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Essai: un conteur du merveilleux

La prière de l’épinette noire
Photo courtoisie

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Pour entrer dans cet ouvrage posthume du regretté Serge Bouchard, « mammouth laineux » et homme d’un « autre temps », comme il se qualifiait lui-même, il faut avoir « l’âme à la tendresse », comme le chantait la tout autant regrettée Pauline Julien. Et aussi un brin de nostalgie parce qu’on s’ennuie de cet anthropologue géant qui a marché l’Amérique, sur les traces de nos ancêtres français et de nos frères amérindiens, et dont la voix chaude et rauque à la fois nous portait à rêver de voyages et de découvertes, semaine après semaine, pendant une dizaine d’années, sur les ondes de la radio publique.

Cet ouvrage s’inscrit dans la suite des deux précédents, L’allume-cigarette de la Chrysler noire et Un café avec Marie, qui regroupent ainsi la majorité de ses éditoriaux. Si Bouchard s’y adressait souvent aux arbres, aux animaux, aux camions et aux lacs, nous dit, en préface, Jean-Philippe Pleau qui fut son réalisateur à Radio-Canada pendant onze saisons, c’est, en fait, à nous qu’il s’adressait, souhaitant que ces objets inanimés soient « toujours là pour rappeler aux humains la nécessité que cette humanité vienne au monde, si jamais ces derniers finissaient par l’oublier ». 

On trouve, dans ce recueil, une soixantaine de ses chroniques lues en ondes et regroupées en cinq chapitres : Le silence de la chouette ; Exercices de solidarité ; Sur le fil de mon Facebook ; Contre la laideur ; et La mélancolie du long cours. 

La simple évocation de leurs titres nous fait saliver d’impatience de les découvrir sous leur format écrit après les avoir entendues à la radio. Et c’est une partie de notre enfance, de notre quotidien, de nos étonnements, de nos angoisses à propos de la mort inévitable et des injustices, que nous retrouvons ainsi, créant une indéfectible complicité entre nous et son auteur.

L’éloge de l’intimité

Ainsi, ces enfants qui jouent au hockey bottine dans la rue avec une balle bleu-blanc-rouge en caoutchouc aux couleurs du Canadien de Montréal, c’est un peu nous, Canadiens français, dans nos belles années d’insouciance. Cette évocation de « la solitude du bas orphelin dans la sécheuse » ou celle « du veuf, urne sous le bras, qui revient à la maison après les funérailles de sa femme», ou celle « du dernier chocolat dans la boîte, celui que personne n’aime », ou encore celle « de la cerise à l’intérieur du Cherry Blossom », nous invite à nous questionner sur notre propre solitude dans l’univers. 

Qui n’a pas connu ce sentiment de honte en public lorsqu’une personne en position d’autorité tente de vous humilier devant vos camarades de classe ? Le jeune Bouchard, lui, « cancre d’entre les cancres », en science seulement, était bien équipé pour parer aux coups, étant passé « maître en Hontologie avec un grand H ». Cette cuirasse de faux dur ne l’empêchera surtout pas d’être sensible à l’autre.

Plus loin, Bouchard fait l’éloge de l’intimité, ultime refuge pour se retrouver avec soi-même, pour panser ses plaies à l’aide de larmes salvatrices, soigner ses blessures, ses cicatrices, ses douleurs permanentes. 

« L’intimité est un journal qui ne devrait jamais être publié. » Tout le contraire d’une téléréalité, dit-il. Et « lorsque l’humain devient vieux, il ne veut plus parler aux humains », préférant la compagnie des chats, des chiens, des perruches.

Mots coupables

Parfois, il lève le ton pour fustiger l’indolence et la superficialité de nos fausses vies où l’on a perdu le goût de l’hospitalité et de l’entraide. Il dénonce les nouveaux codes langagiers des bien-pensants qui vont jusqu’à dresser des listes de mots coupables qu’il ne faudrait plus prononcer. 

« Voilà que je ne puis plus prononcer le mot indien même si j’essaie d’en examiner l’usage à travers le temps. [...] Après tout, on finira par me dire que je suis un homme blanc, de l’ancien temps de surcroît. Il faudra m’excuser de m’appeler Serge Bouchard, d’être venu au monde en 1947, vil profiteur, présumé coupable de tous les péchés du monde. » 

Il s’en prend à nos gouvernements incapables de protéger la nature et ceux qui y vivent depuis des millénaires, populations autochtones et animales. Tout en nous appelant à apprendre « l’art de nous laisser pénétrer par le silence des grands espaces ». 

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Ils étaient l’Amérique/Des remarquables oubliés, tome 3

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Ce troisième tome devait s’appeler initialement « Ils ont perdu l’Amérique », mais ce titre semblait, à Marie-Christine Lévesque, trop pessimiste. On y raconte « l’histoire en miettes d’un choc entre deux mondes, dont on a dit à tort que l’un était ancien et l’autre nouveau, alors qu’ils étaient l’un comme l’autre presque aussi vieux que l’humanité », selon les mots de Mark Fortier, en préface. Situé au croisement des cultures algonquienne, iroquoienne et canadienne-française, du XVIe au XVIIIe siècle, cet ouvrage inachevé retrace l’histoire de Donnacona, Membertou, Anadabijou, Tessouat, Kondiaronk, Langlade et Pontiac. Des histoires oubliées ou souvent niées, qui ont pourtant « influencé les philosophes européens, fécondé les représentations de l’égalité et de la liberté, contribué à l’histoire universelle de l’humanité ». Car le paradis terrestre existait en Amérique, avant l’arrivée des Européens qui ont transformé le « Nouveau Monde » en paradis fiscal. Christophe Colomb, dont on a fait un découvreur, était en réalité un marin perdu qui se croyait en Chine, « il ne comprend pas où il se trouve, c’est le grand égaré de l’histoire », affirme l’anthropologue conteur. Ainsi débute cette saga fabuleuse.


Migrations/Grandeur et misère de la vie en mouvement

La prière de l’épinette noire
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« Avec le temps, les envahisseurs deviennent les indigènes », dit un vieux proverbe romain. « Jamais auparavant les gens n’ont été si nombreux à vivre hors de leur pays d’origine. [...] En 2015, plus de 15 millions de personnes ont été forcées de fuir leur pays, du jamais-vu depuis la Seconde Guerre mondiale. » La migration a aujourd’hui mauvaise presse. Pourtant, « le mouvement a toujours été le meilleur moyen d’assurer la survie collective des espèces », nous dit l’auteure, reporter et journaliste, qui a suivi les migrants dans leurs périples, de l’île de Lesbos à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Et cela vaut aussi pour les espèces sauvages, assurant ainsi la diversité biologique, mais surtout leur survie, en raison des changements climatiques. Ainsi, selon l’auteure, la migration pourrait bien s’avérer « notre meilleure chance de préserver la biodiversité et des sociétés humaines résilientes ». Bref, la frontière entre « migrants » et « natifs » est bien mince et revêt un caractère éphémère. Passionnant.

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