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Une autre enquête pour plagiat vise l'historien vedette Laurent Turcot

Près de 120 cas allégués contre celui qui avait déjà été épinglé par son université à l’automne 2021

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Laurent Turcot affirme que son éditeur et lui ont fait le choix de ne pas utiliser de guillemets «pour faciliter la lecture» de certains de ses livres.
Photo fournie par éditions Hurtubise (Julie Artacho) Laurent Turcot affirme que son éditeur et lui ont fait le choix de ne pas utiliser de guillemets «pour faciliter la lecture» de certains de ses livres.

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L’historien vedette Laurent Turcot, épinglé pour plagiat l’an dernier, a fait l’objet ces derniers mois d’une nouvelle enquête de l’Université du Québec à Trois-Rivières pour près de 120 autres cas allégués.

• À lire aussi: Un prof et historien vedette épinglé pour plagiat

L’Université du Québec à Trois-Rivières, où M. Turcot est professeur, a mandaté ce printemps un comité afin d’examiner ces cas. Selon nos informations, le comité a rendu son rapport à l’automne, mais il a été impossible de savoir si une sanction a été proposée. 

«Comme il s’agit d’un processus confidentiel et de renseignements personnels, nous ne pouvons fournir de détails», a répondu Jean-François Hinse, Conseiller en communication et relations avec les médias, jeudi dernier.

Fin avril, Le Journal révélait qu’à l’automne 2021, une première enquête avait conclu que 13 passages du livre Sport et loisirs, une histoire des origines à nos jours, publié chez Gallimard en 2016, étaient plagiés.

Le comité ayant effectué cette première enquête y avait vu un «manque de rigueur lors de la création et l’édition du livre», mais concluait qu’il ne s’agissait pas d’une «utilisation délibérée et malveillante» de plagiat. Une lettre de rappel des règles d’éthique avait été expédiée à M. Turcot, mais il n’avait reçu aucune sanction.

Sur Facebook, M. Turcot avait alors offert ses «excuses» pour «ces erreurs» qui s’étaient «glissées» dans cet ouvrage. «Je vais tout mettre en œuvre pour que ça n’arrive plus», promettait-il

Dizaines d’autres cas

Mais depuis, des sources dont nous ignorons l’identité ont passé au crible informatique certaines parties des livres de M. Turcot.

Ainsi, dans Sports et loisirs, en plus des 13 passages visés par la première plainte, 97 autres emprunts problématiques ont été répertoriés. 

Le même type de vérification a été effectué dans un roman de 2019, L’homme de l’ombre Tome 2, L’invasion de 1775, aux éditions Hurtubise. Résultat : 10 passages ont de toute évidence été repris mot pour mot dans d’autres ouvrages, sans guillemets ni référence à leur auteur.

Notamment un bout de phrase d’Honoré de Balzac. Ainsi qu’une phrase de l’encyclopédiste français Denis Diderot (1713-1784) : «... rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre ; d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous.»

«Personne n’est à l’abri»

En août 2021, lorsque s’entamait la première enquête sur son livre, l’historien avait ajouté, sur son site laurentturcot.ca, une mention à propos de son roman : «Les lecteurs avertis trouveront ici les références aux citations dans l’ouvrage que nous n’avons pas pu faire dans les romans.» 

Il n’expliquait toutefois pas ce qui l’avait empêché d’indiquer directement les références dans son roman.

Dans un courriel transmis le 15 décembre au Journal, Laurent Turcot affirme que «personne n’est à l’abri d’une erreur ou d’une omission de bonne foi».

Il assure avoir «le plus grand respect» pour ses sources. «Pour faciliter la lecture de certains de mes livres, [...] mon éditeur et moi avons fait le choix de limiter l’usage des guillemets, qui peuvent rendre la lecture ardue», justifie-t-il.


Laurent Turcot affirme que son éditeur et lui ont fait le choix de ne pas utiliser de guillemets «pour faciliter la lecture» de certains de ses livres.
Infographie Le Journal

Des doutes sur son nouveau livre

Le plus récent livre de Laurent Turcot, qui s’est rapidement hissé en haut des palmarès de vente après sa publication en avril dernier, contient plusieurs passages qui semblent provenir d’autres ouvrages ou sites web.

Une source anonyme a trouvé une dizaine de cas troublants dans L’histoire nous le dira, dont certains que nous reproduisons ci-contre.

Turcot écrit par exemple : «La vaccination de masse débute alors, mais la police doit accompagner chaque vaccinateur puisque les attaques contre les médecins se multiplient. Honoré Beaugrand, franc-maçon et anticlérical, est contraint de solliciter l’appui de l’évêché. Mgr Fabre accepte de faire lire au prône une note encourageant les fidèles à se laisser vacciner en plus d’une circulaire du Bureau de santé expliquant le caractère inoffensif de la piqûre».

À quelques mots près, il s’agit d’un paragraphe tiré d’un article non signé intitulé «Épidémie de variole au Québec», publié dans le site web Grandquebec.com, qui prétend offrir 12 000 textes de vulgarisation portant sur «toutes les facettes du Québec».

Pas de guillemets

Notons qu’à la fin de l’essai L’histoire nous le dira, Laurent Turcot dresse une liste des ouvrages qu’il a consultés pour écrire son livre.

Il ajoute cet avertissement : «On retrouve ici la référence complète de tous les ouvrages cités ou qui ont inspiré la rédaction d’un passage ou l’autre du livre. Il a été décidé de ne pas user des guillemets de manière abusive afin de rendre la lecture plus agréable et accessible.»

Or, sur les 10 passages apparemment plagiés, un seul provient d’un ouvrage présent dans la liste. Les autres semblent être des copiés-collés de passages de pages internet de vulgarisation, bouts de texte retouchés à quelques endroits. Une situation similaire à plusieurs des 110 cas répertoriés dans Sports et loisirs.

Par exemple, un passage sur la première partie de hockey de l’histoire est presque identique à la version française d’un article du site L’encyclopédie canadienne (thecanadianencyclopedia.ca/fr), publié en juillet 2013. 

Aucune mention de ce texte ne se trouve dans la liste des «ouvrages cités ou qui ont inspiré» Laurent Turcot.

Mis au courant de ces cas, Hurtubise, l’éditeur de L’histoire nous le dira, n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue.

Jugez par vous-mêmes

Un observateur aguerri a identifié plusieurs passages du livre L’histoire nous le dira, de Laurent Turcot, qui semblent provenir d’autres ouvrages ou sites web. En voici quelques-uns :

Extrait 1

  • Dans le livre de Turcot :

«Jusqu’en 1950, c’est en majorité en Allemagne et en Europe de l’Est que sont produites les décorations de Noël. Les personnages sont généralement fabriqués en coton et les cheveux d’ange en fibres métalliques. Quant à la boule de Noël, il s’agit, à l’origine, d’une pomme.»

  • Extrait original :

«Jusqu’en 1950, c’est en majorité en Allemagne et en Europe de l’Est que sont produites les décorations de Noël. Les personnages sont généralement fabriqués en coton et les cheveux d’anges en fibres métalliques. Quant à la boule de Noël, il s’agit, à l’origine, d’une pomme.»

Source : L’arbre de Noël, 3 décembre 2007, temoignages.re/culture/culture-et-identite/l-arbre-de-noel,26405

Extrait 2

  • Dans le livre de Turcot :

«La toute première partie de hockey sur glace tel que nous le connaissons aujourd’hui se serait tenue à Montréal en 1875, lorsque J. G. A. Creighton, un étudiant de McGill, établit un ensemble de règles formelles. [...] Pour le hockey, le remplacement de la balle par un disque plat en bois constitue une innovation clé. Le disque plat rebondissant beaucoup moins, cela donne un meilleur contrôle aux joueurs et réduit le risque de blessures chez les spectateurs.»

  • Extrait original :

«Cependant, la toute première partie de hockey sur glace tel que nous le connaissons aujourd’hui se tient à Montréal en 1875, lorsque J. G. A. Creighton, un étudiant de McGill, établit un ensemble de règles formelles. Le remplacement de la balle par un disque plat en bois (la rondelle) constitue une innovation clé : la rondelle rebondit beaucoup moins, ce qui donne plus de maîtrise aux joueurs et réduit le risque de blessures chez les spectateurs.»

Source : thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/hockey-sur-glace

Chasse aux lanceurs d’alerte

L’UQTR a déployé d’importants efforts pour identifier le ou les lanceurs d’alerte ayant déposé anonymement une plainte pour plagiat auprès du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), organisme subventionnaire fédéral. C’est cette plainte anonyme qui avait déclenché la première enquête de l’Université.

Un collègue de Laurent Turcot, Thierry Nootens, a été suspendu à la suite de cet exercice. M. Nootens et le syndicat contestent cette suspension.


Vous pouvez voir tous les cas allégués contre Laurent Turcot ci-dessous ou en cliquant ici.

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