Agences privées en santé: «Une saignée historique» à prévoir dans le réseau
L’association des agences privées craint une aggravation de la pénurie
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Une «saignée historique» au sein du personnel est à prévoir dans le réseau de la santé, s’inquiète l’association des agences privées, qui déplore être le bouc émissaire de la mauvaise gestion.
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«Ça va créer des bris de service, ça va amplifier la détresse des travailleurs qui vont rester dans le réseau», réagit Patrice Lapointe, président-directeur général de l’Association des entreprises privées de personnel soignant du Québec (EPPSQ).
«C’est la politique de la terre brûlée envers et contre tous. On fait un pari extrêmement risqué que les gens vont être forcés de réintégrer le réseau. C’est un pari dangereux. On est préoccupés et inquiets.»
Évidemment, l’annonce du gouvernement d’interdire le recours aux agences privées de santé d’ici 2026 fait vivement réagir les employés concernés. Dans un sondage de l’EPPSQ diffusé ce matin, 81 % des employés d’agences ont dit ne pas avoir l’intention de retourner dans le réseau public.
«On a aboli les pompiers»
Changement de carrière, déménagement dans une autre province, virage dans une entreprise privée : les gens ne seront pas de retour, prévient M. Lapointe. Selon lui, le réseau se privera d’au moins 1900 infirmières et des milliers d’autres travailleurs (préposés, auxiliaires, etc.).
Interrogée par Le Journal, une infirmière auxiliaire qui travaille dans une agence depuis deux ans préférerait changer de carrière.
«Il est hors de question pour ma part que je retourne travailler dans le public. Ce n’est même pas envisageable», dit la femme de 50 ans sous le couvert de l’anonymat, par peur de représailles.
Travaillant à l’hôpital de Rimouski, cette employée constate que les agences offrent une stabilité dans les horaires, et occupent la moitié des postes sur son unité.
«Ce qui est déplorable, c’est de nous voir comme des menaces. On n’est pas des menaces, on est le pansement, dit la femme. On sert à guérir une plaie, à combler un manque.»
«Ce qu’on fait, le réseau ne peut pas le faire. Mais [...] on pense que par magie, l’incendie va s’éteindre tout seul maintenant qu’on a aboli les pompiers», fustige M. Lapointe.
Selon une spécialiste de la gestion du réseau de la santé, le ministère devrait plutôt travailler sur de meilleures conditions de travail au public pour régler la pénurie de personnel.
La mauvaise cible?
«Ce qu’on veut, c’est les ramener au public, réagit Nadia Sourial, professeure au département de gestion de l’École de santé publique, de l’Université de Montréal. Mais, je ne suis pas d’accord avec ce tour de force qui rend les professionnels prisonniers du public dans des conditions qui ne sont actuellement pas optimales.»
D’ailleurs, elle croit aussi que l’abolition des agences sans amélioration du réseau public risque même d’aggraver la pénurie de personnel.
«Il pourrait y avoir plus de retraites. Au lieu d’avoir une évolution vers le privé, des professionnels vont juste aller vers d’autres types de professions », souligne-t-elle.
Du côté de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), le syndicat qui représente la majorité des infirmières au Québec, on concède que l’abolition des agences n’est pas l’unique solution.
«On doit s’assurer que les agences soient abolies dans un délai raisonnable et en même temps travailler sur les conditions de travail [...] pour aller rechercher l’ensemble de ces professionnelles en soins qui ont quitté», dit Julie Bouchard, présidente de la FIQ.
Cette dernière déplore aussi que le projet de loi du ministre Dubé est incomplet et contient peu de détails.