Rose Dufour, une vie au secours des exclus
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La petite voix intérieure de Rose Dufour, anthropologue, qui s’est distinguée pour ses recherches chez les Inuits, puis sur l’itinérance et la prostitution, l’a guidée tout au long de sa vie. C’est toujours le cas à la retraite, alors qu’elle traverse une rude épreuve.
À l’âge de 7 ans, Rose Dufour a été saisie par une petite voix intérieure qui lui a dit : tu pourras, si tu le veux, donner la parole à ceux qui ne l’ont pas, et parler à la place de ceux qui ne le peuvent pas. « Cet appel-là m’a sauvée, dit-elle. C’était ma mission. »
À 79 ans, cette même petite voix l’a de nouveau guidée, le 1er janvier dernier, en lui disant : « Ne te laisse pas aller. Sois attentive à ce que tu fais. »
À travers le deuil, Rose Dufour s’applique depuis quelques mois à « redéfinir qui elle est ».
Dans sa demeure de Québec, de nombreuses photographies de son défunt mari sont placées bien en vue. Laurent, son mari et père de cinq enfants, dont sa fille, a été emporté par la maladie en octobre dernier.
Mme Dufour ne s’en cache pas. Le deuil est très difficile. Elle vouait une admiration sans bornes à cet homme qui fut son grand complice, et qui croyait tant en elle. Son départ a laissé un grand vide.
« Je n’aurais jamais pu imaginer une telle souffrance, c’est indescriptible. Le plus difficile, ce n’est pas la solitude, c’est l’absence. Je réapprends à vivre », confie cette femme au parcours incroyable.
Passion des études
Petite, Rose Dufour a souvent entendu ses parents louanger l’importance de l’éducation. Elle a grandi dans un milieu peu fortuné, à Kénogami, au Saguenay. Comme bien des gens à l’époque, ses parents étaient peu instruits et analphabètes.
« Ma mère disait : faites vos devoirs, faites vos leçons, soyez appliqués, on ne vous laissera pas d’héritage. Le seul héritage qu’on peut vous laisser c’est l’école. »
Or Rose Dufour raffolait de l’école. « Il y a deux endroits où j’étais bien : à l’école et à l’église, parce que c’était un lieu paisible, avec la pénombre et l’odeur de l’encens. C’est pas la religion qui m’intéresse, c’est qu’en dedans de moi, il se passe quelque chose de très important. »
Lors d’un séjour à Montréal, à l’occasion d’un défilé de la Saint-Jean-Baptiste, la jeune Rose Dufour est obnubilée par l’Hôpital Notre-Dame, qu’elle aperçoit non loin.
C’est là qu’elle viendra suivre ses études en soins infirmiers, quittant le Saguenay pour la grande ville.
Son travail d’infirmière l’a ensuite amenée à voyager beaucoup. Elle s’est notamment engagée en coopération internationale en Tunisie.
Puis, après sa rencontre avec celui qui deviendra son mari, elle décide de s’inscrire à l’Université Laval, et décroche un doctorat pour devenir anthropologue.
Tellement d’amour
Toute la carrière de Rose Dufour se déroulera en santé publique. De 1972 à 1992, elle s’intéresse aux liens entre culture, santé et maladie chez les Inuits de l’Arctique canadien et québécois.
Puis, au détour d’une rencontre avec son ami Jean Dubuc, « médecin des pauvres », elle s’engage auprès des personnes les plus défavorisées du centre-ville de Québec, soit les itinérants, les jeunes de la rue et les orphelins de Duplessis.
Auteure de nombreux ouvrages, l’anthropologue a beaucoup documenté le processus d’insertion et d’exclusion sociale de ces gens, à une époque où ces sujets demeuraient très peu explorés.
Elle découvre les personnes les plus authentiques et les plus sincères. Auprès des orphelins de Duplessis, elle a reçu tellement d’amour, souligne-t-elle.
Au début des années 2000, les femmes victimes de prostitution attirent son attention.
Elle développe une pédagogie de l’empowerment, soucieuse de les aider à se sortir de la prostitution et à reprendre le contrôle de leur existence.
Puis, en 2006, elle fonde la Maison de Marthe, premier organisme à offrir des services dans cet objectif particulier.
La prostitution, c’est la plus grande misère humaine qu’elle a vue dans sa vie, confie-t-elle. Elle déplore d’ailleurs toutes les faussetés qui sont véhiculées sur le phénomène.
« Ça fait un bout que je travaille là-dessus, notre société a évolué, et maintenant nous en sommes à en parler comme d’un métier. C’est effrayant. »
Travail reconnu
Au fil des années, cette pionnière a vu la qualité de son travail maintes fois récompensé.
En 2013, elle s’est notamment vu accorder l’insigne de chevalière de l’Ordre national du Québec, la plus haute distinction accordée par le gouvernement du Québec.
Il y a un an, la Chambre de commerce et d’industrie de Québec lui a aussi décerné le titre de Grande Québécoise dans le secteur social, pour son implication, son dynamisme et ses réalisations.
D’autres ont pris la relève de la Maison de Marthe, depuis sa retraite, mais elle continue de présenter des conférences.
Elle a aussi gardé des liens avec des femmes qu’elle a aidées, comme quoi ce désir d’aider ne prendra jamais sa retraite.
Car les années ont passé, certes, mais les grands yeux bleus de Rose Dufour reflètent assurément la même fougue et la même soif de vivre qu’à ses 20 ans. On sent bien qu’elle est loin d’avoir dit son dernier mot.
Plusieurs réalisations
- 1972 à 1992 : recherche sur les Inuits
- 1992 à 2001 : recherche sur les itinérants, jeunes de la rue et orphelins de Duplessis
- 2001 : recherche auprès des femmes victimes de la prostitution
- 2006 : Fondation de la Maison de Marthe