Vague de démissions: 4000 profs ont déserté nos écoles en trois ans
Le nombre d’enseignants qui ont quitté leur poste a grimpé en flèche récemment
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Alors que la pénurie d’enseignants est criante dans le réseau scolaire, près de 4000 profs ont démissionné depuis trois ans dans les écoles publiques québécoises, a appris Le Journal.
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Leur nombre a d’ailleurs augmenté en flèche au cours des dernières années. Depuis l’an dernier seulement, 2700 enseignants ont annoncé leur départ (voir encadré).
Ces chiffres ont été obtenus à la suite de demandes d’accès à l’information dans les 72 centres de services scolaires, puisque le ministère de l’Éducation ne détient pas cette information.
Les données recueillies excluent les départs à la retraite.
Il s’agit par ailleurs d’un portrait incomplet puisque 55 centres de services nous ont transmis des chiffres à ce sujet. À certains endroits, la hausse est encore plus spectaculaire (voir encadré).
La grande majorité des centres de services ignorent les raisons derrière ces départs. Plusieurs précisent toutefois que les enseignants qui ont démissionné n’ont pas tous abandonné la profession.
Certains partent pour aller enseigner dans une autre région ou dans un centre de services scolaire situé à proximité si les contrats y sont plus intéressants, indique-t-on.
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Au bout du rouleau
Mais d’autres démissionnent aussi par épuisement, à bout de souffle, ou pour éviter d’en arriver là.
C’est le cas de Solène Dussault, une prof d’expérience de l’Estrie qui a choisi de prendre une pause de l’enseignement.
Dans une lettre qu’elle a fait parvenir au ministre Bernard Drainville, elle explique comment il est difficile de réclamer en vain de l’aide pour des élèves qui en ont tellement besoin.
«Le manque de soutien est très difficile au quotidien. Les enseignants ne sont pas assez écoutés, entendus, soutenus et aimés», affirme-t-elle.
Pour Hugues Morin, ce sont les nombreuses heures de bénévolat et l’impression de toujours devoir «tourner les coins ronds» qui lui ont donné envie d’aller voir ailleurs, après 20 ans (voir autre texte).
Les enseignants d’expérience sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à quitter le navire, selon la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ).
«Pendant des années, on disait que c’était nos jeunes profs qui quittaient. Maintenant, les enseignants quittent à tout âge parce qu’ils n’en peuvent plus», affirme la présidente de la FSE-CSQ, Josée Scalabrini.
Au Centre de services des Navigateurs, situé sur la Rive-Sud de Québec, on indique que la majorité des profs qui ont démissionné depuis le début de l’année étaient temporaires et âgés de 35 à 55 ans.
Le gouvernement n’a pas encore compris que ces enseignants ont besoin d’aide, ajoute Mme Scalabrini. «Ce qui fait la différence, c’est la composition de la classe», dit-elle.
Il en faudrait 600 de plus
Ces départs surviennent alors que près de 600 enseignants manquent à l’appel dans le réseau scolaire, selon les plus récents chiffres du ministère de l’Éducation, qui datent du début décembre.
RÉSEAU PUBLIC
Nombre d’enseignants qui ont démissionné*
2018-2019: 665
2019-2020 : 929
2020-2021 : 1224
2021-2022 : 1622
2022-2023: 1062
(pour la moitié de l’année en cours)
*Ces chiffres excluent les départs à la retraite.
Ce portrait est partiel puisqu’il provient de 55 des 72 centres de services scolaires.
Le ministère de l’Éducation ne compile pas de données à ce sujet.
LES DÉMISSIONS DANS CERTAINS CENTRES DE SERVICES SCOLAIRES
Découvreurs (Québec)
- 2018-2019 : 10
- 2019-2020 : 7
- 2020-2021 : 13
- 2021-2022 : 12
- 2022-2023 : 25
(au 17 janvier 2023)
Navigateurs (Lévis)
- 2018-2019 : 9
- 2019-2020 : 14
- 2020-2021 : 29
- 2021-2022 : 28
- 2022-2023 : 30
(au 11 janvier 2023)
Montréal
- 2018-2019 : 163
- 2019-2020 : 208
- 2020-2021 : 271
- 2021-2022 : 340
- 2022-2023 : 224
(au 9 janvier 2023)
Marie-Victorin (Montérégie)
- 2018-2019 : 47
- 2019-2020 : 61
- 2020-2021 : 77
- 2021-2022 : 86
- 2022-2023 : 81
(au 21 décembre 2022)
«On a l’impression de travailler dans le vide»
«Je suis parti parce que j’ai la conviction profonde qu’il n’y a rien qui va changer en éducation d’ici à ma retraite. Quand ça fait 20 ans que tu t’impliques pour que les choseschangent et qu’il ne se passe rien... C’est comme un mauvais conjoint, ça change plus.»
Hugues Morin a remis sa démission le 13 mai dernier, après avoir enseigné les mathématiques pendant 20 ans à des élèves du secondaire de Québec.
Une nouvelle vie
Une semaine plus tard, il commençait un nouvel emploi comme conseiller au développement des compétences chez Revenu Québec. Depuis, sa vie a complètement changé. Finies les soirées et les fins de semaine passées à faire de la correction, de la planification ou des appels aux parents. «Je ne fais plus aucune heure qui n’est pas payée ou reconnue. À 16 h, je ferme l’ordi. Ç’a été mon premier choc, lance-t-il en riant.
«Ç’a aussi été une baisse de pression et de surcharge mentale, ajoute-t-il. Quand on sort de l’enseignement, on se rend vraiment compte que ça n’a pas d’allure, tout ce qu’on a donné.»
«Quand j’ai commencé en enseignement, j’étais très enthousiaste, poursuit-il. J’ai toujours aimé enseigner, j’ai toujours aimé les jeunes. J’en ai donné du temps sans compter. Mais quand on se donne et qu’on a l’impression de travailler dans le vide, ça use. Il y a de plus en plus d’élèves en difficulté, tu ne fournis jamais», dit-il.
Épuisement perpétuel
Les deux dernières années, marquées par la pandémie, ont été particulièrement difficiles, ajoute l’ex-enseignant. «Je sentais une fatigue qui ne partait pas, j’étais en train de dire à mon médecin qu’il fallait que j’arrête.»
Les groupes d’élèves ont beaucoup changé au fil des ans, ajoute celui qui a toujours enseigné dans des classes régulières au secondaire.
«Le régulier n’a plus rien à voir avec le régulier quand j’étais jeune», laisse-t-il tomber. Il n’y a que quelques élèves qui comprennent facilement la matière, alors que d’autres ont d’énormes retards scolaires, des problèmes de santé mentale ou de comportement. «Comment veux-tu gérer tout ça en même temps?», lance-t-il.
Aujourd’hui, Hugues Morin est heureux de relever de nouveaux défis et de constater à quel point il est apprécié. «Disons que je n’ai plus besoin d’aller voir mon médecin», dit-il. Il demeure fier d’avoir été enseignant et d’avoir contribué à changer la vie de certains élèves.
«Ce qui me manque le plus, ce sont les collègues, ajoute-t-il. C’est là que tu réalises que l’école, elle tient à cause des enseignants et des collègues.»