Éducation: les Québécois sont les «champions du redoublement» au Canada
Leur taux est deux fois plus élevé que la moyenne au pays, selon une étude.
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Les élèves québécois sont de loin ceux qui redoublent le plus à l’école au pays, même si cette mesure est nuisible à une majorité d’entre eux et coûte des milliards de dollars à l’État, selon une étude à laquelle le ministère de l’Éducation a collaboré.
«Les Québécois sont les champions [canadiens] du redoublement», lance Catherine Haeck, chercheuse à l’Université du Québec à Montréal et co-autrice de cette étude d’une centaine de pages complétée en février 2022.
Malgré la réforme scolaire de 2008 visant notamment à réduire la reprise scolaire, les élèves québécois du primaire et du secondaire trônent au sommet des doubleurs au pays.
- Écoutez l'entrevue avec Simon Landry, enseignant au secondaire à l’émission de Richard Martineau via QUB radio :
Moyenne canadienne
Selon cette étude obtenue du ministère québécois de l’Éducation, grâce à la loi sur l’accès aux documents, 11,5 % des élèves de la province avaient redoublé en 2018 au moins une fois au primaire ou au secondaire, soit plus de deux fois la moyenne canadienne, qui s’établit à 5,1 % (voir autres chiffres dans boîte info).
«Ce que notre étude suggère, c’est qu’il y a de la marge de manœuvre pour réduire encore plus la reprise scolaire sans qu’il y ait d’effets négatifs, et peut-être même l’inverse», poursuit Mme Haeck.
Ces données propres au Québec sont d’autant plus préoccupantes que le redoublement ferait augmenter de 25 % la probabilité qu’un élève quitte l’école sans diplôme ni qualification.
«Les résultats sont sans équivoque : le redoublement ne favorise pas la réussite scolaire des élèves en difficulté et contribue même à compromettre leur succès», peut-on lire dans cette étude, qui rappelle que le fait de retarder la progression scolaire peut avoir un effet démoralisateur sur les élèves.
Impact coûteux
Le redoublement coûte d’ailleurs une fortune à l’État. D’après l’étude, ceux qui décrochent pour cette raison sont plus susceptibles de payer moins d’impôts, de réclamer de l’aide sociale et d’être judiciarisés.
Globalement, indique-t-on, les pertes financières, économiques et sociales causées par le décrochage des doubleurs d’une seule cohorte ont été évaluées à 3,4 milliards $ par les chercheurs. Une année scolaire à elle seule coûte quelque 14 000 $ par enfant.
«L’idée, ce n’est pas de moins investir en éducation. Mais peut-être devrait-on investir l’argent du redoublement dans des ressources d’accompagnement, comme des orthopédagogues ou des classes plus petites», fait valoir Mme Haeck.
Mesure exceptionnelle
Malgré tout, le redoublement ne devrait pas être aboli, prévient-elle.
Exceptionnellement, cette mesure pourrait être avantageuse pour certains étudiants qui poursuivront une formation menant à un métier semi-spécialisé et pour les plus jeunes d’une cohorte.
«Comment départager pour qui ça pourrait être bénéfique? C’est là où l’expertise des professionnels de l’éducation entre en ligne de compte. Il va toujours rester une zone grise où quelqu’un devra trancher», note la chercheuse et économiste.
Pour réaliser cette étude, Mme Haeck et son collègue de l’Université Laval Guy Lacroix ont notamment utilisé des données du Programme international du suivi des acquis (PISA).
Le ministère de l’Éducation, qui a collaboré à cette analyse, n’a pas donné suite à nos demandes de réaction.
– Avec Charles Mathieu
DES CHIFFRES DÉSOLANTS
Pourcentage d’élèves ayant redoublé au primaire ou au secondaire
Source : Calculs des auteurs à partir des données canadiennes du Programme international pour le suivi des acquis (PISA)
Nombre d’élèves du Québec ayant redoublé, tous niveaux confondus, en 2019-2020...
...au primaire : 9979 élèves
...au secondaire : 30 528 élèves
Source : Calculs des auteurs à partir des données du ministère de l’Éducation.
Le Ministère ne compile pas les données
Le ministère de l’Éducation ne compile pas le nombre d’élèves qui redoublent chaque année, une situation décriée par une chercheuse qui estime que ce phénomène devrait être étudié de près.
«Le redoublement scolaire, c’est quelque chose qu’on devrait monitorer sur une base régulière, et encore plus au sortir de la pandémie!», indique Catherine Haeck, autrice de l’étude de 2022 sur le redoublement.
Les données de son étude s’arrêtant à 2020, notre Bureau d’enquête a tenté d’obtenir de la part du ministère de l’Éducation la proportion d’élèves qui avaient redoublé en 2021-2022.
«Puisqu’il s’agit de décisions locales et propres à chaque [centre de service scolaire], le Ministère ne possède pas de renseignements au sujet des élèves qui doublent» a indiqué le porte-parole Bryan St-Louis.
Étonnée
Une réponse qui a «jeté à terre» la chercheuse Catherine Haeck. «Calculer cette donnée, c’est la base, selon moi. C’est inquiétant», souffle-t-elle.
Elle assure que le Ministère a tout en main pour calculer qui a redoublé et à quel niveau. À preuve, la chercheuse a elle-même compilé les données du gouvernement pour mener son étude.
«Il y a des gens de talent qui ont les données au Ministère. Mais, curieusement, les statistiques de base ne sont pas produites ou l’accès au public est difficile. Ce n’est pas normal», ajoute-t-elle.
Le Ministère se défend en indiquant se fier sur d’autres indicateurs pour estimer le taux de redoublement, notamment l’âge des élèves à leur entrée au secondaire. Il reconnaît toutefois que cette méthode est imprécise.