Pénurie de main-d’œuvre: les jeunes ne sont pas la solution, selon le ministre du Travail
Jean Boulet croit que les entreprises doivent envisager d’autres options pour contrer la pénurie
Il existe une «multitude de solutions» à envisager avant d’engager des jeunes de 14 ans et moins en entreprise malgré la pénurie de main-d’œuvre qui s’aggrave, assure le ministre du Travail qui s’apprête à déposer un projet de loi pour encadrer leur embauche.
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Le vieillissement de la population engendre une pression sur les employeurs qui ne savent plus quoi faire pour combler leur manque de personnel. Mais ce n’est pas une raison pour se tourner vers les jeunes adolescents qui sont encore sur les bancs d’école, estime le ministre du Travail Jean Boulet.
«On le sait qu’il y a un enjeu de productivité dans tous les secteurs [...], mais on ne peut pas faire reposer la survie d’une entreprise sur les épaules d’un enfant», lance-t-il.
Ce dernier affirme d’ailleurs qu’il «y en a des bassins de main-d’œuvre qui sont disponibles», contrairement à ce que plusieurs groupes soutiennent.
Les aînés, les travailleurs étrangers temporaires ou ceux issus des Premières Nations, les personnes qui vivent avec un handicap et même la robotisation, énumère-t-il, devraient être priorisés à l’embauche des enfants.
Protéger les enfants
M. Boulet devrait donc déposer d’ici la fin du mois de mars un projet de loi pour mieux encadrer le travail des adolescents. L’objectif est non seulement d’éviter le décrochage scolaire, mais aussi d’assurer la sécurité des jeunes employés.
C’est que depuis 2017 et 2021, on a observé une hausse de 155% des jeunes de moins de 16 ans qui se sont blessés au boulot, bien qu’on ne connaisse pas le nombre total de cette catégorie de travailleurs au Québec.
«Il n’y a pas tant d’abus, on vit dans un environnement qui est globalement sain [...], mais un enfant a besoin d’un meilleur encadrement [qu’un adulte]. Il faut en tenir compte», affirme M. Boulet.
Le projet de loi devrait se baser sur les recommandations émises par le Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM), mais le ministre dit avoir écouté les demandes de différents groupes dans ce dossier.
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Gare aux récalcitrants
Si elle est adoptée, la nouvelle loi devrait entrer en vigueur dès la prochaine rentrée scolaire. Si le ministre Boulet s’en tient aux recommandations du CCTM, les travailleurs de moins de 14 ans, sauf exception, pourraient donc perdre leur emploi dès septembre.
«Je comprends que c’est du cas par cas, certains enfants de 12 ans sont très matures. Je reconnais que ça peut être bénéfique jusqu’à un certain point. [...] Mais quand tu es tenu de fréquenter l’école, il faut que [le travail] soit limité», indique le ministre.
Des contraventions et des mesures disciplinaires seront évidemment mises en place pour les entreprises qui refuseront de se conformer.
«Il va y avoir des centaines d’enquêteurs de la CNESST qui vont être déployés [...] Ça va requérir un exercice de conscientisation collective», souligne Jean Boulet.
Deux visions qui s’affrontent
La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) craint que le projet de loi qui doit limiter le travail des enfants soit dilué par des associations patronales qui, elles, affirment avoir besoin de cette main-d’œuvre pour survivre.
«La place des enfants, c’est à l’école. Pas derrière un comptoir!», martèle Éric Gingras, président de la CSQ.
Son organisation fait partie du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM) qui a remis en décembre dernier ses recommandations pour mieux encadrer le travail des enfants.
Le CCMT recommandait notamment d’établir l’âge légal d’accès à l’emploi à 14 ans, sauf exception, et de limiter à 17 heures par semaine le nombre d’heures de travail d’un jeune durant la période scolaire.
«Les études démontrent que lorsqu’on dépasse les 15 heures par semaine, ça a un impact sur l’anxiété et le décrochage scolaire. Et en bas de 14 ans, un jeune n’a pas encore toute la maturité nécessaire [à la conciliation travail-étude]», explique M. Gingras.
Plusieurs inquiétudes
Or, certaines industries qui font actuellement appel à ces jeunes pour combler des besoins importants de main-d’œuvre soulèvent quelques bémols.
«Là où il y a une inquiétude, c’est au niveau de l’âge minimal. Les jeunes de 12 à 14 ans représentent une bonne partie des travailleurs de nos exploitants, surtout en région», souligne Martin Vézina, président de l’Association Restauration Québec.
Loin d’être contre un «meilleur encadrement», il propose plutôt de réduire la limite de travail à 12 heures maximum pour les enfants de 14 ans et moins, et à 20 heures pour ceux de 14 à 16 ans.
Plaire à tous
Face à la prise de paroles de lobbyistes comme l’ARQ auprès du gouvernement dans ce dossier, la CSQ craint que le projet de loi qui doit être déposé dans les prochaines semaines soit édulcoré pour plaire à tous.
«On redoute qu’il y ait des groupes qui réussissent à convaincre le ministre que certaines tâches peuvent être accomplies en toute sécurité, avant l’âge de 14 ans», avance M. Gingras.
«Mais il faut le voir sous tous les angles. Peut-être que ce n’est pas dangereux qu’un jeune place des cannes en épiceries, par exemple, mais ce n’est pas bon pour sa persévérance scolaire», ajoute-t-il.