Île d’Orléans: l’érosion des berges inquiète les élus
Les changements climatiques ont un impact sur des riverains qui devront faire des travaux sur leur terrain
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Les berges sont sous haute surveillance à l’île d’Orléans. Dans certains villages, les élus s’inquiètent de plus en plus de l’érosion, un phénomène accentué par les changements climatiques et les grandes marées « de plus en plus dévastatrices ».
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Le Comité ZIP (Zone d’intervention prioritaire) de Québec et Chaudière-Appalaches a embauché des biologistes qui ont étudié le littoral pour faire l’état des lieux.
Les changements climatiques sont pointés du doigt sans détour dans le « Plan global de protection et de restauration des rives de Saint-François-de-l’Île-d’Orléans », divulgué à la population locale il y a quelques mois.
On y rapporte que les grandes marées grugent lentement mais sûrement les rives dans certains secteurs plus exposés du côté sud, particulièrement à Saint-Jean et Saint-François.
« Une tempête du nord-est va avoir un impact vraiment plus grand sur ces villages-là. Il y a des vagues de plus forte amplitude que dans les environs de la ville de Québec parce que le fleuve s’ouvre à l’est de l’île. Il y a une dynamique plus grande qui affecte ces territoires-là versus Québec et Lévis par exemple », confirme Jean-François Bernier du département de géographie de l’Université Laval.
Des gestes à poser
À Saint-Jean, les résidents connaîtront le fin détail d’un deuxième rapport, produit récemment, lors d’une séance prévue en mai. Le maire Jean Lapointe a accepté de nous résumer les grandes lignes.
« Ce n’est pas inquiétant comme aux Îles-de-la-Madeleine ici. Ce n’est pas l’océan. Mais c’est certain qu’il y a de l’érosion. Il y a toujours eu des coups d’eau et des coups de vent, mais il y en a plus qu’avant. Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. Il y a des murs à refaire et il y a des citoyens qui vont avoir des interventions à faire sur leur terrain », en ajoutant de la végétation près de la rive, confirme-t-il.
« Il n’y a pas de maisons ou de chemins qui menacent de s’écrouler. Mais il ne faut pas attendre que ça arrive non plus. Ça prend de la prévention et de la planification. Bien souvent, on attend à la dernière minute, puis quand ça arrive, on se demande ce qu’on fait », exprime Hamida Hassein-Bey, directrice du Comité ZIP, qui travaille étroitement avec les municipalités concernées.
Pas juste en Antarctique
La problématique d’érosion – qui ne touche pas seulement l’île d’Orléans – interpelle de plus en plus les élus de la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ) qui ont eux aussi commandé diverses études dans les dernières années.
« Les changements climatiques, ce n’est pas un enjeu qui se passe en Antarctique, c’est un enjeu qui a des conséquences ici aussi », a déclaré récemment le chef de l’opposition à l’hôtel de ville de Québec, Claude Villeneuve, qui préside aussi le comité sur la transition écologique à la CMQ.
« Les changements climatiques, c’est vrai ! Quand il y a beaucoup de glaces, ça protège la berge en hiver, mais là, on a presque plus de glaces comparativement à avant », observe la mairesse de Saint-François et préfète de la MRC de L’Île-d’Orléans, Lina Labbé, qui pointe aussi du doigt d’autres facteurs qui contribuent à l’érosion comme le trafic maritime et l’absence de végétation le long des rives.
Un problème « majeur »
Dans la municipalité de Saint-François, l’affaissement d’un long muret de soutènement et d’une partie du chemin de l’Anse-Verte, en 2013, a eu l’effet d’un électrochoc.
Depuis, Mme Labbé mène la charge pour sensibiliser les autres élus de la région et les citoyens à ce « problème majeur » d’érosion qui est, heureusement, de plus en plus documenté.
« Les gens chez nous sont sensibilisés à ça. Ils sont bien contents qu’on ait fait faire une étude de caractérisation pour savoir quels genres de travaux ils ont à faire. »
Mme Labbé plaide par ailleurs pour une action concertée. « Si tu fais un muret à une place, tu déplaces le mal de place. Ça dérange l’écosystème et ça va aller frapper ailleurs », expose-t-elle.
Portrait des rives vulnérables à l’île d’Orléans
SAINT-JEAN
Total de 13,2 km de rives
- Interventions requises sur 3,2 km de berges à court ou moyen terme, soit 24 % du littoral
- Actions prioritaires sur 176 mètres (moins de 2 ans) et 783 mètres (d’ici 2-3 ans)
SAINT-FRANÇOIS
Total de 7,1 km de rives
- Interventions requises sur 1,4 km de berges à court ou moyen terme, soit 20 % du littoral
- Actions prioritaires sur 149 mètres (moins de 2 ans) et 407 mètres (d’ici 2-3 ans)
Les marais maritimes du chenal nord à l’île d’Orléans – jusqu’à la Côte-de-Beaupré – démontrent également un degré d’activité d’érosion important. Ils ont été identifiés parmi les quatre secteurs les plus vulnérables du tronçon fluvial entre la région de Québec et Cornwall en Ontario.
Sources : Études réalisées par ZIP de Québec et Chaudière-Appalaches, Étude de caractérisation des berges de la partie fluviale du Saint-Laurent réalisée en 2020 par le Laboratoire de Géosciences marines de l’Université Laval
Qu’est-ce qui provoque la détérioration des rives ?
L’érosion des berges le long de la voie maritime du fleuve Saint-Laurent est multifactorielle et ne date pas d’hier. Le déboisement des rives, d’autres interventions humaines, les effets gel-dégel ou encore les puissantes vagues provoquées par les gros navires (surtout à Saint-François) peuvent aussi avoir un impact non négligeable. Ce n’est pas pour rien que des centaines de kilomètres de berges ont été bétonnées ou enrochées au milieu du siècle dernier. Ces aménagements vieillissants et les rives naturelles existantes risquent cependant d’être encore plus vulnérables dans le futur en raison des changements climatiques, à l’île d’Orléans comme ailleurs dans le tronçon fluvial, estiment plusieurs scientifiques. Voici pourquoi.
Les tempêtes et les marées
« Les marées, surtout dans la région de Québec et dans l’estuaire, peuvent accentuer les phénomènes d’érosion là où il existe des barrières humaines ou naturelles empêchant une recharge des sédiments. Toutefois, l’érosion est principalement causée par les ondes de tempêtes. Sur le tronçon fluvial, les ondes de tempêtes sont principalement ressenties près de l’île d’Orléans », peut-on lire dans une étude produite par Ouranos en 2020.
Rappelons qu’une pointe de vent de 126 km/h avait été enregistrée à Saint-François en 2017.
Il est difficile, par contre, d’établir un lien direct avec les changements climatiques puisque les modèles globaux sont peu adaptés au niveau local, nuance Jean-François Bernier, chercheur au département de géographie de l’Université Laval.
« Des tempêtes, il faut faire attention, on n’en a pas tant que ça à Québec non plus et il faut que ça soit une tempête parfaite avec un haut niveau d’eau. Lorsque la marée est basse, il n’y a pas tant de conséquences. »
En revanche, les changements climatiques ajoutent une grande part d’incertitude et sont perçus comme un facteur aggravant.
« Il peut y avoir plus d’événements extrêmes que dans le passé. C’est ça le problème. On a besoin de mieux aménager notre territoire en fonction de cette incertitude », ajoute son collègue Patrick Lajeunesse.
Le couvert de glaces diminue
Depuis 1998, l’étendue de glace de berge sur la côte est canadienne (provinces maritimes et golfe du Saint-Laurent à partir de Québec) a décru de 1,53 % par année.
À l’île d’Orléans, ils sont nombreux à avoir observé une réduction du couvert de glaces dans les dernières décennies.
Or, ces glaces sont généralement reconnues pour leur « rôle protecteur » des berges à l’hiver et au printemps puisqu’elles atténuent l’onde de marée et les vagues.
Si le couvert de glaces n’est pas suffisamment épais, l’érosion s’accentue.
« La glace va disparaître d’ici la fin du siècle, c’est à peu près certain. On parle d’une réduction de 95 % par rapport à aujourd’hui. C’est un bouleversement assez important. C’est assez lointain, mais c’est quelque chose qui a déjà commencé », avance Gabriel Rondeau-Genesse du consortium Ouranos.
Le rôle protecteur des glaces fait toutefois débat dans la communauté scientifique et leur « rôle érosif » est sous-étudié dans le tronçon fluvial, selon Jean-François Bernier, du département de géographie de l’Université Laval.
Si les glaces devaient complètement disparaître d’ici l’an 2100, ce serait « quasiment une source d’érosion de moins, opine-t-il. Il faut prendre ça en compte également. »
Hausse du niveau de la mer
Le changement n’est peut-être pas encore perceptible à l’œil nu, dans le fleuve Saint-Laurent, mais le niveau de l’eau est bel et bien en hausse.
Depuis 1993, selon des outils fiables de mesure de Pêches et Océans Canada, le niveau a augmenté de près de 2 mm/an dans le secteur de l’île d’Orléans, soit environ 5 centimètres durant cette période.
« Le rehaussement marin est indéniable », observe Gabriel Rondeau-Genesse, chercheur pour Ouranos, un consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques.
« On ne connaît pas exactement la valeur finale, mais en fin de siècle, ça pourrait atteindre 50 à 60 cm, avec des [scénarios] plus catastrophes de 1 mètre et plus selon l’évolution de l’Antarctique. C’est clair que ça va avoir un impact sur l’érosion des berges et la submersion. »
Certaines régions du Québec, dont la région de Québec, sont toutefois encore en train de se soulever dû à la dernière glaciation – ce qu’on appelle l’ajustement isostatique –, ce qui vient contrebalancer en partie l’impact du rehaussement marin.