Comment la laïcité est-elle apparue au Québec?
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La laïcité, comme principe, n’est ni une invention récente ni une arme contre les musulmans. Seule l’histoire permet de comprendre sa genèse et son importance. Alors que la nomination par Ottawa d’Amira Elghawaby comme conseillère à la lutte contre l’islamophobie soulève les passions, penchons-nous sur un récent ouvrage qui s’attarde à ce principe.
Dans une synthèse fort éclairante, l’historien Éric Anceau présente la laïcité comme un « idéal d’organisation pacifique de la cité », lequel considère « que ce qui est commun à tous les hommes doit être supérieur à ce qui les sépare ».
Mettre fin aux guerres de religion
Longtemps, les rois se sont présentés à leurs sujets comme les représentants de Dieu sur terre. Ils étaient à la fois les chefs politiques et les guides spirituels de leur royaume.
Quoi faire cependant lorsqu’une partie des sujets critiquait les dogmes de l’Église ? Fallait-il les excommunier, les emprisonner, les exterminer physiquement ?
Les élites françaises se posent ces questions durant la seconde moitié du XVIe siècle lorsqu’émergent les idées protestantes. Pendant 40 ans, la France est déchirée par des guerres de religion. Les massacres sont nombreux, la violence extrême. Chaque camp, convaincu de posséder la vérité, refuse tout compromis.
Séparer l’Église et l’État
Le grand roi Henri IV, le mentor de Samuel de Champlain, propose en 1598 l’édit de Nantes, qui permet aux protestants de pratiquer leur religion en toute quiétude. Pour assurer la concorde du royaume, il fallait que l’État soit au-dessus des religions.
Avant d’être catholiques ou protestants, les sujets du royaume étaient Français. Cette expérience traumatisante explique pourquoi la France a été un chef de file de la laïcité. Pendant qu’ici, l’Église imposait ses dogmes, sa loi et souvent sa censure, la France moderne adoptait une série de lois qui défendaient une séparation stricte de l’Église et de l’État, surtout à l’école.
De Louis-Joseph Papineau à Éva Circé-Côté, bien des républicains d’ici auraient souhaité que le Québec emprunte cette voie, mais ils étaient minoritaires. Il a fallu attendre la Révolution tranquille et le déclin de l’Église catholique pour que la laïcité trouve des défenseurs.
Deux modèles
L’intérêt du livre d’Anceau est de montrer que toutes les sociétés occidentales ont été confrontées à l’enjeu des rapports troubles entre la religion et la politique. En France (et au Québec), c’est l’État qui assure à tous une liberté de conscience face à une Église catholique longtemps très puissante.
Or, aux États-Unis, où la laïcité à la française est jugée intolérante, on s’est au contraire méfié de l’État. C’est que les premiers Américains appartenaient à des religions minoritaires qui fuyaient l’Église anglicane officielle. Cet « antimodèle » américain, écrit Anceau, s’est « historiquement construit dans le but de protéger les religions contre les ingérences de l’État ».
La modernité a donc produit deux approches du fait religieux. Le premier, républicain, accorde plus d’importance au groupe, à la communauté des citoyens ; le second, libéral, est centré sur les droits de l’individu.
Depuis la loi 21, le Québec a opté pour la première approche. Mais le Canada multiculturel trudeauisé n’a sûrement pas dit son dernier mot...