Elle passe de McKinsey au cabinet du ministre Fitzgibbon
Le ministre a embauché celle qui avait travaillé sur un contrat sans appel d’offres
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Le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon a embauché une employée de l’influent cabinet-conseil McKinsey qui venait tout juste de travailler sur un contrat qu’il avait octroyé sans appel d’offres, a appris notre Bureau d’enquête.
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En juillet 2021, le ministre a octroyé un contrat de 4,7 millions $ à McKinsey. Le contrat, offert de gré à gré, a exigé une autorisation spéciale du Conseil du trésor.
Objectif : « analyser les mesures pour stimuler la croissance économique du Québec » afin de combler l’écart de richesse du Québec avec d’autres États comparables.
Parmi les employés de McKinsey assignés au mandat, on trouvait Jeanne Olivier, une jeune diplômée de Harvard en économie. Elle travaillait dans la firme de consultants depuis août 2019, notamment comme analyste d’affaires.
Le mandat de quelques mois à McKinsey a pris fin le 17 décembre 2021. Or, le mois suivant, le cabinet du ministre Fitzgibbon a embauché Jeanne Olivier comme conseillère politique au sein de son cabinet.
Ainsi, Mme Olivier a travaillé sur le contrat donné par le ministre, juste avant de sauter la clôture pour rejoindre sa garde rapprochée. Par ailleurs, elle est la fille de François Olivier et d’Isabelle Marcoux, qui ont dirigé Transcontinental alors que M. Fitzgibbon en était administrateur, de 2009 à 2017.
« Ça donne cette impression de malaise. C’est sûr que le monde des affaires est petit, mais là où ça devient gênant, c’est que c’est une charge publique et que l’intérêt des Québécois [doit primer] », estime Ivan Tchotourian, professeur de droit des affaires et de responsabilité sociale des entreprises à l’Université Laval.
Proche du ministre
Dans le cadre de son emploi au cabinet de Pierre Fitzgibbon, Jeanne Olivier a notamment accompagné le ministre lors d’une mission économique en Israël, en mars 2022. Elle a quitté son emploi en août 2022 pour étudier à la maîtrise.
« McKinsey est un cabinet considérable ayant les moyens d’influencer les décisions prises aux plus hauts échelons des États. C’est là que ça devient un peu dangereux », affirme M. Tchotourian.
« Ça donne cette impression de gouvernement de l’ombre, même si on ne peut pas empêcher la circulation des employés », ajoute-t-il.
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Livre coup de poing
Le travail de journalistes du New York Times semble donner raison aux préoccupations évoquées par le professeur Tchotourian. Dans un livre coup de poing paru en octobre, les auteurs suggèrent que McKinsey aime tirer profit de la position de ses anciens employés.
« Quitter McKinsey n’est pas honteux. [...] McKinsey sait qu’en saupoudrant le monde des affaires de ses anciens employés, il peut obtenir de nouveaux clients en retour », peut-on lire dans l’ouvrage Quand McKinsey arrive en ville : l’influence cachée de la firme de consultants la plus puissante du monde.
La firme McKinsey a refusé de commenter.
— Avec Philippe Langlois et Marie Christine Trottier.
Embauchée à la demande du chef de cabinet
Le ministre Pierre Fitzgibbon ne voit pas d’enjeu à recruter directement une ancienne de McKinsey, qui a de surcroît été impliquée dans un important contrat qu’il a lui-même octroyé.
Pour preuve : c’est même son directeur de cabinet qui a convaincu Mme Olivier de soumettre sa candidature au poste de conseillère politique.
« Mme Olivier a travaillé sur le mandat confié à McKinsey par le ministère de l’Économie. C’est ainsi qu’elle a été repérée et approchée. Nous en sommes fiers », indique Mathieu St-Amand, directeur des communications du cabinet.
McKinsey a fait couler beaucoup d’encre au cours des derniers mois, notamment pour les millions de dollars en contrats qu’elle a reçus durant la pandémie. À Ottawa, une enquête parlementaire a été mise sur pied pour examiner les contrats fédéraux offerts à l’entreprise.
Malgré la réputation de McKinsey, M. St-Amand a précisé qu’« aucune mesure particulière n’a été mise en place » pour éviter une possible influence de la multinationale américaine, « et ce, à juste titre ».
« Offrir à des jeunes talentueux un passage dans un cabinet fait partie de notre mission. Le ministre cherche toujours à embaucher les meilleurs talents disponibles », ajoute-t-il.
Transparence
Selon l’expert en éthique Ivan Tchotourian, M. Fitzgibbon aurait dû, à tout le moins, « prendre conscience » de l’influence éventuelle de la mégafirme et en faire « un petit peu plus que pas assez » en termes de transparence.
« Ce que je trouve dangereux, c’est si on donne ce sentiment qu’il n’y a [pas d’enjeu de possible influence]. Le questionnement de l’éthique semble avoir été oublié si aucune solution spécifique n’a été envisagée dans le cas de cette embauche », indique-t-il.
Selon le professeur en gouvernance à l’UQAM Michel Séguin, recruter une employée d’une firme de consultants et l’intégrer dans ses activités courantes est chose commune.
« Maintenant, est-ce que cette employée va favoriser l’embauche de la firme pour des contrats subséquents ? C’est certain que le risque existe », dit-il.
Le bureau du ministre a ajouté que tous les employés de cabinet ont un code d’éthique à respecter.