Voici le futur centre de 700 lits pour les réfugiés à Montréal
Québec dépensera 50 M$ sur 10 ans pour y loger entre autres plusieurs migrants du chemin Roxham
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Québec s’apprête à ouvrir le plus grand centre d’hébergement pour les demandeurs du statut de réfugié à Montréal, dont l’emplacement avait été tenu secret jusqu’à présent.
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Arrivés pour la plupart par le fameux chemin Roxham, les demandeurs du statut de réfugié cesseront d’occuper des chambres à l’hôtel Hyatt de la Place Dupuis pour aller s’installer dans le nord de la ville à partir de juillet prochain. Ils continueront d’être logés et nourris aux frais de l’État, mais cette fois dans un immeuble de bureaux converti pour les accueillir, a appris notre Bureau d’enquête.
Situé rue de Port-Royal Est, près de la station de métro Sauvé, dans un secteur commercial, l’immeuble sera en mesure d’héberger jusqu’à 700 demandeurs dans 175 chambres pour de courtes périodes après l’entrée au pays. Leurs séjours ne dépassent en général pas un mois, le temps pour eux d’obtenir des prestations d’aide sociale.
Fait à neuf
Il s’agira du plus important centre d’hébergement pour réfugiés à Montréal, après celui du YMCA de la rue Tupper au centre-ville, où 638 lits leur sont consacrés.
Quatre des cinq étages et une partie du rez-de-chaussée de l’immeuble de la rue de Port-Royal Est seront occupés. L’aménagement n’aura rien de luxueux, mais il sera fait à neuf. La plupart des chambres ne comportent pas de salle de bain individuelle.
Le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, qui chapeaute l’accueil des demandeurs, voulait tenir secret l’emplacement du nouveau site.
«Pour des raisons de confidentialité et de sécurité des demandeurs d’asile, nous ne souhaitons pas dévoiler l’adresse du nouveau site», a indiqué par courriel le porte-parole du CIUSSS, Carl Thériault, en réponse à une question à ce sujet.
Toutefois, des recoupements à partir de documents publics et des entrevues nous ont permis de découvrir l’endroit où il se trouve.
5 millions $ par année
L’immeuble appartient à la firme immobilière montréalaise Rodimax, propriété de la famille Di Zazzo. Rodimax a remporté un appel d’offres public lancé par Québec à la fin de l’année dernière. La valeur du contrat est de 5 millions $ par année pendant 10 ans.
Il s’agit néanmoins d’une économie par rapport aux 200 chambres louées actuellement à l’hôtel Hyatt de la Place Dupuis, dont la facture annuelle atteint 9 millions $.
Tous ces coûts d’hébergement sont remboursés par le gouvernement fédéral, qui assume les frais reliés aux demandeurs du statut de réfugié qui arrivent en nombre jamais vu depuis cinq ans au Québec. En 2022, par le chemin Roxham, on avait enregistré près de 31 000 arrivées illégales à la fin octobre et on se dirigeait vers une année record.
Lors de notre passage, il y a deux semaines, des ouvriers s’affairaient à défaire les murs et les plafonds du deuxième étage de l’immeuble, avant de s’attaquer aux étages supérieurs. À l’origine, les chambres devaient être prêtes ce mois-ci, mais des retards se sont produits dans l’obtention des autorisations nécessaires au projet.
NOUVEAU CENTRE D’HÉBERGEMENT
- 110 000 pieds carrés de superficie
- 700 lits répartis dans 175 chambres
- Quatre lits simples par chambre
- Installations sanitaires communes
- Une salle de bain non genrée par étage
- Coût du loyer : 5 millions $ par année
Source : appel d’offres du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal
Sous contrat avec le service d’aide aux migrants
La firme immobilière qui a remporté l’appel d’offres pour le centre d’hébergement des demandeurs d’asile n’en est pas à sa première expérience avec l’organisme gouvernemental qui gère l’accueil des réfugiés à Montréal.
En entrevue, le vice-président de Rodimax, Alessandro Di Zazzo, a indiqué qu’il était déjà familier avec le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (le PRAIDA), puisqu’il loue des bureaux à l’organisme depuis l’année dernière dans un immeuble appartenant à sa compagnie, qui est adjacent à celui destiné aux réfugiés, rue de Port-Royal Est.
C’est le PRAIDA, par l’intermédiaire du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, dont il dépend, qui a défini les paramètres du nouveau centre d’hébergement dans l’appel d’offres, remporté par Rodimax.
Problème de chambres
Deux autres soumissionnaires ont aussi participé à l’appel d’offres du CIUSSS. Nous avons pu joindre l’un d’entre eux. Il s’agit d’un des responsables de l’Hôtel Espresso, Paolo Di Vito.
M. Di Vito a expliqué qu’il voulait convertir son hôtel du centre-ville de Montréal pour loger des réfugiés. Toutefois, sa soumission a été rejetée, puisque les chambres de l’hôtel ne sont pas suffisamment grandes pour accueillir quatre lits simples à la fois, comme l’indique l’appel d’offres.
De son côté, M. Di Zazzo a rappelé que sa compagnie était intéressée par le projet parce qu’elle disposait déjà de locaux vacants. La pandémie de COVID-19, note-t-il, a beaucoup réduit la demande pour les espaces de bureaux à Montréal.
Zonage large
«Il y a eu un appel d’offres et on a pris la décision de soumissionner, puisque le zonage municipal le permettait [pour l’immeuble de la rue de Port-Royal]. C’est un zonage assez large, il permet des bureaux, des services hôteliers, de l’industriel», note M. Di Zazzo.
«C’est un projet, ajoute-t-il, qui est dans la nouvelle économie, l’économie de la mixité sociale. Ça aide aussi les gens qui arrivent au pays ; il faut les accueillir.»
NOMBRE DE MIGRANTS HÉBERGÉS TEMPORAIREMENT PAR LE PRAIDA* À MONTRÉAL
2016 : 2217
2017 : 15 864
2018 : 18 240
2019 : 19 310
2020 : 4148
2021 : 2699
2022** :14 693
* Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile
** Jusqu’en novembre
Un afflux qui est à prévoir au chemin Roxham
Une importante vague de demandeurs du statut de réfugié pourrait entrer aux États-Unis par la frontière mexicaine dès mercredi, ce qui devrait se répercuter sur le chemin Roxham, à moins d’une décision judiciaire de dernière minute.
En raison de la COVID-19, l’arrivée des réfugiés avait été considérablement freinée par Washington pour contrer les risques de contagion provenant de certains pays. Environ 2,5 millions de demandeurs d’asile ont ainsi été refoulés depuis mars 2020.
Adoptée par l’administration Trump, puis maintenue par celle de Joe Biden, la mesure pour restreindre les entrées, appelée le Titre 42 (Title 42), a été annulée au début du mois de novembre par un juge fédéral estimant que le recul de la pandémie ne la justifiait plus. Le juge a donné à l’administration américaine jusqu’au 21 décembre pour s’y conformer.
«Énorme désastre»
Il y a une semaine, les procureurs de 19 États américains contrôlés par les républicains ont présenté une demande d’appel pour maintenir le Titre 42. Ils disent craindre un «énorme désastre». Leur requête a été rejetée vendredi. Ceux-ci s’adressent aujourd’hui à la Cour suprême américaine pour lui demander de trancher.
Déjà la semaine dernière, les demandeurs d’asile avaient commencé à se masser à la frontière mexicaine, en particulier celle avec le Texas, en vue de la levée du Titre 42.
Il est difficile de prévoir comment cet afflux va se traduire sur les entrées du chemin Roxham, mais il est pratiquement assuré qu’il va y avoir un impact. Une grande partie des demandeurs d’asile qui l’empruntent sont d’abord passés par la frontière mexicaine, comme l’ont montré plusieurs reportages au cours des dernières années.