Découragés des délais, des Québécois magasinent du sperme sur les réseaux sociaux
Ils choisissent cette méthode «artisanale» car il y a près d’un an d’attente dans les cliniques de fertilité
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Des Québécois prennent le risque de se tourner vers les réseaux sociaux et des sites internet pour trouver un donneur de sperme, découragés des longs délais et de la complexité des services de fertilité encadrés par les gouvernements.
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Émilie Durand, une résidente de Charlevoix, a entamé des démarches auprès du réseau de la santé pour devenir maman solo, en mars 2022.
La femme de 41 ans est sur une liste d’attente pour des services de fertilité d’une clinique de la région de Québec. Sans nouvelles depuis presque un an, elle se sent découragée. «Anéantie, complètement anéantie. C’est pour ça que je cherche autre chose. Ça n’a aucun sens», explique-t-elle à l’équipe de J.E.
Mme Durand a ainsi décidé de se tourner vers les réseaux sociaux pour trouver un donneur de sperme. Il s’agit du dernier espoir pour concrétiser son rêve de fonder une famille.
- Écoutez l'entrevue avec Céline Braun à l’émission de Guillaume Lavoie diffusée chaque jour en direct 13 h 35 via QUB radio :
De nombreux risques
Le reportage qui présente son cas, qui sera diffusé ce soir à 21 h 30 à TVA, lève le voile sur cet univers parallèle du don de sperme via internet et les risques qui peuvent y être associés.
Les risques pour la santé sont nombreux lorsqu’une femme a recours à un don de sperme d’un inconnu, sans passer par le réseau de la santé, dit le Dr William Buckett, du Centre de reproduction du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
«On ne connaît pas [l’état] de santé physique, mentale, tous les risques d’infections, de maladies, etc.», décrit-il.
Trouver des hommes prêts à donner leur sperme se fait en quelques minutes sur Facebook ou des forums spécialisés. L’équipe de J.E a facilement réussi à obtenir un échantillon dans un simple contenant en plastique après être entrée en contact avec des donneurs. Certains n’avaient pas subi de test de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS).
Ces méthodes artisanales sont une voie facile pour s’éviter les tracas du réseau de la santé et des cliniques privées, qui offrent des services beaucoup plus encadrés.
- Écoutez la chronique Crime et Société avec Félix Séguin, journaliste au Bureau d’enquête de Québecor au micro de Richard Martineau sur QUB radio :
Retour de la gratuité
L’Association Infertilité Québec note une hausse des demandes des services de fertilité de 20 % depuis mars 2020, dans le réseau public et privé.
Les temps d’attente « sont notamment attribuables à une augmentation des demandes [...] depuis le début de l’offre de services assurés de FIV [fécondation in vitro] en novembre 2021 », écrit par courriel Noémie Vanheuverzwijn des relations médias du ministère de la Santé.
À partir de cette date, le ministère a recommencé à offrir gratuitement certains services qui étaient payants depuis quelques années.
La porte-parole ajoute que la pandémie et les enjeux de main-d’œuvre ont également affecté les temps d’attente.
Céline Braun, la présidente de l’Association Infertilité Québec, remarque aussi que les Québécoises et Québécois ont de plus en plus de troubles liés à la fertilité, car ils sont plus âgés lorsqu’ils veulent des enfants.
«C’est souvent dû au fait que les gens font un métier, des études, entrent sur le marché du travail plus tard. [...] On a voulu se créer un social, acheter une maison», explique-t-elle, ce qui retarde le projet de fonder une famille.
Des offres attrayantes... ou pas
En quelques clics, on peut trouver des volontaires qui offrent gratuitement leur sperme sur Facebook. Voici quelques exemples :
UN MANQUE DE MATIÈRE PREMIÈRE
Pas facile pour les cliniques de procréation assistée, qu’elles soient publiques ou privées, de trouver du sperme.
Le ministère de la Santé du Québec confirme qu’il n’y a pas de distributeur d’échantillons de sperme situé dans la province. Une porte-parole explique, par courriel, que «la seule banque de sperme est privée [clinique ovo] et est réservée pour les besoins de leurs patientes».
Les centres de reproduction doivent donc se tourner vers l’étranger, notamment aux États-Unis, explique Céline Braun de l’Association Infertilité Québec.
«Malheureusement, ces banques-là actuellement sont vides ou presque vides», déplore-t-elle.
Mme Braun pense que le Canada et le Québec devraient songer à la possibilité de rémunérer les donneurs, comme aux États-Unis.
Ainsi, il pourrait y avoir des banques de sperme au Québec.
Trois façons d’avoir accès à des services de fertilité
AU PUBLIC :
Coûts ▸ La Régie de l’assurance maladie couvre un cycle de fécondation in vitro (FIV) et un maximum de six inséminations artificielles.
Établissements ▸ Il existe 15 centres de procréation assistée publics au Québec. Le CHU Sainte-Justine et le Centre universitaire de santé McGill sont les deux seuls à offrir des services de fécondation in vitro.
Encadrement et précautions ▸ Les centres de procréation assistée doivent notamment évaluer l’admissibilité du donneur ainsi que la qualité du sperme. Ils s’assurent également de la conservation et de la mise en quarantaine du sperme.
AU PRIVÉ :
Coûts ▸ Le coût d’un cycle de FIV de base peut varier de 4000 $ à 8600 $. Pour un traitement d’insémination artificielle en cabinet privé, il faut compter environ 475 $.
Établissements ▸ Il existe sept cliniques de procréation assistée privées au Québec, qui offrent également des services couverts par la RAMQ.
Encadrement et précautions ▸ Tout comme les centres publics, les cliniques privées doivent évaluer l’admissibilité du donneur ainsi que la qualité du sperme. Elles offrent également la conservation et la mise en quarantaine du sperme de façon sécuritaire.
DON ARTISANAL :
(Sans intermédiaire comme un médecin ou un établissement de santé)
Coûts ▸ Gratuit. Il est illégal pour un donneur de recevoir un paiement, en vertu de la Loi sur la procréation assistée.
Établissements ▸ Plusieurs donateurs volontaires placent des annonces sur des pages Facebook et forums de discussion.
Encadrement et précautions ▸ Il n’y a aucun encadrement et des précautions peuvent être prises à la discrétion des deux parties. Par exemple, un test de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) peut être demandé au donneur.
Il est aussi possible pour un donneur et une femme mis en contact via internet de passer ensuite par un centre de reproduction, ce qui assure un meilleur encadrement.