«Le maître de Conche» de Françoise Enguehard: nouvel éden à Terre-Neuve
Coup d'oeil sur cet article
Établie à Saint-Jean, Terre-Neuve, depuis près de 50 ans, l’écrivaine Françoise Enguehard raconte l’incroyable épopée de Conche, un établissement de pêche du Petit Nord, sur une côte de l’ouest de Terre-Neuve, dans son nouveau roman. Minutieusement documenté, Le maître de Conche décrit un épisode peu connu de l’histoire et montre les joies, les peines et la résilience des Français et des Anglais qui se sont établis dans cette région éloignée.
En 1816, les guerres napoléoniennes sont terminées et les Français retour-nent pêcher la morue à Terre-Neuve. La même année, un navire, l’Urdu, quitte le port de Bordeaux avec, à bord, un équipage de hors-la-loi.
Ainsi débute la grande entreprise de James Dower, un colonel anglais déterminé à fonder un nouvel éden dans une région isolée de l’île. Malgré un climat rude, la Navy qui rôde toujours dans les parages et les divisions qui persistent entre les catholiques et les protestants, l’établissement de Conche va prospérer.
Petite communauté
Françoise Enguehard, née à Saint-Pierre-et-Miquelon, s’est passionnée pour l’histoire de cette petite communauté. Elle s’y était rendue tout au début des années 2000.
«Les femmes ont fait absolument des miracles, convaincues que leur histoire française, que l’histoire de la pêche à la morue, aurait une valeur économique», dit‐elle, en entrevue téléphonique.
«Malgré le moratoire [sur la pêche] à la morue, malgré l’effondrement de la pêche dans leur coin, elles étaient convaincues qu’elles pouvaient, si elles se mobilisaient correctement, donner vie à leur communauté. J’ai été émerveillée par ces femmes, par leur courage, par leur détermination, par ce qu’elles ont réussi à accomplir, qui est vraiment incroyable.»
Une belle histoire
L’écrivaine s’est dit qu’il y avait quelque chose de beau à faire. «Toute cette présence française, le fait que les Français aient été là si longtemps, c’est quelque chose de très méconnu, même des gens de Terre-Neuve-et‐Labrador.»
Pour écrire son cinquième roman, Françoise Enguehard s’est donc rendue à Conche et y a rencontré des gens. Elle est aussi allée à Paris, au ministère des Affaires étrangères, pour se documenter.
«Il y a une grande part de vérité dans le roman», précise-t-elle. «Mon héros a existé, il n’y a aucun doute là-dessus, et sa femme, et un nombre de personnages qui sont mentionnés. Certains sont une fiction, et je l’explique. Ce qui est absolument véridique, c’est toute l’histoire de la pêche, comment elle se déroulait, les relations entre les Français et les Anglais. C’est toujours le cas dans un roman historique : souvent, dans le quotidien et dans les personnages, il y a toujours une part d’imaginaire parce qu’on ne sait pas comment les gens se sentaient.»
Conche, aujourd’hui, est un minuscule village «un peu hors du temps» qui lui plaît énormément.
«Le dernier recensement fait état de 159 personnes. Il reste encore une petite activité de pêche. Les femmes ont développé toute une infrastructure touristique qui fait que, l’été, il y a pas mal d’animation touristique. Beaucoup de gens qui vont à L’Anse aux Meadows pour voir les Vikings font un détour pour y aller.»
- Françoise Enguehard est native de Saint-Pierre-et-Miquelon.
- Elle est établie à Saint-Jean, Terre-Neuve, depuis près de 50 ans.
- Elle a remporté le prix des Lecteurs de Radio-Canada et le prix Antonine-Maillet – Acadie Vie pour L’archipel du docteur Thomas (Éditions Prise de parole, 2009).
- Elle est très active au sein de la communauté francophone de la province.
EXTRAIT
«Il avait beau être habillé comme n’importe quel marin du bord, avec une vareuse de laine bleu foncé soigneusement fermée jusqu’au col pour le protéger du vent glacial, il était clair que c’était lui le patron. Droit comme un “i”, installé sur le pont dans une posture quasi royale, James Dower regardait la mer de l’air satisfait d’un homme entièrement à l’aise sur l’océan, en parfait équilibre avec le mouvement des vagues, le bruit des voiles et le craquement des gréements. Son bonnet de laine dissimulait tant bien que mal des cheveux sel et poivre qui encadraient un visage anguleux, aux traits marqués par la vie et par le vent du large. D’épais sourcils attiraient le regard vers des yeux perçants. L’homme était plus habitué à mener qu’à obéir, ça se sentait tout de suite.»