Qui était vraiment Louis Dantin, le mystérieux mentor d’Émile Nelligan?
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Une rumeur continue de courir dans notre milieu littéraire : Émile Nelligan est-il vraiment l’auteur du Vaisseau d’or et des autres poèmes qui ont fait sa renommée?
Dans un ouvrage paru en 2013, Yvette Francoli tentait de démontrer que le véritable auteur des poèmes du jeune prodige était en fait un religieux : Eugène Seers alias Louis Dantin (son pseudonyme).
Cette thèse étonnante est brillamment réfutée par Pierre Hébert dans un ouvrage aussi savant que passionnant sur le vie et l’œuvre de notre premier grand critique littéraire.
Pendant les années de leurs fréquentations (1896-1899), Dantin et Nelligan partagent leur passion pour la poésie. Le jeune Émile allait souvent présenter ses premiers textes au père de la congrégation du Saint-Sacrement.
«L’art pour l’art»
Après l’internement de Nelligan dans un asile psychiatrique, le 9 août 1899, c’est Dantin qui va travailler à l’édition du recueil de poèmes, lequel paraît en février 1904 sous le titre Émile Nelligan et son Œuvre. L’ouvrage est précédé d’une brillante préface de Dantin qui contribuera à la renommée du critique et au mythe Nelligan du poète maudit, mal vu des bien pensants.
Docteur en théologie formé à Rome, Louis Dantin a beaucoup de mal à concilier les exigences austères de la vie religieuse et celles d’une vie d’artiste. Sans parler de sa fascination bien humaine pour les femmes.
Dantin était un adepte de «l’art pour l’art» alors que l’Église de son époque s’attendait à ce que les artistes se soumettent à ses codes moraux.
«Quand il s’agit de définir et de délimiter le beau, que les moralistes nous laissent tranquilles», écrivait-il à un correspondant. Voilà qui est d’actualité!
Une vie d’exil
Quelques mois avant la publication du recueil de Nelligan, Dantin quitte la vie religieuse et s’exile aux États-Unis. De 1903 jusqu’à sa mort, en 1945, il vit à Boston et gagne sa vie comme typographe. Cet exil tient à une rupture douloureuse avec son père et à l’autorité cléricale qui prévaut à l’époque.
Malgré cet exil prolongé, Pierre Hébert montre que Louis Dantin est devenu un important critique littéraire, jugeant toujours les œuvres selon des critères esthétiques. Ce qui ne l’a pas empêché, à l’occasion, de prendre position en faveur de la cause des Afro-Américains ou des pauvres durant la crise des années 1930.
En 1938, Claude-Henri Grignon, l’auteur d’Un homme et son péché et redoutable polémiste, est le premier à lancer la rumeur malveillante sur les poèmes de Nelligan.
«Il paraît que ses plus beaux vers ne sont pas de lui mais d’un certain typographe, bohème, ivrogne à ses heures, poète aux heures des autres».
Tous reconnaissent Dantin... même s’il n’a jamais eu de problème d’alcool.
Or Hébert montre, après une étude fouillée de sa correspondance personnelle, qu’un tel soupçon était sans fondement.
Les amoureux de poésie peuvent dormir en paix. Émile Nelligan avait du génie!