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Des élèves allophones doivent attendre des mois avant d'apprendre le français

Leur nombre explose dans plusieurs écoles qui n’arrivent pas à répondre à la demande

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Avec la réouverture des frontières, le nombre d’élèves allophones a bondi depuis la rentrée un peu partout au Québec. Des élèves qui ne parlent pas un mot de français doivent patienter parfois jusqu’à des mois avant d’avoir des services de francisation souvent jugés insuffisants.

• À lire aussi: Des élèves qui peinent à parler français malgré les classes d’accueil

À Québec, une jeune fille ukrainienne est arrivée dans une classe ordinaire d’une école primaire en octobre. Même si elle ne parlait pas du tout français, elle a dû patienter jusqu’au mois de janvier avant d’obtenir pour la première fois des services en francisation.

Pendant des semaines, l’élève et le personnel de l’école n’ont pu compter que sur Google traduction pour se comprendre, rapporte le Syndicat de l’enseignement de la région de Québec, qui assure qu’il ne s’agit pas d’un cas exceptionnel.

«Des cas comme celui-là, il y en a d’autres», affirme son président, François Bernier. Plusieurs élèves ukrainiens qui sont arrivés récemment dans des écoles où il n’y avait pas de services de francisation ont dû patienter de longues semaines avant d’en obtenir, ajoute-t-il.

Au centre de services scolaire de la Capitale, on indique «avoir fait face à des enjeux de recrutement» récemment alors que le nombre d’élèves allophones a doublé depuis deux ans seulement (voir autre texte).

  • Écoutez l'entrevue avec Kathleen Legault à l’émission de Philippe-Vincent Foisy diffusée chaque jour en direct via QUB radio : 

Hausse fulgurante

La hausse est marquée dans plusieurs centres de services scolaires depuis le début de l’année, après deux ans de pandémie qui ont freiné l’accueil de nouveaux arrivants.

À Montréal, 150 nouvelles classes d’accueil ont été ouvertes depuis la rentrée, soit l’équivalent de sept écoles primaires complètes (voir autre texte).

Dans les écoles, les besoins sont immenses. Une dizaine d’enseignants avec qui le Journal s’est entretenu au cours des dernières semaines dénoncent le manque de services en francisation, pour les enfants qui arrivent dans le réseau scolaire ou qui sortent des classes d’accueil (voir autre texte).

Des enseignants de classe ordinaire ne savent plus où donner de la tête puisque les élèves allophones arrivent à tout moment pendant l’année scolaire. Dans une école primaire du centre-ville de Québec, une trentaine sont arrivés depuis septembre.

«Nous ne sommes pas formés (pour enseigner aux élèves allophones) mais ils remplissent nos classes et ils s’attendent à ce que nous fassions des miracles sans aide», déplorent des enseignants provenant de cette école.

Une heure par semaine

Lorsque des services de francisation sont disponibles, ils sont nettement insuffisants, ajoutent d’autres profs. Pour un élève qui ne parle pas du tout français et qui est intégré dans une classe ordinaire, sans passer par une classe d’accueil, le ministère de l’Éducation recommande une période de francisation par jour ou l’équivalent.

Or plusieurs enseignants de classes ordinaires du primaire à qui nous avons parlé indiquent que la majorité de leurs élèves allophones reçoivent plutôt une période de francisation... par semaine.

«Il faut toujours se battre pour réclamer des services auxquels ces élèves ont pourtant droit. On se fait répondre qu’il n’y a pas de budget, on se fait dire non», déplore l’un d’entre eux.

Le scénario est semblable en Montérégie, affirme Martine Provost, présidente de l’Association des professeurs de Lignery, qui représentent les enseignants du centre de services des Grandes-Seigneuries. «On a même des classes ordinaires où la moitié des élèves sont allophones», indique-t-elle.

Privés de services intensifs, ces élèves risquent de prendre du retard, ce qui compromet leur chance d’obtenir leur diplôme d’études secondaires, déplore une enseignante en francisation. Au secondaire, le manque de services est aussi criant, dit-elle. «On accueille de nouveaux élèves chaque semaine, mais on n’a aucun moyen de bien les intégrer. C’est de la grande improvisation. Ces élèves-là méritent mieux.»


►Les enseignants ont refusé d’être identifiés pour éviter les représailles et préserver l’identité de leurs élèves. 

NOMBRE D’ÉLÈVES EN FRANCISATION DANS DES CENTRES DE SERVICES SCOLAIRES 

De la Capitale 

  • 2020-2021

703

  • 2021-2022

1167

  • 2022-2023

1514 

(au 12 janvier 2023) 

Montréal 

  • 2020-2021

3132

  • 2021-2022

3152

  • 2022-2023

4296

(au 30 décembre 2022) 

Grandes-Seigneuries (Montérégie) 

  • 2020-2021

1095

  • 2021-2022 

1202

  • 2022-2023

1363 

(au 26 janvier 2023)

La francisation à géométrie variable dans les écoles

Un élève allophone ne recevra pas le même coup de pouce en francisation s’il fréquente une école de Rimouski, de Québec ou de Montréal puisque l’organisation des services varie d’un centre de services scolaire à l’autre, même si le financement est le même.

Les syndicats d’enseignants déplorent que ces services soient «inégaux» d’une école à l’autre et réclame la mise en place d’un cadre plus contraignant, surtout dans le contexte où Québec veut améliorer la maîtrise du français chez les élèves.

Dans plusieurs écoles en région, le nombre d’élèves allophones n’est pas assez élevé pour permettre l’ouverture de classe d’accueil.

À Québec, au centre de services scolaire de la Capitale, il existe seulement deux classes d’accueil au primaire réservées à une cinquantaine d’élèves qui ont un très grand retard scolaire. Plus de 95% des élèves allophones sont assis dans des classes ordinaires au primaire.

Au secondaire, des classes «semi-ouvertes» ont été mises en place dans quelques écoles, ce qui permet aux élèves de suivre des cours de francisation tout en étant intégrés dans les cours réguliers pour d’autres matières.

Plusieurs enseignants à Québec réclament l’ouverture de classes d’accueil pour les tous les élèves allophones, comme c’est le cas à Montréal.

De son côté, le centre de services de la Capitale défend ses choix. «Présentement, c’est le modèle qui est retenu. La recherche indique qu’il n’y a pas de modèle idéal», affirme sa directrice adjointe aux services éducatifs, Marie-Josée Bouchard.

Situation «exceptionnelle»

Un «chantier de réflexion» est toutefois en cours pour améliorer les services dans un contexte où les élèves allophones n’ont jamais été aussi nombreux, ajoute-t-elle.

«Malgré le caractère exceptionnel de la situation, on essaie de soutenir au maximum le personnel. On est très conscient que dans les milieux, c’est exigeant», ajoute Mme Bouchard.

Au centre de services des Grandes-Seigneuries, en Montérégie, on considère que le soutien à la francisation ne repose pas seulement sur un enseignant spécialisé. «L’enseignant (...) met en place, dans sa classe, un enseignement universel qui vient soutenir l’apprentissage du français», indique sa porte-parole, Hélène Dumais.

«Il ne s’agit pas uniquement d’offrir une heure par jour par la même personne pour de la francisation, à l’extérieur de la classe, mais bien un mélange entre la classe et les différents intervenants de l’école, à divers moments», ajoute-t-elle, tout en précisant que la grande majorité des élèves issus de l’immigration sont en réussite.

De son côté, la Fédération autonome de l’enseignement demande au ministère de l’Éducation de mettre en place un cadre beaucoup plus «structuré» et «contraignant» afin de réduire les iniquités d’une école à l’autre.

«Si on souhaite vraiment améliorer la maîtrise du français au Québec, il faut vraiment améliorer les services aux élèves allophones. Des services inégaux d’une école à l’autre, ce n’est pas acceptable», affirme sa présidente, Mélanie Hubert.

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