De plus en plus de profs immigrants
Une école de Beauport accueille quatre nouveaux venus depuis la rentrée
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Les profs qui ont été formés à l’étranger sont de plus en plus nombreux dans les écoles de la province. En pleine pénurie d’enseignants, des intervenants réclament qu’on leur ouvre plus grandes les portes du système scolaire québécois.
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À l’école secondaire de La Courvilloise, située dans le secteur Beauport, à Québec, quatre nouveaux enseignants d’origine immigrante se sont ajoutés à l’équipe cette année.
Il s’agit d’une toute nouvelle réalité pour son directeur Simon Mainville, qui veut s’assurer de « prendre soin » de ses nouvelles recrues. « Je crois beaucoup en leur potentiel. Le défi, c’est de bien les accueillir », dit-il. Certains enseignent au Québec depuis déjà un moment, comme Deni Pelaez Gonzalez, qui a complété sa formation à l’Université Laval il y a une dizaine d’années. De son côté, Marius Kiam Bitep a quitté son Cameroun natal il y a à peine cinq mois pour s’établir dans la capitale avec sa femme et ses enfants.
Comme sa collègue Abigaël Laure Kombou Dougoua, il détient un permis probatoire d’enseigner que le ministère de l’Éducation octroie à des profs qui ont été formés à l’étranger.
Le nombre de nouveaux permis octroyés par le ministère de l’Éducation est d’ailleurs passé de 173 à 307 entre 2019-2020 et 2020-2021, selon les plus récents chiffres disponibles.
S’adapter à une nouvelle réalité
Même s’il a commencé à préparer son arrivée au Québec il y a six ans et qu’il s’était bien renseigné sur les rouages du système scolaire québécois, Marius doit néanmoins s’adapter à une réalité bien différente que celle qu’il a connue dans les écoles camerounaises, où le concept d’« enfant-roi » n’existe pas.
« Là-bas, quand l’enseignant entre dans l’établissement, il y a le respect. Ici, on est d’égal à égal avec les élèves et l’enseignant doit rendre des comptes aux parents », souligne Marius. Les défis sont grands, même pour ceux qui sont arrivés au Québec il y a plusieurs années. Deni, qui a obtenu son baccalauréat en enseignement des arts plastiques à Québec, a vite réalisé que sa différence pouvait être perçue comme une « faiblesse » par certains élèves qui cherchent à profiter des failles de leur enseignant.
« J’ai eu des élèves qui riaient de mon accent ou qui me prenaient moins au sérieux parce que je prononçais mal un nom de famille. Souvent, tu peux te sentir seule parce que tu te sens jugée », laisse-t-elle tomber.
Être bien épaulé
D’où l’importance de bien épauler les nouveaux venus. C’est d’ailleurs ce qui a fait toute la différence à l’école de La Courvilloise, où ces profs ont été accueillis par deux enseignants mentors dès leur première journée à l’école.
« C’est vraiment le jour et la nuit », lance Deni.
Le son de cloche est le même de la part d’Abigaël, qui a pu trouver « toutes les réponses » à ses questions dès les premières journées au boulot. « J’avais le moral très haut, je me sentais déjà intégrée », lance-t-elle. Elle se réjouit aussi d’avoir des élèves curieux qui s’intéressent à sa culture. Certains ont même voulu apprendre quelques mots en bamiléké afin de saluer leur enseignante dans sa langue locale.
Marius, qui se sent déjà bien entouré, raconte de son côté que des élèves se sont empressés de lui donner des conseils pour l’aider à se vêtir chaudement pour son premier hiver québécois.
« On se sent vraiment aidé », lance-t-il avec un grand sourire.
Abigaël Laure Kombou Dougoua
- Enseignante de mathématiques originaire du Cameroun
- Arrivée au Québec en 2018
- Permis probatoire d’enseigner
Deni Pelaez Gonzalez
- Enseignante d’espagnol originaire du Mexique
- Arrivée au Québec en 2009
- Diplômée de l’Université Laval en enseignement des arts plastiques
Marius Kiam Bitep
- Enseignant de mathématiques originaire du Cameroun
- Arrivé au Québec en juin 2022
- Permis probatoire d’enseigner
Plusieurs obstacles à leur intégration
Des enseignants immigrants se heurtent souvent à plusieurs obstacles qui nuisent à leur intégration dans le réseau scolaire québécois, déplorent des experts.
L’unique porte d’entrée vers le système d’éducation québécois pour des enseignants formés à l’étranger est l’obtention du permis provisoire d’enseigner. Cette autorisation est octroyée à des personnes qui ont complété une formation à l’extérieur du Canada jugée équivalente à un programme de formation en enseignement au Québec, en plus d’avoir réussi l’examen de français écrit.
Or de nombreux enseignants ne parviennent pas à « surmonter les barrières liées à la reconnaissance de leurs acquis et compétences », déplore Julie Larochelle-Audet, professeure à l’Université de Montréal, dans une lettre ouverte récemment publiée dans Le Devoir.
Missions de recrutement
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de constater que les missions de recrutement à l’étranger pilotées par des centres de services scolaires se déroulent presque exclusivement en France, puisque la formation y est plus facilement reconnue que dans d’autres pays francophones, dont ceux du continent africain, souligne Geneviève Sirois, professeure au département d’éducation de la TÉLUQ.
« Pour les autres pays, c’est relativement nouveau, on construit l’avion en vol », dit-elle.
Une fois le permis probatoire obtenu, encore faut-il être en mesure de bien intégrer ces enseignants dans les écoles québécoises, ajoute Mme Sirois. « Il faut prévoir des mécanismes. On ne peut pas juste aller les chercher et les mettre dans une classe en se disant qu’ils vont combler le besoin », lance-t-elle.
Enjeux
Les enjeux d’intégration dépassent toutefois les frontières de l’école et des ressources qui peuvent être mises en place pour encadrer ces nouveaux venus. « Il y a aussi une réflexion plus large à avoir comme société québécoise. Est-ce qu’on est prêt, que ce soit en éducation et en santé, à ouvrir la porte et à accueillir ces personnes-là ? » dit-elle.
À l’école secondaire de La Courvilloise, à Québec, l’arrivée d’enseignants formés à l’étranger a suscité quelques inquiétudes parmi des parents en début d’année scolaire, malgré toute la « richesse » que ces profs immigrants représentent pour les élèves, rapporte son directeur, Simon Mainville.