Une entente pour aider à sauver la planète
Il s’agit d’un moment historique pour renverser le déclin de la biodiversité
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Les pays du monde entier ont conclu lundi à Montréal une entente historique, mais imparfaite, qui marquera un tournant dans les efforts pour sauver la nature si les ambitions records et l’argent promis se concrétisent.
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« Tout le monde y perd un peu, tout le monde y gagne un peu, mais, au final, on a un accord qui est ambitieux. Pour la biodiversité, il y aura un avant et un après Montréal », prédit le biologiste Jean Lemire.
Après quatre années de négociations difficiles, 10 jours et une nuit de marathon diplomatique, 196 États ont réussi à s’entendre sur l’Accord de Kunming-Montréal. Le ministre de l’Environnement Steven Guilbault y a vu un « moment Paris » et « historique » pour la biodiversité.
En bref, ce « pacte de paix avec la nature » vise à protéger les terres, les océans et les espèces de la pollution, de la dégradation et de la crise climatique.
Enfin des chiffres
Pour ce faire, les pays ont défini 23 cibles à atteindre d’ici 2030, dont la plus connue est la création d’aires protégées sur 30 % de la planète, autant sur terre que sur mer.
Il s’agit enfin d’une « base chiffrée et ambitieuse de ce qu’on doit viser », souligne Alexandre Gajevic Sayegh, professeur adjoint de l’Université Laval et spécialiste de la politique environnementale.
Le texte est aussi salué pour ses garanties accordées aux Autochtones, et pour son objectif de restaurer 30 % des terres dégradées et de réduire de moitié le risque lié aux pesticides.
« On ne pouvait pas espérer beaucoup plus de cette COP que ce qu’on a obtenu », estime Thomas Burelli, codirecteur du Centre du droit de l’environnement et de la durabilité mondiale de l’Université d’Ottawa.
Si le professeur comprend « l’euphorie » de nombreux politiciens entourant l’adoption de l’accord, il tempère cependant leurs ardeurs.
« Ce sera historique seulement si on réussit à le mettre en œuvre », prévient-il.
- Écoutez l'entrevue avec Kristina Michaud sur la COP15 à l’émission de Philippe-Vincent Foisy via QUB radio :
Tout au long du sommet, le sujet du financement a d’ailleurs été cause de frictions entre les pays du Nord et du Sud.
Finalement, le texte approuve l’objectif pour les pays riches de fournir « au moins 20 milliards de dollars par an d’ici 2025, et au moins 30 milliards de dollars par an d’ici 2030 », soit environ le double puis le triple de l’aide internationale actuelle pour la biodiversité.
Au nom de tous les enfants
Malgré des tensions diplomatiques, l’événement était coordonné par la Chine et le Canada, respectivement présidente et hôte.
« Il faut souligner cet art diplomatique et ce moment de grande collaboration », a fait remarquer Eddy Pérez, du Réseau Action Climat.
Alors que les délégations s’apprêtent à rentrer chez elles, une fillette indienne de 6 ans a tenu à leur adresser une requête toute particulière : « Je vous demande de protéger nos forêts au nom de tous les enfants du monde entier. Nous aimerions en profiter, comme vous l’avez fait... », a témoigné Anaïa, dont la lettre a été lue durant la dernière plénière de la COP15.
– Avec l’Agence QMI
Un accord adopté après une nuit blanche
De nombreux délégués à la COP15 ont passé une nuit blanche au Palais des congrès afin d’adopter le texte final de l’accord un jour plus tôt que prévu.
« On commence à être habitués », a témoigné un délégué de l’Égypte avec quatre heures de sommeil dans le corps, qui tenait à l’anonymat.
Comme plusieurs de ses confrères, ce dernier est resté debout jusqu’au petit matin lundi pour adopter officiellement l’Accord de Kunming-Montréal au terme de deux semaines de pourparlers.
La plénière devait d’abord avoir lieu à 19 h 30 dimanche soir, avant d’être repoussée à 20 h 30, puis à 21 h 30, le temps que la présidence chinoise tienne d’ultimes négociations.
Ce n’est finalement qu’après 3 h du matin que l’accord a été approuvé par consensus.
- Écoutez l'entrevue de Benoit Dutrizac avec Marie-Josée Béliveau, Chargée de campagne Alimentation et nature à Greenpeace Canada sur QUB radio :
Applaudissements nourris
L’annonce du ministre de l’Environnement chinois Huang Runqiu a déclenché les applaudissements des délégués présents, surtout que plusieurs anticipaient que le texte ne serait pas adopté avant lundi soir au plus tôt.
« C’est le fruit des efforts déployés par nos deux pays ces derniers mois afin de renoncer à nos différends et à coopérer en faveur de ce qui nous unit », s’est réjoui le ministre de l’Environnement Steven Guilbault.
Épuisés, quelques délégués se sont par la suite endormis sur les fauteuils disposés dans les corridors, raconte un employé du Palais des congrès.
Certains pays africains ont eu l’impression d’être ignorés, eux qui tenaient à la création d’un nouveau fonds pour financer les initiatives en biodiversité.
Forcé la main
C’est le cas de la République du Congo, dont le représentant n’aurait pas utilisé les bons termes techniques pour affirmer qu’il ne soutenait pas le texte dans sa mouture actuelle.
Le Cameroun a par la suite qualifié l’adoption de l’accord d’un « passage en force », et l’Ouganda a aussi fait valoir son désaccord.
« J’ai l’impression qu’ils ont forcé la main
de certaines délégations, et je trouve ça inquiétant », a commenté Thomas Burelli, professeur en droit de l’environnement à l’Université d’Ottawa.
« On n’a pas arrêté de parler du problème de confiance entre États du Nord et du Sud durant cette COP, et ça, ça va renforcer la méfiance. »
9 des 23 cibles à atteindre pour protéger la biodiversité
Conserver 30 % des terres et 30 % des eaux, en priorisant les zones riches en biodiversité
C’était l’engagement phare de cette COP15, qui a finalement rallié tous les États.
À ce jour, 17 % des terres et 10 % des eaux sont protégées dans le monde entier, tandis que 13,5 % du territoire terrestre du Canada et 13,9 % de ses eaux sont situés dans des aires protégées.
Bien que plusieurs organisations souhaitaient conserver jusqu’à 50 % du territoire, plusieurs apprécient qu’une cible chiffrée ait été conservée dans la version finale.
Réduire graduellement de 500 G$ US par année les subventions nuisibles à la biodiversité à l’échelle de la planète
Rappelons que les gouvernements fédéral et provincial encouragent l’extraction de minéraux, la production de pétrole, la construction de route et de pipelines, l’élevage des vaches, la surpêche des océans...
« Il faut arrêter de financer tout ce qui fait partie du problème », résume M. Gajevic Sayegh.
Transférer au moins 30 milliards $ par année des pays du Nord aux pays en développement pour les aider à atteindre les cibles
Plusieurs pays du Sud, dont le Brésil, l’Inde et l’Indonésie, espéraient plutôt obtenir 100 milliards $ par année. Même si ces pays renferment des trésors de biodiversité, ils manquent de moyens financiers pour les conserver.
Exiger des grandes entreprises internationales qu’elles évaluent et divulguent leurs impacts sur la biodiversité à travers toute leur chaîne d’approvisionnement
Réduire de moitié les risques posés par les pesticides et l’utilisation excessive d’engrais chimique
Le Canada part de loin, lui qui n’a aucune cible de réduction concernant les pesticides. Plusieurs critiquent aussi qu’une cible sur la réduction des risques, plutôt que sur la réduction des quantités, ait été privilégiée.
Réhabiliter 30 % des terres, des côtes et des écosystèmes marins dégradés
Cela comprend autant les champs épuisés par une agriculture intensive que les puits de pétrole et les mines abandonnées par les industries.
Aavaz, une organisation militante, se réjouit que le texte de l’accord insiste sur la connectivité et l’intégrité des écosystèmes restaurés.
Investir au moins 200 milliards $ dans des initiatives pour la diversité à l’échelle nationale et internationale.
Ces fonds proviendront autant des gouvernements que des organisations philanthropiques et des entreprises privées.
Réduire de moitié l’introduction d’espèces exotiques envahissantes
Véritables fléaux, plusieurs ont déjà causé des dommages inestimables à notre flore et notre faune, comme l’agrile du frêne, la moule zébrée ou le destructeur nerprun.
Couper le gaspillage alimentaire mondial de moitié, et réduire la surconsommation et la production de déchets
Plus de 2 millions de tonnes d’aliments sont gaspillées par les Canadiens chaque année, selon une étude du Conseil national zéro déchet, d’où l’importance de cette cible.
Certains observateurs espéraient néanmoins qu’elle concernerait aussi nos habitudes alimentaires.
« Je pense qu’on aurait dû insister sur l’importance de diminuer la portion de viande dans notre alimentation », croit Alexandre Gajevic Sayegh, professeur adjoint de l’Université Laval et spécialiste de la politique environnementale.