Blue Bridge: le scandale québécois qui éclabousse des fortunes en France
De riches familles auraient caché des milliards ici pour éviter des impôts
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Des héritiers de la famille du célèbre peintre Matisse, la famille du magnat du cinéma Jérôme Seydoux, une branche de la richissime famille des services pétroliers Schlumberger, voici quelques-unes des grandes fortunes qui auraient reçu l’aide de Québécois pour dissimuler chez nous des milliards de dollars au fisc français.
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L’affaire fait de plus en plus de bruit en Europe, depuis que le juge Bernard Synnott de la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement cinglant le 26 janvier dernier relié à la firme de gestion de patrimoine Blue Bridge.
Le juge Synnott y sert notamment de sévères remontrances à plusieurs gestionnaires de portefeuille et avocats québécois.
Notre Bureau d’enquête avait levé le voile dès 2019 sur les activités ayant cours au sein de Blue Bridge, cette mystérieuse société établie au centre-ville de Montréal.
Plusieurs médias français, dont Libération, Capital et Le Monde, se sont depuis intéressés de près à l’affaire en France.
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Ce que Libération a baptisé le ISF Gate (ISF pour impôt sur la fortune) avait même amené le ministre français de l’Économie à déclarer en 2021 être indigné au sujet du « contentieux que nous avons avec les trusts canadiens ».
C’est en effet plus de 4 milliards qui sont gérés dans des trusts (ou fiducies en français) chez Blue Bridge à Montréal, mais le juge Synnott laisse entendre dans sa décision que ce ne pourrait être que la pointe de l’iceberg de sommes cachées ailleurs.
« L’on parlerait de plusieurs dizaines de milliards », avance-t-il.
- Écoutez la chronique Crime et Société avec Félix Séguin, journaliste au Bureau d’enquête de Québecor, entre autres au sujet du Blue Bridge, au micro de Richard Martineau sur QUB radio :
Ordonnances rejetées
Le juge a rejeté des ordonnances de confidentialité et de non-publication demandées par Blue Bridge.
« Le fait que l’ensemble du dossier demeure public ne pose aucun risque sérieux pour un intérêt public important, bien au contraire », a-t-il estimé.
Selon des documents de cour consultés par notre Bureau d’enquête, le magnat du cinéma français Jérôme Seydoux fait partie des fortunes touchées. Sa fortune est estimée à 1,4 milliard d’euros (2 G$) par le magazine français Challenges.
Les familles Boissonnas et Lebel sont nommées dans la décision. La famille Boissonnas est reliée à la famille Schlumberger, décrite en France comme une des plus prestigieuses dynasties industrielles.
La famille Monnier est aussi évoquée par le juge Synnott. Nicolas et Robert, notamment, sont deux fils de Jacqueline Matisse-Monnier, petite-fille d’Henri Matisse.
Bernard Lanvin détient deux trusts, selon le jugement.
D’autres familles moins connues au Québec sont aussi mentionnées dans les procédures, dont la famille Barlatier très active dans la logistique en France.
Blanchiment
Dans son jugement rendu la semaine passée, le juge Synnott décrit de manière précise comment un trust relié à une fondation de Jérôme Seydoux, le Laurens Trust, a vu son argent être « blanchi » par Blue Bridge.
« En réalité, Blue Bridge agit comme prête-nom pour le trust Laurens qui n’apparaît nulle part. Cela permet de cacher l’identité du véritable donateur [le trust], et ultimement de dissimuler l’identité des personnes derrière le don », explique-t-il.
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La dernière décision est loin d’être la fin de cette affaire. Le Parquet National Financier, un organisme français chargé de traquer la grande délinquance économique, a ouvert une enquête en février 2019 et celle-ci est toujours en cours, selon nos informations.
En 2021, par ailleurs, Blue Bridge a été sommée par la justice de dévoiler une liste de clients au fisc français.
La firme est autorisée depuis mars 2018 par l’Autorité des marchés financiers (AMF) à agir au Québec comme gestionnaire de portefeuille.
« L’Autorité est [...] à prendre connaissance du jugement et à en faire l’analyse », nous a indiqué de son côté Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF au Québec.