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Une foule de chantiers lancés durant un règne mouvementé

La PDG sortante d’Hydro Sophie Brochu laissera en friche plusieurs projets stratégiques pour la société d’État

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La première femme à avoir occupé les fonctions de présidente-directrice générale d’Hydro-Québec (HQ) démissionne, moins d’un an après avoir déposé son plan stratégique.

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Sophie Brochu cédera la barre d’Hydro-Québec le 11 avril, deux ans avant la fin de son mandat de cinq ans. Elle n’obtiendra pas d’indemnité de départ, a-t-elle confirmé à TVA Nouvelles.
Photo d'archives, Pierre-Paul Poulin
Sophie Brochu cédera la barre d’Hydro-Québec le 11 avril, deux ans avant la fin de son mandat de cinq ans. Elle n’obtiendra pas d’indemnité de départ, a-t-elle confirmé à TVA Nouvelles.

Le premier ministre François Legault n’aurait pas tenté de la retenir, car la décision était « irrévocable », selon ce qu’a dit Sophie Brochu en entrevue à TVA. 

Elle aura effectué l’un des plus courts mandats de PDG d’HQ depuis les années 1970 et elle part alors que d’importants chantiers doivent être réalisés. 

« Ceux qui me connaissent savent que je suis une architecte », a-t-elle dit, ajoutant qu’il était sain d’aller chercher quelqu’un dont « le talent est celui de l’exécution d’un plan ». 

En 12 ans à la tête d’Énergir auparavant, Mme Brochu avait pourtant été en mesure de concevoir et d’exécuter ses plans stratégiques.

Son départ le 11 avril précédera de peu celui de la présidente du CA, Jacynthe Côté, qui a annoncé, début décembre, qu’elle ne renouvellerait pas son mandat se terminant en mai 2023.

À l’automne, les médias ont dévoilé que le courant passait mal entre Mme Brochu et le puissant ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon. Le jour où il avait été assermenté en octobre, elle avait confirmé à ses employés son intention de rester en poste, tout en reconnaissant s’être posé des questions sur la gouvernance. La formation d’un comité de l’énergie présidé par François Legault avait, semble-t-il, favorisé sa décision de continuer. 

Gestion de crise critiquée

Au cours de la période des Fêtes, la gestion de crise et les communications difficiles ont été montrées du doigt par les maires de certaines municipalités touchées par des pannes électriques qui ont duré plusieurs jours à partir du 23 décembre. 

La modernisation et l’augmentation de la robustesse du réseau électrique étaient justement un des grands chantiers du plan stratégique 2022-2026, avec des investissements prévus de 5 milliards $. Beaucoup d’infrastructures sont en fin de vie utile, note-t-on dans ce document.

Sophie Brochu avait été nommée PDG d’Hydro en avril 2020, aux premières semaines de la pandémie et quelques mois après son départ d’Énergir.

« Je me suis sentie interpellée, j’ai humblement pensé que je pouvais servir le Québec, qui traversait alors une période de turbulence », a-t-elle indiqué dans un communiqué, mardi. 

Le tumulte lié à la pandémie étant derrière, elle soutient qu’Hydro-Québec se trouve maintenant en bonne posture, avec un plan stratégique qui trace la voie de la transition énergétique et une situation financière « excellente ». 

Elle mentionne que le moment est venu pour elle de « passer le flambeau ». 

Capture d'écran LinkedIn

Le temps de passer le flambeau ?

La déclaration surprend, car les nouveaux dirigeants qui remplaceront Mme Brochu et Mme Côté pourraient avoir une vision et un plan différents. Sophie Brochu défendait une approche favorable à l’environnement, qui semblait heurter les volontés de développement économique du ministre Fitzgibbon. 

« Mme Brochu, je pense, voulait gérer Hydro-Québec de manière plus traditionnelle, avec un conseil d’administration et une certaine distance au quotidien. Ce n’est pas comme ça que le gouvernement actuel veut faire avancer Hydro-Québec et l’utiliser de manière plus serrée pour faire du développement économique », a observé le directeur de l’Institut de l’énergie de Polytechnique, Normand Mousseau.

  • Écoutez la brève d’actualité avec Alexandre Moranville sur QUB radio : 

Produire plus vite

Le plan stratégique Brochu prévoit que, dès 2026, le Québec devra produire plus d’énergie pour répondre à la demande liée aux transports électriques. 

Le temps presse pour ce chantier, comme pour celui de l’efficacité énergétique. Hydro doit aussi adapter son réseau aux besoins des véhicules électriques, contributeurs de la décarbonation de l’économie visée par le plan Brochu. 

– Avec David Descôteaux, Francis Halin et Martin Jolicoeur

Neuf dossiers marquants du mandat de Sophie Brochu 

1. UN CHOC DE VISION AVEC FITZGIBBON

Le choc de vision entre Sophie Brochu et Pierre Fitzgibbon a été presque immédiat. Peu de temps après l’annonce de l’ajout du ministère de l’Énergie aux responsabilités du « superministre » Fitzgibbon, Mme Brochu déclarait que la société d’État ne devait pas devenir « un magasin à une piasse de l’électricité ». Elle faisait allusion aux tarifs très bas consentis aux entreprises qui s’installent ici. Or, le ministre Fitzgibbon ne s’en est jamais caché : il souhaite utiliser l’énergie à bas prix pour continuer à attirer des investissements au Québec. Malgré la création d’un comité par François Legault pour que les deux travaillent main dans la main, ces deux visions se seront avérées, semble-t-il, irréconciliables.  


2. UN ESPION CHINOIS ARRÊTÉ PAR LA GRC

En novembre dernier, un employé d’Hydro-Québec, Yuesheng Wang, est arrêté pour espionnage par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). L’homme de 35 ans était chercheur au Centre d’excellence en électrification des transports et en stockage d’énergie. Dans le cadre de ses fonctions, ce dernier aurait obtenu des secrets industriels avec l’intention d’en faire profiter la République populaire de Chine. Quatre chefs d’accusation sont portés contre M. Wang : obtention de secrets industriels, utilisation non autorisée d’ordinateur, fraude pour avoir obtenu des secrets industriels et abus de confiance par un fonctionnaire public. Jamais auparavant de telles accusations n’avaient été portées au Canada. 


3. SON SIÈGE AU CA DE BMO

En plus de son salaire annuel de 615 320 $ comme PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu reçoit, comme administratrice de la Banque de Montréal (BMO), 225 000 $ par année, en plus des 150 000 $ sous forme de droit différé à la valeur d’actions (DDVA) et 75 000 $ en espèces, selon le site web de l’institution financière. Hydro-Québec a toujours défendu le 2e emploi de sa PDG en faisant valoir que « sa participation au CA de la BMO lui permet un lien avec le secteur financier ». À titre de de comparaison, elle gagnait environ le double, soit 1,9 million $, au privé lorsqu’elle dirigeait Énergir.  


4. UNE COÛTEUSE ENTENTE AVEC ÉNERGIR

L’entente avec Énergir, qui prévoit verser 400 millions $ à la gazière autrefois dirigée par Sophie Brochu pour des pertes de revenus, a été critiquée. Or, même si certains groupes soutiennent que la facture de clients pourrait bondir de 17 % et que le coût de l’entente pourrait flirter avec les 2,4 milliards $ d’ici 2050, Hydro-Québec a toujours défendu ce partenariat stratégique, qui coûtera des centaines de millions $ à la société d’État. « La solution biénergie permettra de diminuer de manière significative les émissions de GES liées au chauffage des bâtiments, tout en limitant l’impact tarifaire pour nos clients », avait assuré son v.-p. exécutif, Éric Filion.  


5. LES OBJECTIFS MANQUÉS D’HILO

Début novembre 2022, Hydro-Québec montrait la porte au PDG de sa filiale Hilo, Sébastien Fournier. Hilo, créée trois ans auparavant, a pour but de mieux gérer les pointes de consommation, en préchauffant les résidences de ses abonnés et diminuant la température à distance à l’aide de thermostats intelligents, ce qui lui procure de la puissance à revendre. Mais la filiale n’a réalisé que la moitié de son objectif l’hiver dernier. Hilo pourrait être un dossier chaud pour le successeur de Sophie Brochu, car lorsqu’Hydro achète de la puissance à sa filiale, c’est au double du prix des autres sources d’approvisionnement disponibles. 


6. L’AVENTURE AMÉRICAINE

Un haut fait d’armes de Sophie Brochu pendant son règne fut l’achat des 13 centrales hydroélectriques de l’américaine Great River Hydro, en Nouvelle-Angleterre, au coût de 2 milliards $ US (environ 2,7 milliards $ CA). Hydro a toutefois payé cher, soit le double de la somme payée par le vendeur précédent il y a à peine 5 ans. Aussi, en avril dernier, le plus gros contrat de l’histoire d’Hydro-Québec obtenait le feu vert des autorités américaines. Selon l’entente, Hydro fournira à la Ville de New York 10,4 Térawattheures d’électricité chaque année pendant 25 ans. Si certains applaudissent, d’autres contestent la pertinence d’un tel contrat alors que les besoins en électricité sont criants au Québec.  


7. DES CONSEILLERS AUX SALAIRES SECRETS

Le 1er décembre dernier, Pierre Fortin, un ancien vice-président d’Hydro, s’est joint à la garde rapprochée de Sophie Brochu en tant que conseiller stratégique. Mais impossible de connaître son salaire. La société d’État estime qu’il s’agit « d’une information confidentielle ». Il s’agissait du deuxième conseiller stratégique au salaire secret pour Sophie Brochu. En effet, en mars, Le Journal rapportait que la PDG d’Hydro-Québec s’offrait un conseiller stratégique dont le salaire était aussi secret. Il s’agissait de Réal Laporte, un ancien membre de la haute direction sous le règne de l’ex-PDG Éric Martel. 


8. DES PANNEAUX SOLAIRES FABRIQUÉS DANS DES CAMPS D’INTERNEMENT

Deux semaines après leur inauguration, en juin 2021, Le Journal révèle que les deux premiers parcs solaires d’Hydro-Québec, à La Prairie et Varennes, sont équipés de panneaux fabriqués par Jinko Solar, une société chinoise soupçonnée de tirer profit du travail forcé de membres de la minorité ethnique ouïghoure envoyé par le régime de Pékin dans des camps d’internement. Les deux parcs regroupent plus de 30 000 panneaux photovoltaïques. Du nombre, plus de 85 % ont été achetés auprès du manufacturier chinois, du Xinjiang, après recommandation de Borea, une filiale de Pomerleau. Quatre mois plus tard, Hydro relevait ses exigences éthiques et, dans une lettre à ses fournisseurs, leur enjoignait de bannir le « travail forcé » de leurs chaînes d’approvisionnement et de se conformer « aux normes québécoises et internationales en matière de droits de la personne et de droits du travail ».  


9. LES CONTRATS À L’EFFET A

En octobre dernier, Le Journal a révélé qu’une formation de la PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, offerte à L’effet A a généré des ventes de près de 50 000 $ à la firme Médias O’Dandy de son conjoint, John Gallagher. Le Journal a rapporté ensuite qu’Hydro a payé plus de 250 000 $ pour des formations de cette organisation depuis la nomination de Sophie Brochu à la tête d’Hydro. Après les révélations du Journal, la société d’État a changé les règles d’attribution de contrats octroyés à la firme, au lendemain d’une rencontre avec le Secrétariat aux emplois supérieurs. 

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