurs corps en dépôt dans une fosse commune pendant l’hiver, ceux-ci devront toutefois être transportés dans un autre cimetière avant le dégel. On interdit par ailleurs de laisser les fosses ouvertes: elles doivent être recouvertes de planches pendant l’hiver.

4) Le deuil, une occasion d’affaires?

Le deuil féminin est beaucoup plus visible que le deuil masculin. Sur cette représentation de personnages sur la terrasse Durham (future terrasse Dufferin), à Québec, au milieu du 19e siècle, les deux femmes de droite arborent les robes noires à col blanc typique des veuves.
Photo George Seton, The Platform, Quebec, 1848, Musée royal de l’Ontario, 953.132.35
Le deuil féminin est beaucoup plus visible que le deuil masculin. Sur cette représentation de personnages sur la terrasse Durham (future terrasse Dufferin), à Québec, au milieu du 19e siècle, les deux femmes de droite arborent les robes noires à col blanc typique des veuves.

C’est au cours du 19e siècle que se codifie la manière de se vêtir après le décès d’un proche. Avec les épidémies qui surviennent régulièrement, disons que la mort est un phénomène quasi quotidien dans la vie des gens. 

Il existe alors une énorme disparité entre le temps de deuil prévu pour la veuve (un an et six semaines) et celle pour le veuf (six mois), les prescriptions touchant la tenue féminine étant très importantes.

Plusieurs commerçants de Québec y voient une opportunité de gain. En 1845, les horlogers et bijoutiers Ardouin et fils, au 60 rue Saint-Jean, proposent de nombreux articles pour les personnes endeuillées: agrafes noires, unies et en relief, bracelets, boutons de chemise, anneaux, épinglettes de deuil pour dames et messieurs, le tout importé de Londres. 

Le deuil représente alors le fonds de commerce de bien d’autres marchands. Au milieu des années 1860, le marchand de modes F.X. Lepage fait paraître plusieurs encarts publicitaires dans Le Journal de Québec, où il énumère les différents tissus et articles disponibles pour sa clientèle endeuillée: cobourg noir crêpé, mérinos, paramatta, princetta, barathea, crêpe, gants de chevreau noir, chapeaux de paille et de feutre, fleurs, plumes, rubans noirs, etc. 

Et lors de l’épidémie de grippe espagnole de 1918, plusieurs publicités imprimées invitent les gens profiter de «ventes de noir à bon marché pour les familles en deuil»...

À la page suivante du même journal, on trouve aussi une publicité de J. Hamel & Frères, du 58 rue Sous-le-fort à Québec, annonçant une grande variété d’étoffes de deuil, ainsi qu’une publicité de L. Brousseau, imprimeur, proposant ses services pour «impressions de toutes espèces», dont des cartes et lettres funéraires.
Le Courrier du Canada, vendredi 28 septembre 1877, p. 3
À la page suivante du même journal, on trouve aussi une publicité de J. Hamel & Frères, du 58 rue Sous-le-fort à Québec, annonçant une grande variété d’étoffes de deuil, ainsi qu’une publicité de L. Brousseau, imprimeur, proposant ses services pour «impressions de toutes espèces», dont des cartes et lettres funéraires.

5) Un troublant monument funéraire de 1871

Monument Temple, cimetière Mount Hermon.
Photo Catherine Ferland
Monument Temple, cimetière Mount Hermon.

En déambulant dans la section arrière du cimetière Mount Hermon, à Québec, on rencontre un petit monument funéraire de marbre au décor à la fois singulier et émouvant. Il s’agit d’une petite statue représentant un très jeune enfant qui, yeux fermés, semble endormi. Il s’appuie sur un crâne humain, lui-même posé sur un sablier. Un flambeau éteint est déposé aux pieds de l’enfant.

Monument Temple, cimetière Mount Hermon.
Photo Catherine Ferland
Monument Temple, cimetière Mount Hermon.

Cette touchante structure funéraire est l’écho de la douleur de parents éplorés, le major Henry Temple et Geraldine Sewell. Né le 26 avril 1871, le petit Gordon Lennox n’aura vécu que deux mois et trois semaines. En moins de dix ans, le couple a perdu quatre tout-petits, emportés par la maladie. Bien des familles du 19e siècle, hélas, ont connu un sort semblable, alors que la mortalité infantile multipliait les petits tombeaux dans nos cimetières.

Cimetière Mount Hermon.
Photo Catherine Ferland
Cimetière Mount Hermon.

Sensibles à son esthétique macabre mais irrespectueux de la mémoire de cette famille, des jeunes ont subtilisé la statue pour en faire une décoration d’Halloween en 1970... Heureusement, avec l’aide des policiers municipaux, le monument a pu être retrouvé et restitué au cimetière.

6) Un défunt qui a la bougeotte 

Premier cercueil de plomb de Mgr François de Laval.
Photo Christian T. (Wikimedia Commons)
Premier cercueil de plomb de Mgr François de Laval.

Premier évêque de Québec, François de Montmorency de Laval rend l’âme au matin du 6 mai 1708, à l’âge de 86 ans. Bien que le prélat ait exprimé le souhait de reposer au Séminaire, la chapelle de celui-ci n’est pas prête: c’est donc dans la cathédrale, devant le grand autel, qu’on enterre son le grand cercueil de plomb. 

Les bombardements de 1759 détruisent partiellement la cathédrale, mais la sépulture de Mgr de Laval reste en place. Au fil du temps, son emplacement exact sombre dans l’oubli.

François de Montmorency, Mgr de Laval.
J.E. Livernois Photo, Québec, 1878, BAnQ, P560,S2,D1,P664
François de Montmorency, Mgr de Laval.

C’est lors de travaux sous le plancher que deux jeunes ouvriers retrouvent le lourd cercueil, par une fin d’après-midi de septembre 1877. Au printemps suivant, les restes de l’évêque sont transportés à l’Université et examinés soigneusement par deux médecins. Ceux-ci notent que presque tous les os des pieds sont manquants... ce qui donnera lieu à la rumeur selon laquelle Mgr de Laval, enterré vivant, aurait tenté de survivre en consommant ses propres membres ! Il faut plutôt y voir les effets de la détérioration de la partie inférieure du cercueil. 

On profite de l’occasion pour accéder au désir de l’ancien évêque en ramenant sa sépulture dans la chapelle du Séminaire de Québec. Les sœurs de la Charité nettoient soigneusement les ossements, les plongent dans un bain de cire, puis les disposent sur un matelas recouvert de soie violette et de fleurs. 

La translation des restes a finalement lieu en mai 1878, en présence d’une foule estimée à plus de 30 000 personnes! Le corps est placé dans un triple cercueil, puis mis dans une voûte maçonnée. 

L'arrivée du cortège à la basilique lors de la translation des restes de François de Laval, le 23 mai 1878.
L’Opinion publique, 6 juin 1878
L'arrivée du cortège à la basilique lors de la translation des restes de François de Laval, le 23 mai 1878.

Le premier évêque de Québec a-t-il enfin pu jouir du repos éternel? Eh bien, non... En 1950, on ouvre à nouveau son cercueil à l’occasion de la construction d’une nouvelle chapelle funéraire, toujours au Séminaire. Ornée d’un gisant de marbre blanc de Carrare, cette chapelle attire les dévots. 

Mais lorsque l’édifice religieux est désacralisé en 1993, les autorités religieuses décident de ramener la sépulture de Mgr de Laval à la cathédrale-basilique Notre-Dame de Québec. Depuis bientôt 30 ans, le prélat y repose enfin tranquillement.


Un texte préparé pour les Rendez-vous d’histoire de Québec par Catherine Ferland, historienne et autrice de 27 faits curieux sur la mort, d’hier à aujourd’hui (Les Heures bleues, en librairie à l’automne 2022).

Les 6e Rendez-vous d’histoire de Québec auront lieu du 9 au 13 août 2023. D’ici là, découvrez ou redécouvrez gratuitement la centaine de conférences des éditions précédentes au rvhqc.com et suivez-nous sur Facebook.

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