[EN IMAGES] 100e anniversaire de naissance: retour sur le destin flamboyant d’Alys Robi
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Saviez-vous qu’on soulignera très bientôt le 100e anniversaire de naissance d’Alys Robi? Née le 3 février 1923 dans le quartier ouvrier de Saint-Sauveur, à Québec, la chanteuse a connu un destin flamboyant, jalonné de réussites aussi bien que de drames. Cet anniversaire est une belle occasion de se rappeler les moments marquants de celle qu’on appelait aussi Lady Alys.
Des débuts précoces
La petite Alice Robitaille a vite la piqûre pour les arts de la scène. Si sa mère chante dans le chœur paroissial, c’est aux côtés de son père qu’elle fait ses débuts d’artiste vers l’âge de 4 ans. Ce dernier l’ayant amenée voir un spectacle au théâtre Princesse, elle se faufile sur scène et y improvise un charleston, ce qui lui vaut les applaudissements du public et... son premier «contrat» d’artiste!
Elle chante également pendant les intermèdes des matchs de lutte auxquels participe son père, et participe à plusieurs concours amateurs, dont les Jeunes Talents Catelli qui se déroule en direct à la radio.
Avant même d’avoir atteint l’âge de 10 ans, elle est régulièrement invitée à CHRC et monte sur les planches des diverses salles de spectacle de Québec, dont l’Imperial et le Théâtre Capitol. Ses cachets, gérés par son père, servent à faire vivre sa famille et à payer ses cours de claquette, de solfège, de diction et de chant.
Cap sur la métropole
Sachant que la métropole offre plus de possibilités professionnelles et s’étant fait promettre une place dans la revue de variétés de Rose Ouellet (La Poune), la jeune fille n’a que 12 ans quand elle fait sa valise pour déménager à Montréal.
Celle qui se fait désormais appeler Alys Robi côtoie les grands noms de la scène culturelle québécoise, dont Jean Grimaldi, Olivier Guimond fils (qui devient son amoureux), Juliette Petrie, Gratien Gélinas et bien d’autres.
De 1935 à 1942, elle enchaîne les tournées à travers le Québec en leur compagnie. De profonds liens d’amitié la lieront toute sa vie à cette «famille» artistique.
Et soudain, le succès
En 1939, alors que la Seconde Guerre mondiale éclate, Alys Robi signe un contrat pour participer régulièrement à l’émission de radio La Veillée du samedi soir. Ses succès radiophoniques lui valent des engagements dans les boîtes de nuit les plus populaires de la métropole. C’est dans ce contexte qu’elle rencontre le chef d’orchestre Lucio Agostini, qui crée ses arrangements musicaux et devient son compagnon.
Alys Robi n’a pas encore 20 ans lorsque sa pièce Tico-Tico (enregistrée en 1942) la propulse au rang de vedette de la chanson populaire. La jeune vedette enchaîne les émissions de radio (dont Revoir Paris), les séances d’enregistrement de disques et les spectacles. La critique salue sa voix, son dynamisme et son charisme.
Une artiste internationale
Dans le Québec des années 1940, il est rare que les artistes féminines travaillent à l’international: les plus connues du public d’ici ont une renommée essentiellement locale. Si on a bien eu quelques artistes lyriques qui se sont illustrées ailleurs (pensons notamment à la cantatrice Emma Albani), aucune chanteuse populaire n’a encore vraiment conquis les publics américains et européens. Alys Robi doit donc «inventer» sa propre carrière internationale, sans avoir de modèle. Maîtrisant aussi l’anglais et l’espagnol, l’artiste traduit elle-même ses chansons.
Grâce aux nombreux contacts de Lucio Agostini, elle voyage beaucoup et se produit dans les cabarets en France, en Angleterre, au Mexique, au Brésil et aux États-Unis. En 1944, elle remporte deux trophées LaFlèche, décernés à la chanteuse la plus populaire de la chaîne anglaise CBC et à la chanteuse la plus populaire de la chaîne française Radio-Canada.
De la radio à la télé
Alys Robi est une artiste parfaitement en phase avec son époque. Si la radio est le média qui la propulse, tant au Canada français qu’anglais, elle n’hésite pas à emprunter le virage télévisuel qui s’opère à partir des années 1930 et 1940, tout particulièrement en Europe. Rappelons que la première station télévisée au Québec, la Société Radio-Canada, n’entrera en ondes que le 6 septembre 1952.
Retour aux sources
Malgré son immense succès, tant sur les scènes internationales qu’à la radio, Alys Robi n’oublie jamais ses origines. La chanteuse se fait un plaisir de revenir régulièrement à Québec.
En février 1947, alors qu’elle se produit au Théâtre Capitol, elle est reçue en grande pompe à l’hôtel de ville. Sont présents plusieurs dignitaires et personnalités publiques, ainsi que des gens proches de l’artiste. Sur la photo ci-haut, on aperçoit (de gauche à droite): Henri-Paul Drouin, député de Québec-Est; J. Matte, échevin; F.-E. DeRouin, impresario d’Alys; A. Drolet, échevin; le maire Lucien Borne; Alys Robi; Napoléon Robitaille, père d’Alys; l’honorable Pierre Bertrand; Odilon LeChasseur, bijoutier et organisateur du congrès des bijoutiers du Canada; R. Beaulieu, chef du service des incendies de Québec; Paul Vallière, gérant du Capitol; Théo Genest, directeur du Palais Montcalm.
Difficile de plaire à tout le monde
Même au faîte de la gloire, Alys Robi ne fait pourtant pas l’unanimité. Certains lui reprochent de favoriser le répertoire anglophone et surtout hispanophone au détriment des pièces en français. Il est vrai qu’elle délaisse un peu la chansonnette française pour interpréter des pièces dynamiques tirées du répertoire latino-américain, comme Amor amor, Besame mucho, Chica chica boom chic, Brésil et bien d’autres.
Des critiques de la fin des années 1940 affirment même qu’elle est un peu trop Américaine pour être encore véritablement Canadienne... Apparemment, certaines choses ne changent pas!
Descente aux enfers
En 1948, la carrière d’Alys Robi s’interrompt brutalement. Alors qu’elle est aux États-Unis et qu’elle vient de signer avec Metro Goldwyn-Mayer pour jouer dans une comédie musicale, un accident de voiture lui inflige une commotion cérébrale, qui se double bientôt d’une grave dépression. Après avoir été hospitalisée un certain temps à Los Angeles, elle revient au Québec.
Elle est admise à l’hôpital Saint-Michel-Archange, un asile psychiatrique de la région de Québec, où elle reçoit notamment des électrochocs et une lobotomie... des «traitements» qui étonnent aujourd’hui, mais qui font alors partie de l’arsenal psychiatrique de l’époque.
Après presque cinq ans loin des scènes, Alys Robi s’ennuie du public. Elle tente un retour devant public en 1952, mais elle souffre de confusion et de problèmes de mémoire, oubliant les paroles de ses chansons (même ses plus grands succès) ou ne chantant pas la même pièce que l’orchestre. La chanteuse doit subir les regards étonnés ou, pire encore, les moqueries de certains critiques.
De plus, ses chansons sont passées de mode. Si elle persévère, apprenant un nouveau répertoire et remontant sur les planches, elle ne retrouvera pourtant pas sa gloire d’antan. L’ancienne étoile en est réduite à se produire dans des événements commandités...
Tel le roseau de la fable, elle plie, mais ne se rompt pas
Avec ténacité et détermination, Alys Robi poursuit la voie qu’elle s’est tracée. Elle participe à divers récitals, se produit lors d’événements mondains et s’arrange pour qu’on ne l’oublie pas. En 1985, elle se voit décerner la médaille de l’Ordre de Malte. Celle à qui on s’adressera désormais en employant le nom de «lady Alys» retourne en studio et, en 1989, lance l’album Laissez-moi encore chanter.
Son parcours riche en rebondissements inspire aussi les créateurs et suscite les éloges. En 1979, Diane Dufresne chante Alys en cinémascope, tandis qu’une pièce de théâtre, Souriez, mademoiselle Roby, est créée à la fin des années 1980.
Alys Robi elle-même racontera sa vie tumultueuse à deux reprises, d’abord dans son autobiographie Un long cri dans la nuit. 5 années à l'asile parue en 1990, puis dans une seconde biographie, Fleur d’Alys, rédigée par Jean Beaunoyer et parue en 1994.
Les nouvelles générations la redécouvrent, ravivant un peu l’ancienne gloire d’antan. Sa vie inspire aussi une télésérie présentée à TVA en 1995, le film Ma vie en cinémascope en 2004, puis une revue musicale en 2005.
Pour sa contribution au rayonnement de la langue française, Alys Robi est nommée Chevalier de La Pléiade lors d’une cérémonie au Château Frontenac le 21 avril 2005.
Un riche legs culturel et artistique
Alys Robi nous a quittés le 28 mai 2011, à l’âge de 88 ans, laissant dans le deuil la colonie artistique et de nombreux admirateurs de tous âges. Quel héritage a-t-elle laissé? Une plaque commémorative a été installée sur sa maison d’enfance à Québec et deux parcs, l’un à Montréal, l’autre à Québec, ont été nommés en son honneur.
Divers objets lui ayant appartenu ont été offerts au Musée de la civilisation. Une nouvelle biographie, signée Chantal Ringuet, est parue aux Éditions Québec Amérique à l’automne 2021.
Avec son sens du marketing, Alys Robi aurait certainement tiré parti des populaires plateformes comme Instagram et TikTok! Elle sera à l’honneur l’été prochain, dans le cadre des 6e Rendez-vous d’histoire de Québec, alors que son 100e anniversaire de naissance sera célébré avec l’éclat qu’il mérite.
Un texte préparé par Catherine Ferland, historienne, pour les Rendez-vous d’histoire de Québec.
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