Pénurie de conducteurs: des jeunes sans transport scolaire chaque semaine
Des parents à bout dénoncent les bris de service en transport scolaire qui sont si fréquents que leurs enfants doivent manquer l’école ou se débrouiller par leurs propres moyens deux à trois fois par semaine.
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«Ça n’a plus de sens. Au département du transport scolaire, je leur ai dit: vous êtes en train de bousiller nos vies», témoigne Pierre-Philippe Martin.
Ses deux garçons de 12 et 14 ans seraient censés prendre tous les jours l’autobus jaune pour se rendre à leur école secondaire, à L'Assomption et à Repentigny.
- Écoutez l'entrevue avec Josée Dubé à l’émission de Richard Martineau via QUB radio :
Mais dans les faits, le transport scolaire est si peu fiable qu’ils ont aussi une carte OPUS du système de transport en commun, au cas où il y aurait un problème.
Deux fois par semaine, en moyenne, M. Martin reçoit un texto indiquant que le trajet d’un de ses fils est annulé ou en retard, à quelques heures d’avis. Dans la semaine du 21 novembre, c’est arrivé à trois reprises.
«On espère»
«On espère tout le temps voir l’autobus arriver», résume Nicolas Martin, 14 ans.
La raison derrière tous ces bris de service: la pénurie de conducteurs d’autobus, qui fait en sorte qu’en cas de maladie, ils sont difficiles à remplacer (voir autre texte plus bas).
Un peu partout au Québec, le transport scolaire est précaire, observent les porte-parole de deux associations de comités de parents, qui ont été interrogés. Certaines régions sont toutefois plus touchées que d’autres, comme Lanaudière, les Laurentides et l’Estrie.
Présent depuis environ un an, le problème se serait aggravé cet automne. Par exemple, au Centre de services scolaire (CSS) de la Région-de-Sherbrooke, on compte 16 bris de service en novembre... et un seul en octobre, illustre le secrétaire général, Donald Landry.
Une semaine à la maison
Lucie Duguay n’a pas de voiture. Elle a reçu un courriel disant que, cette semaine, il n’y aurait pas d’autobus scolaire passant près de chez elle, à Saint-Lin–Laurentides, pour conduire sa fille à son école secondaire, à Sainte-Julienne.
Sa fille de 13 ans passera donc la semaine à la maison. «C’est sûr que ça va lui nuire [dans sa réussite]», soupire Mme Duguay.
La semaine dernière, la fille de Julie Bonami, de son côté, a manqué deux jours d’école, faute de transport en commun entre Prévost et Saint-Jérôme.
Ce ne sont pas tous les parents qui ont la liberté de changer leur horaire de travail à la dernière minute pour conduire leurs enfants à l'école.
Pierre-Philippe Martin est travailleur d’urgence à Montréal. Lucie Duguay travaille dans un dépanneur. Julie Bonami a sa propre garderie en milieu familial, qui ouvre à 6 h 30.
«Si je ferme ma garderie un matin, c’est six parents qui, eux non plus, ne peuvent pas entrer travailler», illustre Mme Bonami.
Ils ont tout tenté pour recruter des conducteurs
La pénurie de conducteurs d’autobus scolaires est pire que jamais malgré les publicités, les bonus offerts et autres offensives de recrutement tentées par les transporteurs.
«Ça ne s’améliore pas malgré tous les efforts», avoue Éric Ladouceur, coordonnateur du secrétariat général au CSS des Affluents, dans Lanaudière.
Le CSS a beau imposer des pénalités aux transporteurs lors des bris de service, ça ne change rien.
Chez Transco, qui dessert la famille Martin à Repentigny, on explique avoir multiplié les stratégies pour attirer et retenir les conducteurs, en vain.
«On offre des bonus pouvant aller jusqu’à 2000$ pour postuler», illustre Laurie Henner, de Transco.
Une école de conduite a même été mise sur pied pour former rapidement de nouveaux conducteurs. L’entreprise recrute également des travailleurs étrangers, leur domaine étant maintenant considéré comme en pénurie de main-d’œuvre, explique-t-elle.
«Je n’avais jamais entendu ça avant, des pubs à la radio pour recruter des conducteurs. Maintenant, c’est presque chaque heure», s’étonne Donald Landry, du CSS de la Région-de-Sherbrooke.
Pas attractif
«C’est zéro attractif, comme métier», explique Josée Dubé, qui est représentante syndicale pour la CSN et qui est elle-même conductrice.
«Tu te lèves aux aurores et tu finis vers 18 h», pour une paie d’environ 25 heures par semaine, estime Mme Dubé.
«Tu dois conduire en faisant de la discipline [...]. On règle des conflits, on sépare des batailles, on pose des pansements», illustre celle qui a 72 élèves du primaire dans son propre autobus, dont une douzaine qui ont des troubles du comportement.
Pas réglé
Les conducteurs de bus scolaire font partie d'un de ces rares corps de métier où l'on travaille pour le réseau de l’éducation tout en étant payé par le privé. En août dernier, une entente a été conclue entre le gouvernement et la Fédération des transporteurs par autobus.
«Mais ce n’est pas réglé du tout», résume Mme Dubé. Elle explique que chaque CSS doit ensuite négocier chaque circuit avec chaque transporteur et que les sommes bonifiées par Québec ne sont pas encore dans les poches des conducteurs.
«Je sens sincèrement un désintéressement du travail», observe-t-elle.
«Personne ne fait rien»
Comme plusieurs parents, Julie Bonami en a assez de se faire dire qu'on ne peut rien y faire.
«Arrêtez de dire que c’est la faute du transporteur [...]. Faites quelque chose, offrez des cours à distance», a-t-elle suggéré au directeur de l’école de sa fille.
«Si ma fille coule, ce sera de votre faute», assène Mme Bonami.
De son côté, le CSS de la Rivière-du-Nord indique que le décret qui permet aux écoles d’offrir les cours à distance dans un contexte de pandémie n’est plus en vigueur.
La Fédération des transporteurs par autobus n’a pas répondu à notre demande. Au moment de publier, le CSS des Samares, qui dessert Sainte-Julienne, n’avait pu être contacté.