Manque d'effectifs: c’est le chaos dans les centres commerciaux et ailleurs
Des commerçants sont forcés de fermer plus tôt qu’ils le devraient
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Les centres commerciaux ont beau demander aux détaillants d’ouvrir leurs commerces pendant toutes les heures prévues, plusieurs sont carrément incapables de le faire.
Nancy Roger tient une boutique d’objets de collection au Carrefour Charlesbourg avec ses deux garçons et se désole de voir la grande majorité des commerçants fermer leurs portes entre 18 h et 19 h les jeudis et les vendredis soir.
« On doit être cinq ou six à ouvrir jusqu’à 21 h. Quand les clients viennent, ce n’est pas tellement attirant. Mais ce qui se passe est compréhensible », dit la copropriétaire de CKB Collections.
Comme elle n’a pas trouvé d’employé à qui faire confiance pour ses objets de valeur, le partage des longues heures de travail se fait en famille. Les repas se mangent au fond de la boutique, quand il n’y a pas trop de clients. C’est le quotidien de ceux qui travaillent seuls dans leur magasin.
Un jour de pause souhaité
Nancy Roger aimerait bien que notre société décide de fermer les commerces une journée dans la semaine pour permettre aux détaillants de souffler un peu. Parfois, il lui arrive de fermer les lundis pour se reposer, car sept jours sur sept, ça fait beaucoup. Mais ce n’est pas facile d’enfreindre les règles.
« Depuis la COVID, les gestionnaires du centre commercial ne donnent plus d’amendes quand on ferme. Ils savent que c’est difficile. Ils n’adorent pas ça, mais ils tolèrent », dit celle qui a ouvert sa boutique en 2019, quelques mois avant le début de la pandémie.
Pas d’amendes en vue...
Aux Galeries de la Capitale, où les heures d’ouverture officielles se prolongent jusqu’à 21 heures tous les soirs de la semaine, la gérante d’une boutique se disait dans l’incompréhension face à cet horaire étendu.
Les amendes semblent avoir disparu là aussi pour les commerçants délinquants. Plusieurs locaux sont vacants depuis la pandémie et la crainte de voir d’autres fermetures est certainement présente. La direction des Galeries n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.
Le risque de perdre les clients
La situation exaspère certains détaillants. Chez le Groupe Boucher Sports, qui possède une trentaine de magasins, dont plusieurs Sports Experts, le PDG Martin Boucher considère que les irrégularités deviennent ridicules. Il raconte avoir vu plusieurs commerces fermés jusqu’à 11 h un samedi matin de février à Laurier Québec, en période de fort achalandage.
« Ça va être important d’avoir une prise de conscience dans l’industrie parce que quand les clients se présentent, par exemple un jeudi soir, et qu’un commerce sur trois est fermé, c’est possible qu’ils décident de ne plus venir ! À un moment donné, il faut être prêt à faire des affaires ! » s’exclame M. Boucher.
Se heurter à des portes fermées, une mésaventure devenue très fréquente
C’est jeudi soir, il est 20 h et un couple de parents se heurte à des portes fermées chez Clément aux Galeries de la Capitale, un des plus importants centres commerciaux de la région métropolitaine de Québec.
« On est sortis de la maison pour ça. On a besoin de vêtements pour notre fille de 15 mois. On est déçus », racontent Graziella et Mateus Silveira.
Heureusement, ils avaient aussi un vêtement à échanger dans un autre magasin et ont pu ne pas s’être déplacés strictement pour rien.
Plus d’une demi-douzaine de commerces étaient fermés bien avant 21 h lorsque Le Journal a visité les lieux en ce début de mars. Et pas nécessairement les plus petits : La Baie, Clarks, Yves Rocher, San Francisco et d’autres.
Un peu partout au Québec, ce scénario se répète et le consommateur est dérouté.
« À Saint-Georges, il y en a partout des portes fermées », mentionne Steve Blais, venu magasiner à Québec et dérangé par cette imprévisibilité.
Une autre cliente, déçue par l’offre restreinte, se disait qu’elle achèterait en ligne ou qu’elle irait dans un autre centre commercial une prochaine fois.
Face à l’imprévisibilité
Il devient très difficile de savoir ce qui est ouvert et ce qui ne l’est pas. On ne peut plus se fier aux horaires annoncés par un centre commercial, car tous ne les suivent pas. Si on vérifie sur Internet pour un magasin précis, on peut quand même se buter à une fermeture spontanée parce que le seul employé prévu à l’horaire est malade et qu’il n’y a personne pour le remplacer. Une situation qui paraissait impensable avant la pandémie.
Aux Galeries de la Capitale, une bijouterie Doucet affichait être fermée les lundis, mardis et mercredis. Un écriteau de plus dans la porte annonçait qu’exceptionnellement, jeudi matin, en raison d’un manque de personnel, il était impossible d’ouvrir.
Pareil dans les restaurants
Ailleurs, la salle à manger d’un Mc Donald’s autrefois ouvert de 6 h à 22 h n’est plus accessible que de 8 h à 21 h, alors que le service au volant, qui était offert 24 h sur 24 prend congé à 21 h pour ne redémarrer qu’à 6 h ou 7 h selon les jours.
Le long de l’autoroute de la Capitale, un Burger King a fermé sa salle à manger en tout temps et n’offre plus que le service à l’auto entre 11 h et 19 h du lundi au samedi.
En entrevue récemment avec Le Journal, le président de La Cage Brasserie sportive disait que la manière d’aller au restaurant a complètement changé depuis la pandémie.
« Avant, on se demandait si on voulait manger de la cuisine asiatique ou des burgers et à partir de ça, on choisissait le restaurant. Maintenant, on regarde ce qui est ouvert et on choisit à partir de ça », observe Jean Bédard.
Déficit de 52 000 salariés dans les restos et commerces
Il manquerait 25 000 employés dans le commerce de détail et 27 000 dans les restaurants pour que les deux secteurs puissent retrouver leurs horaires d’avant la pandémie.
« Dans la restauration, on n’est plus dans une dynamique de sept jours sur sept. Bien souvent, c’est quatre jours sur sept et il y a beaucoup d’établissements qui ne servent plus les dîners, faute de personnel. Il y a de l’achalandage, mais c’est concentré. Aurions-nous plus de monde si nous étions ouverts plus souvent ? C’est difficile à dire, mais c’est clair qu’on laisse des ventes sur la table », affirme Martin Vézina, vice-président affaires publiques et gouvernementales à l’Association Restauration Québec (ARQ).
Que ce soit à Montréal, à Québec ou en région, il y a peu de restaurants ouverts en soirée en début de semaine. Tellement qu’à certains endroits, dans un souci de ne pas laisser le touriste ou le camionneur sur sa faim, des communautés ont pris des initiatives.
« Je sais qu’à La Malbaie et à Mont-Tremblant, les exploitants se sont donné un calendrier pour assurer un service de restauration en permanence et ne pas tout fermer en même temps », raconte M. Vézina.
Recrutement difficile
Avec un taux de chômage à 2,4 % à Québec en janvier dernier, près d’un creux historique, il est très difficile de refaire les équipes dans la restauration, un secteur qui a perdu de nombreux employés en raison des fermetures successives durant la pandémie.
« On fait du recrutement à l’étranger et au fur et à mesure qu’on a de nouveaux employés pour nous épauler, on évalue les plages horaires qu’on peut rouvrir. Notre objectif est qu’avant l’été, on puisse revenir à la normale », dit Pierre Moreau, PDG du Groupe Restos Plaisirs, en soulignant que la fin des restrictions sanitaires liées à la pandémie ne date que d’un an.
En gastronomie ou en restauration rapide, il y a des postes vacants partout. Les salaires moyens ont grimpé de 21 % depuis trois ans, mais l’ARQ croit qu’il faut maintenant obliger la redistribution des pourboires pour rendre plus attrayantes les conditions de travail des employés en cuisine.
La pandémie a entraîné la fermeture de 3250 restaurants au Québec, soit une baisse de 15 % de l’offre.
Les Québécois peu enclins à restreindre les heures d’ouverture
Préoccupé par la difficulté des commerçants à couvrir toutes les heures d’ouverture d’une semaine, le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD) a sondé la population sur d’éventuelles restrictions.
Le sondage mené au début du mois de février par ORAMA Marketing révèle que les Québécois ne sont pas chauds à l’idée d’accorder une journée de congé aux détaillants. Seulement quatre consommateurs sur dix se disent en faveur d’une fermeture des magasins le dimanche. L’idée d’un congé les lundis est encore moins populaire, puisque seulement 29 % des répondants l’appuient.
Ces pourcentages excluent les stations-service, car dans ce sous-secteur, le statu quo est souhaité de façon presque unanime par les consommateurs.
Le dimanche tenu pour acquis
L’ouverture des commerces le dimanche a été permise à partir de l’été 1990.
Le dossier avait soulevé plusieurs débats à l’époque et seulement les magasins d’alimentation avaient été autorisés à ouvrir dans un premier temps. Deux ans plus tard, la loi avait été étendue à d’autres commerces et depuis, il semble que les Québécois tiennent à cet acquis.
du sur-mesure réclamé
Le CQCD a aussi sondé les détaillants et ceux-ci souhaitent majoritairement des mesures variables selon le lieu et le type de commerce plutôt que d’en arriver à une journée de fermeture obligatoire.
Pour Damien Silès, directeur général du CQCD, l’enjeu des heures d’ouverture est indéniable et la réflexion nécessaire dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre.
« Il nous apparaissait essentiel de prendre le pouls des détaillants et aussi celui des consommateurs, afin d’établir un dialogue et d’en arriver à une meilleure cohérence pour tous », a-t-il indiqué cette semaine par communiqué.
La discussion s’amorce donc, mais entre le besoin de prévisibilité des consommateurs et le désir de solutions librement adaptées selon les lieux et les commerces, l’écart semble grand.