Mauvaise foi dénoncée: l'armée ne l'a pas informée qu'elle avait droit à une indemnisation
Peu est fait pour aider les familles de soldats dans le scandale de l’eau contaminée à Valcartier
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OTTAWA | Une ex-épouse de militaire, qui n’a jamais été informée par la Défense qu’elle avait droit à une indemnisation parce que l’armée a contaminé l’eau qu’elle buvait à la base de Valcartier, dénonce la « mauvaise foi » avec laquelle sont traitées les familles de soldats.
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« Les prévenir, c’est la moindre des choses que la Défense pourrait faire », gronde Marjolaine Rocheleau, qui a emménagé à la base militaire de Valcartier en 1993.
Peu après, son conjoint était déployé en Bosnie et, en 1995, leur fille Cora venait au monde.
Ses premiers biberons contenaient de l’eau du robinet pompée à même la nappe phréatique où la Défense déversait un poison, le trichloréthylène (TCE). La Santé publique a prévenu la population en 2000, mais Mme Rocheleau était partie depuis trois ans.
Maintenant divorcée et fonctionnaire fédérale, c’est en lisant les journaux qu’elle a appris qu’un recours collectif lui donnait droit à une indemnisation. L’armée ne lui en avait rien dit, ni à elle ni même à son ex aujourd’hui vétéran.
Et elle n’est pas seule : les couples militaires sont près de deux fois plus susceptibles de se séparer que les couples civils et les ex-conjointes sont celles qui ont le plus de difficulté à être indemnisées, indique Me Charles Veilleux, l’avocat des victimes du scandale de l’eau contaminée.
Aucune collaboration
Quand Mme Rocheleau a rempli sa demande d’indemnisation, la Défense lui a répondu n’avoir aucune donnée à son sujet, rien ne démontrant qu’elle avait vécu à Valcartier.
« C’est de la mauvaise foi, dénonce-t-elle. Que la Défense prétende ne pas avoir d’information sur les familles, c’est complètement faux, nous sommes le premier point de contact en cas d’urgence ou de décès. Non seulement ils ont nos adresses, ils ont aussi le nom des dépendants, les dates de naissance, etc. »
Puisque la Défense refusait de collaborer, c’est finalement la Société d’assurance automobile du Québec, en se basant sur son permis de conduire, qui a permis à Mme Rocheleau de démontrer qu’elle avait bien habité la base militaire.
« Il y a quelqu’un quelque part à la Défense qui est trop lâche pour aller dépoussiérer les dossiers », dit-elle, sortant de vieilles photos des quelques années où elle a vécu à Valcartier entourée de familles dans la tourmente.
Vie de famille difficile
Les années 1990 étaient rythmées par les missions à haut risque pour les Forces armées. Rwanda, Haïti, Bosnie... Mme Rocheleau se souvient avec émotion de ces moments d’angoisse.
« Quand ton conjoint part, tu te demandes s’il va revenir et dans quel état, relate-t-elle. Ils sont revenus détruits. Ils n’étaient pas prêts à voir ce qu’ils ont vu là-bas. Les familles implosaient les unes après les autres. »
Stress post-traumatique, dépendance, violence conjugale, les familles militaires n’ont pas la vie facile. Or, pour Mme Rocheleau, le dossier de l’eau contaminée montre que la Défense n’a aucune considération pour elles.
« Après, ils se demandent pourquoi il n’y a pas du monde qui veut s’enrôler. Il ne faut pas s’étonner », gronde-t-elle.
Pas facile de discuter avec la Défense
Après une semaine d’échanges de courriels avec Le Journal, la Défense nationale a refusé de dire pourquoi elle n’informe pas directement les militaires, les vétérans et leurs familles qu’ils pourraient recevoir une indemnisation s’ils ont vécu à la base militaire de Valcartier entre le 1er avril 1995 et le 31 mars 2000.
Elle s’en tient strictement au plan de diffusion décidé en cour et celui-ci ne l’oblige pas à communiquer avec les victimes.
Or, pour Me Charles Veilleux qui porte le recours collectif depuis 20 ans, en tant que coupable condamné à de lourds dommages punitifs, la Défense a « un devoir moral » envers les victimes qui étaient en plus ses propres employés.
Il déplore également que jusqu’à aujourd’hui, l’armée rejette l’idée que la contamination de l’eau au trichloréthylène (TCE) a pu affecter la santé de ceux qui l’ont bue.
Pas dangereux ?
Le TCE est un « cancérigène certain », d’après l’Organisation mondiale de la santé. Des études suggèrent également qu’une exposition de la mère pendant la grossesse pourrait entraîner des malformations chez le nouveau-né.
Mais « toutes allégations d’impact sur la santé ont été rejetées, tant par la Cour supérieure du Québec que par la Cour d’appel du Québec », insiste la porte-parole de la Défense nationale Andrée-Anne Poulin, soulignant que les indemnisations offertes aux victimes sont liées à une adresse de résidence et non pas à l’eau consommée.
« Les différentes analyses qui ont été effectuées au fil des ans pour la population de Shannon ne permettent pas de conclure qu’il s’y trouve plus de cancers qu’au sein de la population du Québec », indique l’Institut national de santé publique.
Peu de données
Les familles militaires ont cependant, pour la plupart, quitté la région et la santé publique locale n’a donc pas accès à leurs données de santé.
C’est le cas de la fille de Mme Rocheleau, Cora, qui a passé ses trois premières années de vie à Valcartier et est aujourd’hui atteinte de fibromyalgie.
Mme Rocheleau soupçonne que l’eau qu’elle a bue au biberon pourrait être en cause et que d’autres enfants qui ont vécu sur la base ont aussi des problèmes de santé chroniques.