Autre cas de culture toxique: un entraîneur de hockey humiliait ses jeunes joueurs
Il aurait traité les jeunes de «fifs» et aurait commis plusieurs autres écarts de langage inacceptables
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Un entraîneur qui aurait traité ses joueurs «de fifs» en plus de les inciter à se blesser lors d’entraînements punitifs s’en est sorti avec une tape sur les doigts.
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«Vous êtes fifs en criss. S’il y a du sang, vous sortez. Sinon, vous restez [sur la glace]», aurait dit l’entraîneur Arnaud Dubé, des Élites de Jonquière, selon un de ses joueurs.
Cette déclaration a été faite dans le cadre d’audiences du Comité de protection de l’intégrité, une structure indépendante mise en place sous le gouvernement Legault en 2021.
Au total, cinq joueurs adolescents ont dénoncé leur entraîneur la saison dernière. Pour certains, son comportement a eu des conséquences importantes, notamment sur leurs résultats scolaires et leur amour du sport.
Dans une décision obtenue par notre Bureau d’enquête, le Comité juge que l’entraîneur de l’équipe M18 AAA (anciennement Midget AAA) a commis des gestes et tenus des paroles qui sont «inacceptables et [qui] ne devraient être tolérés sous aucun prétexte».
«Certaines des paroles proférées par [l’entraîneur] dépassent les limites de ce qui est acceptable dans le cadre d’une relation entraîneur-joueur. Malgré ses intentions, M. Dubé a fait preuve d’un manque de jugement à quelques reprises», peut-on lire dans la décision.
- Écoutez l'entrevue avec Sylvain Guimond à l’émission de Benoit Dutrizac via QUB radio :
Courte formation
Les trois membres du Comité ont cependant rejeté les allégations de harcèlement psychologique en raison «d’absence de répétition» ou «d’une seule conduite pouvant être suffisamment grave».
Le Comité a ainsi demandé à M. Dubé qu’il complète une formation d’une durée de trois à cinq heures. Le comité n’est pas un tribunal, mais a un pouvoir de recommandation.
Selon la mère d’une des victimes, cette conséquence est «complètement ridicule» compte tenu de la portée des gestes posés et des paroles tenues par l’entraîneur.
«Au lieu d’être un moteur de changement, le Comité a choisi de perpétuer cette culture malsaine existant depuis trop longtemps dans le milieu du hockey», a-t-elle déploré en juin dernier dans une lettre adressée à Vicky Poirier, responsable de la réception des plaintes.
«Bien faire paraître»
«[Cette décision] me porte à croire qu’une [telle structure] ne sert qu’à bien faire paraître les instances gouvernementales responsables du sport au Québec», a-t-elle ajouté, en dénonçant un processus «long et hasardeux».
Selon la décision du Comité, M. Dubé a présenté des excuses et fait preuve de remords pour ces «incidents isolés».
Joint au téléphone, il a cependant refusé d’expliquer ses gestes et paroles, indiquant qu’il n’avait pas l’autorisation pour nous parler.
- Écoutez l'entrevue d'une « hockey mom » au micro de Richard Martineau, disponible en balado sur QUB radio :
Le président de l’équipe, Michel Simard, a aussi refusé d’accorder une entrevue. Il a nié tout geste ou parole inappropriés de la part de son entraîneur. «Si jamais il y aurait qu’un petit doute sur ces allégations soient véridiques, eh bien M. Dubé aurait été congédié immédiatement [sic]», a-t-il écrit.
- Pascal Dugas-Bourdon
Extraits des cinq jeunes ayant porté plainte contre lui
Joueur 1
«J’ai vécu des entraînements punitifs que l’entraîneur justifiait par un manque d’effort causant la défaite. [...] J’ai vu un de mes coéquipiers en vomir.»
«J’ai entendu le langage inapproprié de mon entraîneur, et ce, à plusieurs reprises. [Il a dit] par exemple : “Vous êtes fifs en criss. S’il y a du sang, vous sortez. Sinon, vous restez.”»
Joueur 2
«L’entraîneur veut qu’on se frappe et qu’on n’ait aucune pitié [lors de certains entraînements]. Il veut même qu’on casse les côtes de l’autre s’il le faut.»
«Le matin, l’angoisse me pognait en arrivant à l’école parce que je savais très bien ce qui allait se passer à la pratique.»
Joueur 3
«J’ai vu [des] coéquipiers sortir de la glace en pleurant pendant des pratiques. Quand je leur demandais ce qui se passait [ils] me répondaient : c’est [l’entraîneur].»
Joueur 4
«À un moment, l’entraîneur nous a rencontrés et nous a traités d’ostie de fifs. Ensuite, il a mentionné qu’on pourrait sortir de la pratique seulement si on se cassait quelque chose ou qu’on saignait.»
«[L’entraîneur] m’a rencontré et il m’a dit que j’étais un exemple de marde pour les jeunes.»
Joueur 5
«Quelques [joueurs] se sont fait “taper” les mains sur nos bâtons comme pour nous humilier.»
«Ça fait six ans que je suis dans la structure AAA et c’est la première fois que je vois des situations aussi désolantes.»
UN COMITÉ À L’ÉCOUTE DES VICTIMES
Le Comité de protection de l’intégrité (CPI) qui a entendu les joueurs des Élites de Jonquière a été créé pour entendre les victimes de comportements malsains dans le sport. Voici un aperçu.
- Relève de l’Officier des plaintes du Regroupement loisirs et sports du Québec
- L’officier est financé par le gouvernement du Québec
- Annoncé en novembre 2020 par Isabelle Charest, ministre responsable du sport
- Créé dans la foulée de plusieurs scandales qui ont éclaboussé le sport, dont les accusations d’agressions sexuelles de l’entraîneur de ski, Bertrand Charest.
- La structure est en place depuis le 1er février 2021
- Permet de traiter les plaintes liées aux abus ou harcèlement dans le sport de façon neutre et indépendante et de faire des recommandations
- 50 dossiers de plaintes ouverts durant les six premiers mois, dont deux transférés à la police.
- Environ 200 plaintes ont été traitées par le biais de l’icône « Je porte plainte » qui se trouve sur les sites des fédérations sportives québécoises.
- Marie Christine Trottier
«Avec l’Officier indépendant des plaintes, on a mis en place la politique d’intégrité. Les fédérations [sportives] doivent se doter d’une politique d’intégrité, qui fait en sorte que l’environnement soit exempt d’abus, de harcèlement, d’intimidation.»
– La ministre des Sports, Isabelle Charest
«Le CPI retient des témoignages à l’audition et de la preuve au dossier que certains gestes posés par M. Dubé envers certains joueurs, ainsi que certaines des paroles proférées par ce dernier dépassent les limites de ce qui est acceptable dans le cadre d’une relation entraîneur-joueur.»
– Extrait de la décision du Comité de protection de l’intégrité