L'aide sociale lui réclame une partie de l'argent gagné dans un procès contre son agresseur
Un homme dont la vie a été ruinée par des agressions sexuelles dans les années 1990 doit se battre contre l’aide sociale qui veut lui prendre la moitié du maigre montant obtenu à la suite d’une poursuite au civil.
«C’est comme si le gouvernement endossait le crime [en allant piger dans cet argent]», déplore Donald Gélinas, 47 ans, qui conteste une décision de l’aide sociale devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ).
Le résident de Shawinigan avait 16 ans quand sa vie a été bousillée.
Son professeur de karaté, Mario Lajoie, l’a agressé sexuellement à plusieurs reprises en 1991. Lajoie a plaidé coupable à ces crimes en 1993 et reçu une sentence de six mois de prison.
Mario Lajoie a aussi été condamné en 2019 par un tribunal civil à payer 225 000 $ à Donald Gélinas.
À ce jour, M. Gélinas n’a reçu qu’un peu plus de 24 000 $ du montant dû. Après avoir payé ses avocats de l’époque, il ne lui reste que 16 624 $.
Sur ce montant, l’aide sociale lui en réclame maintenant 7015 $.
«Ça vient décourager les prestataires de poursuivre au civil, alors que [poursuivre quelqu’un], ça demande beaucoup de courage», explique Me Jimmy Lambert, l’avocat actuel de M. Gélinas.
Pas apte à travailler
M. Gélinas rêvait de devenir médecin. En raison de problèmes de santé mentale liés aux agressions, il a abandonné ses études en actuariat. Depuis plus de 20 ans, il dépend de l’aide sociale.
Entre 1993 et 2001, il a été hospitalisé onze fois, peut-on lire dans le jugement de 2019.
On y mentionne un diagnostic de schizophrénie, des «émotions cauchemardesques», une tentative de suicide.
«La preuve experte établit un lien de causalité suffisant entre la maladie du demandeur et les agressions», affirme le juge dans sa décision.
Calcul discutable
Sur le total de 225 000 $, le juge lui accordait 100 000 $ en dommages moraux pour compenser ses souffrances, les impacts sur sa santé mentale et sa vie.
Le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) peut exiger que des montants d’aide sociale lui soient remboursés, mais pas les sommes reçues pour des dommages psychologiques ou corporels.
Le MESS considère que le montant reçu par M. Gélinas est un mélange de dommages moraux, d’indemnité pour perte de revenu et de dommages punitifs.
Or, M. Gélinas est très loin d’avoir reçu les 100 000 $ dus en dommages moraux. Le MESS aurait pu considérer les 16 624 $ comme tels pour les préjudices psychologiques subis et ainsi, ne rien lui réclamer du tout, explique Me Lambert.
Il n’a pas été possible de joindre Mario Lajoie pour savoir pourquoi il n’a versé que 225 000 $ qu’il était condamné à payer à sa victime. Mais selon nos informations, la somme versée de 24 000 $ correspond au produit de la vente du seul actif qu’il possédait et qui a pu être saisi par les huissiers à l’époque.
La date d’audience de Donald Gélinas devant le TAQ devrait être fixée dans les prochains mois.
«L’objectif, c’est de faire jurisprudence pour que ça ne se répète pas pour quelqu’un d’autre», conclut M. Gélinas.
De son côté, le MESS indique ne pas pouvoir commenter les situations particulières, d’autant plus que le dossier est devant les tribunaux.